L a situation à Djezireh
La rédaction de
Droschak
nous commu–
nique deux documents fort intéressants qui
indiquent à quelle' détresse sont réduits
plus particulièrement les sujets de l'em–
pire ottoman qui ne professent pas l'isla-
lanisme. Ce sont deux dépêches datées de
Djezireh 8/21 décembre 1901 et 30 décem–
bre/ 12 janvier 1901 ; elles sont signées
par les chefs des communautés chrétien–
nes et par le grand rabbin.
Djezireh est situé sur la rive droite du
Tigre, au Sud-Est de Diarbékir au pied de
la montagne Djoud, sur laquelle, d'après
la légende Kurde, s'arrêta l'arche de Noô,
C'est une ville de 10,000 habitants, dont
4,000
Arméniens (gréoriens, protestants et
catholiques), 1,500 Chaldéens catholiques,
Syriens catholiques et jacobites, 4,500
Turcs et Kurdes musulmans.
Le Moustapha Pacha dont i l est parlé ici
est bien connu de nos lecteurs, chef de
cavalerie irrégulière hamidié, i l travaille
pour son propre compte ; Il a établi un
droit de péage sur les voyageurs de la ré–
gion, lève un impôt
ad valorem
sur leurs
marchandises, entreprend parfois de véri–
tables expéditions guerrières, Ce bandit a
d'ailleurs les plus hautes protections ; i l
est au mieux avec Zekkhi Pacha d'Erzin-
ghian, commandant du quatrième corps
d'armée, le massacreur de Sassoun à qui
il envoie chaque année, en noble hom–
mage de tribut, cinquante mulets chargés
d'huile, de fromages, de victuailles de
toute sorte et surtout de bonne monnaie
d'or rouge bien sonnante.
Voici les deux dépèches.
Copies remises aux pieds du trône impérial pur
l'entremise du secrétariat du Palais Impérial adres–
sées au Grand Vicir, au ministère de l'intérieur, au
Parlement syrien, au Patriarcal arménien, au Pa–
triarcal catholique, au grand rabbin juif.
Depuis quelques années les populations paisibles et
fidèles de notre région sont soumises à toutes sortes
de privations et de vexations par Moussfapha pacha et
et ses gendres Tahir el t'atlah el les lils de ces der–
niers ; aucune mesure n'a été prise jusqu'ici envers
eux, et par suite notre bourg est devenu le théâtre de
leurs vexations et les villages environnants le théâtre
des pillages e l des brigandages ; la plus grande partie
des villages sont déjà en ruine.
Hier encore, 000 soldats hamidiés, armés' de fusils
Martini et sous les ordres d u susdit .Monsstapha pacha
ont attaqué les villages chrétiens de Hazik et B a lîik à
8
heures de Djezireh et oui tué 30 à 10 personnes el
en ont blessés plusieurs ; ils menacent de marcher sur
notre bour^ ; aussi toute la population chrétienne est-
elle en ce moment dans une insécurité absolue de vie
et des biens
Si les tyrannies effrénées du susdit pacha, ainsi (pie
celles de Tahir el de Fatlah et de ses hommes qui
sont connus par le gouvernement ne sont pas arrêtés
par des ordres favorables, nous supplions ut deman–
dons très humblement et par notre dernier soepir à la
miséricorde de sa Majesté, qu'elle daigne autoriser,
par sa grande clémence, l'envoi des forces militaires
suffisantes pour rrotéger toute notre population qui se
voit obligée d'émigrer et nous sauver ainsi des égailles
de notre esclavage. E n cette occasion et en toutes, la
volonté et la puissance appartiennent à notre très
miséricordieux cl. auguste Sultan.
S décembre 1111)1
Le
vicaire
si
/
rien, Le vicaire arménien, Le rabbin juif
Prêtre .MOI MAU
ni:n iiAoor
OIIA.MOUUI.
Le vicaire c/ialdéen
Le oiralre catholique
HAB
TAGOITB
KASS KAOCN '
Les notables de la ville,
SAUKISS,
AUOCI.I.AH,
Atun: I.I.AII KO,
noi.oussK
II
A
UJC
patriarches des arméniens,
îles syriens et des catholiques à Constantinople
Par une dépêche d u 1) et d u :20 décembre, adresssées
aux pieds du tronc i m p ' r i a l , nous avions décrit, les
tyrannies de Miranli Monsstapha pacha, ainsi que
celles de ses malfaiteurs auxiliaires encouragés par le
coin mandant d u quatrième corps d'armée ; nous avions
parlé de l'assassinat de 80 personnes de notre peuple
et. nous avons supplié que des mesures immédiates
fussent prises avant l'exécution du projet de l'anéantis–
sement général de tous les chrétiens.
Jusqu'ici nous n'avons obtenu aucune réponse, et si
aucune attention n'est portée pour l'aire arriver- d&s
ordres i m p ' r i a u x pour la protection
j
de [notre peuple
dont la vie est en danger sous des menaces horribles,
nous vous communiquons que noire peuple, d'ores et
déjà s'apprête à émigrer, et nous attendons votre
télégramme. Réponse, ici à la posté.
30
décembre 1001.
L^e
vicaire syrien,
Le
vicaire des syriens catholiques,
MATH nAN HEHNAN.
KASS KAOUN
Le vicaire chaldéen,
Le
vicaire arménien
MATHRAX VAKOLI1.
UER HAUOP.
Correspondance d'un Vicaire
DU
P A T R I A R C A T
(
Suite)
2
7
Septembre
/
g o ; .
Ce matin je fus le témoin oculaire at–
tristé d'un spectacle éminemment mons–
trueux; en me rendant au marché de R . . . ,
je vis sur la place publique où était réuuie
une foule immense, quatre paysans de L . . .
(
village situé à deux heures de R . . . et ren–
fermant vingt ou vingt-cinq maisons chal-
déennes), dont les bras étaient fortement
liés avec une corde tenue par un soldat
nommé A . H . ; il torturait affreusement les
pauvres garrottés dont i l se disait créan–
cier. Tous ceux qui intervenaient en faveur
de ces malheureux recevaient comme ré–
ponse le refrain suivant: « Amenez-moi ici
vos femmes, vos filles; je les garderai à la
caserne pendant une semaine et je renon–
cerai à ma créance. »
Si, ici, sur la place du marché, sous les
yeux du gouvernement, de telles barbaries
sont commises, que n'arrive-t-il dans les
villages arméniens, où i l n'y a aucune pro–
tection, aucune intervention et aucune au–
torité. Les paysans arméniens, en général,
ne possèdent rien, ni terrain, ni biens, ni
filles! ils sont dans les griffes du Kurde
cruel comme débiteurs.
Pour vous donner une idée sur l'usure
qui est pratiquée ici, je dirai que quarante
piastres s'élèvent à cent-dix, cent-vingt
piastres dans une année ; ce n'est pas là
une exagération car ce chiffre peut encore
s'élever davantage ; je vous écrirai à ce su–
jet quand l'occasion s'en présentera.
2
8
Septembre.
Cette nuit, à une heure et demie, un
jeune homme arménien, nommé L . G. fut
blessé dans la rue par deux jeunes hommes
dont l'un nommé D. . . , chaudronnier, et
l'autre K. R . . . Le commerçant arménien
nommé C. D... et son b^au-frère, N . D. . . ,
furent arrêtés comme auteurs du crime.
REMARQUE. —A R . . . , un groupe de jeu–
nes hommes turcs, barbares et sans cœur,
vivent par le produit du métier blâmable de
faux témoignage; pour l'amour de Dieu
reste-t-il encore dans le monde une autre
forme d'oppression?) Ces individus sans
conscience, aussitôt qu'il éclate une lutte,
une querelle, courent immédiatement au–
près des balaillcurs cl fixent le prix du faux
témoignage, la partie qui offre le plus haut
prix reçoit en sa faveur le faux témoignage.
Des cas de ce genre ont été nombreux;
c'est le cas aussi justement du susdit C. D,..,
qui, ne pouvant ou ne voulant payer la ré–
munération exorbitante fixée par les faux
témoins, reste en prison depuis vingt ou
vingt-cinq jours, avec son beau-frère.
Le gouvernement local est au courant
de tout ce qui se passe ; mais n'est-ce pas
que son pain cuit, grâce à ces manœu–
vres déloyales? Sous des menaces d'arrêts
terribles et, par diverses mesures, on
épouvante les chrétiens et on suce leur
sang comme des sangsues. C'est ainsi qu'a
agi R . . . agha, chef des geôliers, lequel a
battu affreusement C. D... le soir de son
emprisonnement, en prétextant que celui-ci
ne lui»avait pas fait le salut respectueux.
Le lendemain, C. D. . . , avec une extrême
humiliation, glisse deux livres dans la main
de T . . . agha, l'homme cruel. C. D. . . a
excité ainsi l'appétit des fonctionnaires
affamés, qui se félicitent l'un l'autre pour
avoir rencontré un Arménien qu'ils pour–
ront dépouiller à leur aise.
9
Octobre. '
Nous avons déjà écrit en détail au sujet
de la perception des impôts. Depuis le 15
septembre jusqu'aujourd'hui, les impôts
sont perçus avec les mêmes atrocités. On
fouille les poches des gens qui sont con–
duits au poste pour l'impôt. L'autre jour,
la montre de B . G . . . , tailleur, fut confisquée
par le gouvernemeni en échange de dix
Fonds A.R.A.M