aussitôt de retourner, car il n'y avait rien de
semblable arrivé. Kévork tchaouehe s'en alla
seulement avec quelques camarades pour
ramasser de l'argent; il se promena pendant
quatre ou cinq jours, et le 23 décembre il lut
surpris par trahison à Norcheri. Aussitôt
Hussein, agha de Nadar, chef de la police,
un géant, célèbre parmi les Turcs, se dirigea
avec sa cavalerie vers N'orclicn. Les Turcs
lui demandent : « Auras-tu du succès ». — « Je
m'en vais poursuivre les fédaïs, dit-il, je
vous les amènerai vivants ou je vous appor–
terai leurs cadavres ». —« Tâche donc de ne
pas y laisser la tète par dessus le marché, lui
disent-ils ironiquement ».
Hussein agha arrive à Norchen. Les fédaïs
se montrent à lui; il les poursuit; les fédaïs
s'éloignent un peu, reviennent ensuite sur
leurs pas, et en quelques coups de fusil ren–
versent Husseïne à bas de son cheval et
continuent leur chemin joyeusement. Mais
Kévork tchaouehe, avec ses deux camarades
et Poudoyan Vagharchag se trouvaient au
village ; ils montent sur une haute terrasse
et commencent à fusiller les Turcs qui se
retirent épouvantés. Les fédaïs se rejoignent
ensuite les uns les autres. Les jours suivants
les Turcs firent de nombreux pillages et em–
prisonnèrent 10 à 20 personnes. Dans la lutte
moururent quelques Turcs et furent tués
quelques chevaux, un cinquantenier est
blessé par une balle des fédaïs.
Le lendemain, quand on apporta le cadavre
de Husseïne à la ville, la foule turque accou–
rut, en grinçant des dents contre les xVrmé-
niens.
Le vartabed des catholiques, le Vicaire père
Anania et Boléyan Stépan agha, se présen–
tent au pacha pour décrire la situation de
Norchen ; le pacha a eu l'effronterie de leur
dire : « Pourquoi êtes-vous venus, vous ver–
rez, il sera fait de Norchen comme i l en a
été fait de Moghounk». Les pauvres hommes
retournent tète baissée.
Les fédaïs ont semé la terreur et l'épou–
vante parmi les Turcs et les cercles de gou–
vernement. Tous les fédaïs sont des jeunes
gens choisis et braves. Kévork tchaouehe a
pris part à dix-sept luttes ; il a été sain et
sauf dans toutes ; il est de taille courte, âgé
de 35 ans, parlant peu, réunissant la pru–
dence à un courage hardi.
Depuis trois mois, une épidémie sévit parmi
les soldats turcs; deux à cinq personnes suc–
combent par jour; le capitaine-commandant
est aussi gravement malade et les médecins
désespèrent de le sauver. Férik pacha aussi
a perdu les sens, et il est en état d'agonie.
On a rempli le couvent d'Arakélotz de sol–
dats ; pendant la prière de midi, l'un monte
au clocher et crie : « Allah ékber » (Dieu est
tout-puissant).
Les prisonniers de Norchen, grâce à l'am–
bassadeur, semble-t-il, sont remis en liberté,
excepté Setrak, forgeron, d'Erzeroum, et un
paysan. Mais en revanche, les coups, les in–
jures, et d'autres oppressions sont sans nom–
bre.
Pour la perception des impôts, on a inventé
des menottes aux dents pointues qui déchi–
rent les mains et trouent la chair en causant
une torture inouïe.
LA QUINZAINE
L'Exposé du Comte Goluchowski
L e comte Go l u c hows k i ,
ministre
commun des affaires étrangères de l a
monarchie austro-hongroise, dans son
exposé aux Délégations, a été amené à
parler, comme chaque année, de la s i –
tuation des Etats balkaniques et de la
Turquie. On ne connaît guère d'exem–
ple d'un ministre qui ait blâmé jamais
sa propre po l i t i que ; i l est donc parfai–
tement naturel que le comte Go l u –
chowsk i ait fait l'éloge de l ' ac cord
austro-russe de 1897 et déclaré que
l'entente des deux empires, « leur
étroite union exerce une iniluence très
appréciable sur le maintien de l a paix
dans les Ba l kans . »
Ce n'est pas cependant qu'il se laisse
leurrer par un « optimisme injustifia–
ble » ; i l doit reconnaître, au contraire,
que rien n'a changé en mieux et que
l'activité croissante des Comités révo–
lutionnaires en Macédoine, aussi bien
que les irrémédiables mœurs admi n i s –
tratives des autorités turques « peuvent
provoquer, à chaque moment, des c on –
séquences fâcheuses » ; et i l constate
qu'un tel état de choses exige une sur –
veillance et même une action continue
des puissances intéressées « pour ne
pas aboutir à une catastrophe. »
Ma i s cette surveillance et cette ac –
tion ne suffisent pas. 11 est nécessaire
que la Turquie, de son côté, change
de méthode gouvernementale :
«
Tous nos efforts pour empêcher dans
ces contrées des excès pouvant t r ou –
bler la paix, ont pour condition que la
Turquie prenne des mesures sanitaires
correspondantes. L a Turquie doit pren–
dre cela en considération dans son
propre intérêt bien compr i s , parce
qu'elle ne peut compter sur l'appui réel
et stable des puissances amies.
«
L a Turquie ne peut garderl'intégrité
de son territoire qu'à la condition que,
d'un côté, les organes turcs ne dépas–
sent pas dans le cas de répression les
mesures nécessaires au maintien de
l'ordre, de l'autre, que l a Turquie i n –
troduise des réformes administratives
dans l'esprit dont étaient inspirées les
observations à elle adressées ces der–
niers temps, lors de son accord avec
la Russie.
«
Il serait désirable que l a Tur qu i e
s'en inspire avant qu ' i l soit trop tard,
et cela dans l'intérêt de la politique du
statu quo. »
L e député jeune-tchèque Kr ama r z ,
se félicite de l'entente avec la Ru s s i e ;
mais i l estime que la politique du
statu quo
a fait son temps. Toute l a
politique balkanique a été changée,
selon l u i , depuis que l ' Al l emagne
exerce à Constantinople un protectora
factice et que l'Italie prétend à une i n –
iluence sur l a côté ouest de l ' A d r i a t i –
que :
«
Peut être ces deux circonstances
rendraient elles possible, en tenant
pleinement compte des aspirations lé–
gitimes des peuples balkaniques vers
la liberté, l'indépendance et un libre
développement social, de conclure avec
la Russie uue entente concrète qu i mît
à l'abri de toutes les surprises de
l'avenir.
«
Ma i s , jusque là, les puissances
signataires du traité de Rerlin ont le
devoir d'établir là un état de choses
digne de l'humanité. S i elles y réus–
sissent, ce sera une des meilleures
garanties de la paix. Ma i s un état de
choses comme celui d'aujourd'hui, où
le monde politique de toute l ' Eur ope
doit attendre chaque printemps l'ex–
plosion de grosses ou de petites révo–
lutions, qui peut allumer un incendie
dont on ne peut prévoir l'étendue ; un
tel état de choses est intolérable et doit
être supprimé. Il faut espérer que,
même si certaines influences travaillent
à Constantinople contre toute conces–
sion de la politique turque, lés p u i s –
sances immédiatement intéressées au
maintien de la paix dans les Ba l kans ,
la Russie et l ' Au t r i c he , par leur volonté
commune, parviendront à astreindre l a
Turquie à remplir les engagements
qu'elle a pris, elle aussi, en signant le
traité de Be r l i n . »
Dans sa réplique, le comte G o l u –
chowsk i a été obligé à préciser sa
pensée :
«
L e
statu quo
dans les Balkans ne
peut être le but d'une politique à terme
indéfini. On maintient l'état de choses
actuel autant qu ' i l est possible, mais
s i , indépendamment de notre volonté,
des faits surgissaient, rendant néces–
saire une autre politique, on devrait
s'efforcer de régler les difficultés d'une
manière pacifique.
«
L e gouvernement est pleinement
convaincu que l'entente étroite avec la
Russie aboutira à une solution satis–
faisante pour les deux parties. »
Ces paroles du ministre des affaires
étrangères étaient prévues ; elles cor –
respondent, en effet, au sentiment gé -
Fonds A.R.A.M