piastres, le restant de sa dette de cinquante
piastres. Le malheureux ne put reprendre
sa montre qu'en payant les dix piastres.
Nous ne pouvons vous décrire à ce sujet
les souffrances et les affronts auxquels est
soumis le peuple. Les écrivains de l'âge
d'or n'ont pas eu la prévoyance de trouver
des mots qualifiant les vexations commises
aujourd'hui.
15
Octobre.
Quatre syriens de D... furent pillés par
les hommes de L . . . , aux environs du vil–
lage de D. . . , où habite L . . .
16
Octobre.
Un paysan arménien du village de L . . . .
fut pillé sur la colline appelée
à trois
heures de R..., à l'est.
(
Fin.)
Nouvelles d'Orient
E N MA C ÉDO I NE . — Les enquêtes savam–
ment hamidiennes publiées en Europe et
qui prétendent établir que tout est au
mieux enMacédoine, sonl chaque joue dé–
menties par les faits.
Voici d'après le
Mouvement
Macédonien
une énumérafion sommaire des plus ré–
centes atrocités :
Perlepé.
Arrestation du directeur des
écoles bulgares Papandofï. — Assassinat
de Chrislo Angheloff par les agents de
police, camarades du brigand Ousco.
(
ihevghéli.
Assassinat de deux villa–
geois de Smocvitza par une bande turque ;
perquisition dans le village, arrestations :
tous les prisonniers, et particulièrement le
maître d'école Chrislo Yossifoff onf été
torturés (fer rouge, pendaison, brûlures
avec du beurre fondu).
Monastir.
Assassinat du marguillier
de Luboïne par un bey de Resné. Arresta–
tion de Constantin Silianoft, torture par le
fer rouge, les œufs brûlants sous les ais–
selles, les éclals de bois sous les ongles,
mort du prisonnier : son bourreau, le
capitaine de gendarmerie Malik effendi est
toujours en liberté. A Krani, arrestation de
dix-huit villageois ; mort d'une femme par
bastonnade; assassinat du prêtre Stoyan.
A Skatchivar, invasion de bachi-bouzouks,
nombreuses arrestations. Incarcération à
-
Monastir de quarante el un détenus poli–
tiques.
Florina.
Les maîtres d'école C.ouzman
Stefoff et Pando Klialcheff qui s'étaient
enfuis, après la première affaire de Zélé–
nitché, étaient rentrés de nuit au village
Je Cheslseivo, chez l'institutrice Vvanovo,
fiancée de Stefoff. Ils furent dénoncés et la
maison cermée. Après une lutte terrible,
l'institutrice, les deux hommes et deux
autres encore moururent héroïquement.
Les Turcs laissèrent une dizaine de morls.
Le lendemain, le village l'ut razzié, il est
occupé encore par les bachi-bouzouks.
L A LOI DE FINANCE pù 14 MARS 1902. —
Par un iradé en date du 14 mars 1902, le
Sultan a sanctionné une nouvelle
Loi sur
le recouvrement
des impôts.
Il est aisé de se
rendre compte, par une analyse sommaire,
que la loi est surtout l'aile pour aggraver
les charges des Arméniens et couper court
à toutes les réclamations des ambassades :
à foute observation, on objectera désor–
mais : « Les abus que vous signalez sont
ceilainement inexacts, car ils sonl inter–
dits par la loi. »
Tout d'abord, l'article G du litre l porte
que :
Les inspecteurs des recouvrements sont nommés
parmi les personnes capables et honnêtes.
Les receveurs (choisis p a r eux) doivent n'avoir pas
été condamnés pour crimes ou délits, n'avoir pas été
mis en jugement à cause de fonctions publiques rem–
plies par eux.
Désormais par définition aucun receveur
d'impôts ne sera l'un de ces usuriers qui
prélèvent sur le paysan l'usure du
Selef,
c'est-à-dire qui lui fonl des avances à six
cents pour cent.
Les articles G, 9 et 10 du môme titre sont
particulièrement importants. On l i l :
Art. (i. — Les receveurs ne s'occuperont que de
recouvrer les contributions énumérées plus haut.
Art. !). — I l est expressément défendu aux gendarmes
de se mêler des affaires de recouvrement d'impôts.
Seulement, au besoin et sur la demande des commis–
sions, des gendarmes, et si c'est nécessaire, des officiers
de gendarmerie accompagneront, les receveurs.
Art. 1 0 . —L e s paysans indiqueront u n logement aux
receveurs et aux inspecteurs des recouvrements pen–
dant la durée de leur séjour ; seulement ceux-ci sont
tenus de payer à ceux qui le leur auront fourni tout ce
qu'eux-mêmes et leurs bêtes auront mangé. Les délin–
quants seront punis d'après les dispositions de l'arti–
cle ;
Î
du Gode pénal.
Cela pour parer à toutes plaintes contre
les exactions et violences mille fois men–
tionnées des inspecteurs et collecteurs
d'impôts.
Le titre II de la loi Iraite des attributions
générales des receveurs. Il en faut retenir
les articles 17 et 19.
Art. 17. — Les receveurs ne peuvent encaisser aucune
recette en dehors des contributions énoncées dans
l'article I.
Art. 19. — Les inspecteurs relèvent de leurs fonc–
tions les prévaricateurs et
ceuœ qui auront osé percevoir
deux fois te même impôt ou percevoir plus que ta
somme légale.
On sait, en effet, que le même impôt est
toujours perçu plusieurs fois et que jamais
les collecteurs ne donnent de quittances.
Le titre III est consacré aux moyens de
coercition contre les débiteurs en retard ;
ils sont terribles :
Art. ?>\. — Dans le cas où le débiteur (après un aver–
tissement envoyé d i x jours après l'échéance) ne s'ac–
quitterait pas dans l'espace d'une semaine, on procédera
au règlement par la vente des fruits, céréales, bestiaux
el autres biens meubles (exception faite des objets de
ménage et des instruments de travail).
Pour les dettes du chef d'impôt de
temettou
(
impôt
sur les indigènes établis hors de leur ville natale) les
boutiques et magasins tlu débiteur seront fermés ; ses
Caïques, voitures, chevaux seront empêchés de tra–
vailler.
L'article 32 prévoit la vente des biens
meubles, l'article 33 celle des immeubles;
faute d'acheteurs, la valeur de la propriété
est fixée par la commission des recouvre–
ments elle-même. Il suffit de dire que ce
sonl là d'excellenls moyens pour rendre
légales les mesures arbitraires employées
jusqu'ici à l'égard des Arméniens: i l est
aisé ainsi de vendre au quart de leur valeur
leur récolle ou leurs bestiaux, comme le
faisaient les percepteurs de la plaine de
Mousk; ils avaient un traité avec les bou–
chers de la ville qui achetaient à vil prix
les bêtes saisies. Les biens meubles dans
les mêmes conditions sont vendus pour des
sommes dérisoires. Ouant à la clause tou–
chant la taxe de
temettou,
elle est destinée
à ruiner absolument les malheureux A r –
méniens qui ont pu, avant la loi sur les pas–
seports leur interdisant de circuler, essayé
de gagner leur vie dans quelque grande
ville en y faisant, le commerce (les chan–
geurs, banquiers sont la minorité, les
autres sont surtout orfèvres, tailleurs, bou–
langers) ou bien comme bateliers et char–
retiers. La boutique fermée, le caïque ou
les bêtes obligés au chômage, c'est la ruine
totale.
Alors vient par surcroit l'article 35 :
Dans le cas où les contribuables récalcitrants ne
posséderaient pas de biens meubles ou immeubles appa–
rents, ou dans le cas où les receveurs constateraient,
sur la foi de documents ou de déclarations dignes de
foi, que le débiteur possède une fortune en argent, le
débiteur sera mis en prison par. décision des conseils
administratifs et sur l'ordre du plus haut fonctionnaire
civil.
La
durée de l'emprisonnement ne dépassera pas vingt-
el-un jours.
C'est l'incarcération par mesure admi–
nistrative, comme i l y a en Russie la dépor–
tation par mesure administrative. Point
n'esl besoin d'un jugement: i l suffit du
caprice d'un fonctionnaire, d'une dénon–
ciation intéressée pour que l'homme qui
déplaît soil mis en prison. 11 ne faut pas
non plus se laisser duper par l'apparente
brièveté de la peine, on sait fort bien quand
on entre dans une geôle turque, jamais
(
juand on sort: des hommes y sont conser–
vés depuis vingt aus qui n'ont jamais été
jugés. Le régime des prisons est d'ailleurs
organisé à souhailpour que les Arméniens
s'y trouvent à la merci de leurs co-détenus
ou périssent de maladie.
N'empêche que la loi du 14 mars 1902
fournira bientôt un admirable sujet de
copie aux journalistes européens qui ont
entrepris de rédiger le perpétuel panégy–
rique de Sa Majesté Impériale.
Fonds A.R.A.M