imprime le sceau de la stupidité. Le chef des
agents qui m'avait arrêté passa devant moi,
salua son supérieur, s'approcha de lui et lui
dit quelque chose à l'oreille. Un sourire
éclaira la iigure maigre et décrépitée du com–
missaire qui ôta de la bouche le bout du
tuyau du narghilé et se tournant vers son
adjoint :
Vite, vite, apportez-moi le papier en–
voyé l'autre jour d'Akhlat.
Le commissaire tenant le papier dans les
mains, y regardait d'abord et jetait ensuite
le regard sur moi, alternativement. Le sou–
rire rayonnait davantage sur sa figure et on
apercevait sur ses joues maigres, ses muscles
qui se tendaient de joie.
Après avoir terminé la comparaison — et
c'était pour moi une énigme qui me tour–
mentait— i l se tourna, soudain, vers son
adjoint :
Que je vous lise, comparez, vous aussi,
de votre côté :
«
De taille moyenne, ni trop gros ni trop
maigre, cheveux bruns, le front assez large
et saillant, deux yeux sous le front, une paire
de sourcils au-dessus des yeux, un nez, une
bouche sous le nez et deux oreilles des deux
côtés de la tête.
L'adjoint écoutait attentif, examinant sans
cesse ma figure avec ses yeux chassieux ; la
lecture achevée, i l mit la main droite sur la
poitrine et de répondre :
Ballah ! (par Dieu), la ressemblance est
parfaite.
Moi, ne pouvant désormais rester dans ma
position, comme une statue qui ne bouge
point, j'ouvris fa bouche.
S'il vous plaît, effendi, quel est cet
énigme, pour qui me prenez-vous?
Tais-toi, insolent, tu n'as pas la parole,
on ne te demande rien, cria le commissaire,
en sautant d'un empan de son siège; puis i l
fit gargouiller son narghilé plusieurs fois,
prit un air' grave et remuant l'index, or–
donna :
Maintenant, tu vas répondre à chacune
de mes questions, point par point et avec
une grande précision; as-tu compris?
Oui, effendi, je suis tout prêt, répon-
dis-je en faisant un témennah (salut turc).
D'où viens-tu?
D'Erzeroum.
Où vas-tu?
A Djezireh.
Pour quoi faire?
Pour acheter de la laine.
N'y avait-il pas de laine à Erzeroum.
Il y en avait, mais pas en assez grande
quantité et pas aux mêmes prix.
Pourquoi n'as-tu pas pris la direction
de Diarbékir.
On m'a dit que ce chemin est plus court
et plus facile.
Qui te l'as dit?
Des amis.
Quels sont les noms de tes amis?
Maintenant je ne saurais me rappeler
leurs noms et prénoms ; ce sont des connais–
sances arméniennes et turques à Erzeroum.
Es-tu natif d'Erzeroum?
Oui.
As-tu déjà voyagé autrefois?
J'ai voyagé dans la province d'Erzeroum,
mais je n'ai pas quitté cette province.
Où as-tu déjà été et à quelfes dates?
Il y a cinq ans j'ai été à Erzinghian pour
une affaire commerciale, et une autre fois à
Alachgerd.
Pourquoi es-tu allé à Alachgerd?
Pour y vendre de la toilerie.
Dis-moi la vérité !
Je ne vous dis que le pure vérité.
Eh bien! d'où viens-tu maintenant?
D'Erzeroum, effendi.
Tu l'as déjà dis une fois, on ne répète
pas tout le temps la même chose.
Mais comment faire, effendi, du moment
que vous me posez toujours la même ques-
stion.
Je te pose la même question, pour que
tu me dises quelque chose de neuf; n'as-tu
pas été déjà du côté d'Akhlat?
Jamais.
Et ne connais-tu pas Sérovpe, le chef
révolutionnaire?
J'apprends son nom de vous.
Où as-tu l'intention d'aller?
J'irai à Djezireh, ville qui est située sur
les bords du Tigre, pour y acheter de la
laine.
Animal, tu me répètes toujours les mêmes
paroles, cria le commissaire soudain, en
frappant le sol du pied ; ne te proposes-tu pas
d'aller du côté de Dalvorik ?
Je vous en prie, effendi, qu'est-ce que
j'ai à chercher, moi, à Dalvorik; comme je
vous l'ai dit et comme i l est aussi inscrit
dans mon passeport, je viens directement
d'Erzeroum et je vais à Djezireh pour y ache–
ter la laine.
Tu mens, tu mens, tu me débites des
mensonges, fils de chien, à ce qu'il paraît tu
ne me diras pas toute la vérité sans une bas–
tonnade, s'écria le commissaire en se fevant,
nous avons des renseignements sur toi de–
puis longtemps; comme tu l'as vu, i l y a un
instant, nous possédions même ton signale–
ment. Tu appartiens à la bande de Sérovpe,
tu as erré cet hiver dans les villages d'Akh–
lat, et maintenant tu veux aller à Dalvorik ;
nous ignorions seulement que tu as été aussi
à Alachgerd ; tu nous l'as appris, i l y a un
instant. Tu nem'échapperas point; voilà
une semaine que je te fais chercher; si tu es
intelligent, avoue-moi avec douceur tous tes
faits et gestes; je tâcherai alors, moi aussi,
de te sauver par un moyen quelconque, sinon
ton affaire te conduira jusqu'à la potence.
Mais, je vous en prie, effendi, vous me
prenez pour un autre ; moi, j'ai un passeport
en règle;je suis un homme connu à Erze–
roum ; vous pouvez d'ailleurs y télégraphier
à mes frais et connaître
Assez, assez, pas de bavardage inutile,
m'interrompit le commissaire en colère —
et maintenant, au bloc, réfléchis sur tout ce
que je viens de dire; je t'accorde deux jours.
Et se tournant vers l'agent, i l ordonna :
Coffrez-le!
On me saisit aussitôt et on me fit descen–
dre; on me fouilla de pied en cap et, me
poussant dans une cellule, on ferma la porte
sur moi.
(
A suivre.)
(
D'après la Revue
Mourtch,
de Tiflis).
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