atroce que leur offre Sa Majesté Abd-ul-
Hamid, leur ami et leur bon frère.
UNE BROCHURE TURQUE.
—
M . Naïm-
Gargour vient de faire paraître à Genève
(
adresse : Case Plaimpalais n° 35gi) une
brochure intitulée :
La situation actuelle
de la Turquie.
I l tend à prouver que la
Turquie bien administrée pourrait pro–
duire annuellement un revenu triple du
revenu actuel ; puis sous les rubriques : M i –
nistère de l'instruction publique, minis–
tère de l'Intérieur, etc., i l constate rapi–
dement la désorganisation de toutes les
administrations publiques. A u chapitre du
ministère de l'intérieur, M.Na ïm Gargour
écrit notamment : « L'agitation et la souf–
france régnent dans toutes les parties de
l'Empire, tandis que d'aprèslesjournaux, le
calme et la sécurité sont parfaits, grâce à
S. M . le Sultan, dans les vilayets de Sivas,
Van, etc. Les journaux de Constantinople
publiaient d'une part ces radotages, et de
l'autre le sang des Armén i en s coulait à
torrents. » M . Naïm Gargour est bien sé–
vère pour les journaux de Constantino–
ple : ils ne sont pas seuls à mentir pour
le compte de la Bête Rouge, et ils ont
des confrères très zélés à Paris, Londres
Berlin, Vienne et Buda-Pesth.
L A RÉVOCATION DE KARATHÉODORI EF–
FENDI.
—
Vo i c i en quels termes
Ylkdam
et les autres journaux turcs annoncent l a
révocation de Karathéodori effendi, mi –
nistre ottoman à Bruxelles et à Berne,
coupable surtout de n'avoir pas réussi à
faire expulser de Genève tous les réfugiés
politiques ottomans, arméniens, macédo-
doniens, turcs et autres.
«
Stephanski Karathéodori effendi a
demandé sa retraite disant qu'il avait plus
de quarante ans de services. »
Le bureau de la presse à Constantinople
est habile aux euphémismes. N'avons-nous
pas appris la mort de M . Carnot par le
surprenant communiqué :
M . Carnot, président de la République
Française, s'est trouvé mal à neuf heures et
demi du soir ; i l est mort à une heure du ma–
tin.
Quant au Shah de Perse, tué par un babi,
qui était du reste parti de Constantinople,
tout le monde sait que selon les mêmes
historiographes, i l mourut à l a suite d'une
promenade en voiture.
Abd-ul-Hamid ne permet pas que des
personnes souveraines disparaissent ainsi
d'un coup de poignard. Cependant, envi–
r onné comme i l l'est de l'universel amour
de son peuple, i l est le dernier qui ait à
redouter une fin si brusque.
L A MATINÉE DU VAUDEVILLE.
—
C'est
par suite d'une erreur que dans notre der–
nier numé r o nous avions donné trois
mille francs comme le chiffre total de l a
somme adressée par la
Ligue des Droits
de VHomme
au patriarche a rmén i en , après
la matinée du Vaudeville. L a somme to–
tale — recette et produit de souscriptions
—
s'élevait en réalité à 4-6n fr- a5 qui
ont été intégralement transmis au pa–
triarche Ormanian.
D O C U M E N T S
Rappo r t sur le massacre d'Orfa
» 8
et 3 9 octobre, » 8 et
3 9
d é c e m b r e 1 8 9 5
Le vice-consul Fitzinaurice à Sir Ph. Currie.
Orfa, le
16
mars
189
O.
Monsieur,
Je suis arrivé ici le io mars, selon les ins–
tructions que Votre Excellence m'a télégra–
phiées le 7. Les épouvantables événements
des deux derniers mois de
1895
semblent
encore planer sur la ville comme un sombre
nuage; le quartier arménien, en particulier,
offre l'aspect d'une ville détruite et dévastée;
on le dirait soumis à un châtiment plus ter–
rible que la guerre et la conquête, malgré
tous les efforts faits pendant les dix dernières
semaines pour effacer les traces de ces tristes
événements. Les magasins, portes et fenêtres
brisées, restaient vides et abandonnés. A la
lettre, on ne pouvait découvrir un habitant
du sexe masculin; seules, quelques fillettes
et quelques femmes, en haillons, mal nour–
ries, la terreur empreinte sur leur visage,
erraient dans les rues, sans doute à la recher–
che des choses les plus indispensables, du
pain sec et quelque lambeau d'étoffe.
On parlait de nouveaux massacres pour la
fête du Baïrani qui approchait. La population
musulmane, encouragée par l'impunité accor–
dée à tous ceux qui avaient pris part aux
troubles précédents, menaçait ouvertement
d'anéantir entièrement les chrétiens armé–
niens pendant les prochains jours de fête.
Avant le
2 5
décembre
189,5,
Orfa comptait à
peu près 65,ooo habitants, dont
2 0 , 0 0 0
Armé–
niens, 3,ooo ou
4
,000
Jacobites, Chaldéens,
Syriens-catholiques, Grecs-catholiques, Ma–
ronites et Juifs ; les
40
J
°°
0
restant étaient
des musulmans turcs, kurdes ou arabes.
Votre Excellence sait qu'il y a eu deux
massacres à Orfa, le premier, le
2 8
et le
29
décembre de la même année. 11 ont eu des
causes éloignées et des causes immédiates.
La politique du gouvernement turc dans la
question arménienne depuis la dernière guerre
contre les Russes, a poursuivi le but cons–
tant d'amener l'épouvantable catastrophe. Il
s'était refusé depuis douze ou quinze ans à
exécuter les réformes promises par les traités
aux provinces arméniennes, et avait poussé
au désespoir un certain nombre d'Armé–
niens, qui songèrent à préparer une révolu–
tion. Au lieu de distinguer les innocents des
coupables, les fonctionnaires ottomans pré–
férèrent, soit par ignorance, soit surtout par
intérêt pécuniaire, considérer tous les Ar–
méniens comme des traîtres, dont la seule
idée était de secouer le joug turc. Le gouver–
nement central partagea cette manière de
voir. Quelques Arméniens avaient comploté :
ce fait fut noyé dans un flot d'accusations
controuvées, de documents prétendus sédi–
tieux, de rapports mensongers, de listes
fictives de comités révolutionnaires. Dès que
le gouvernement manifestait le désir d'en
recevoir, les dénonciations pleuvaient de
partout ; c'est comme cela que les choses se
passent en Orient. Des. employés turcs et
des musulmans influents répandirent crimi–
nellement ces faux soupçons dans la grosse
masse de la population musulmane ignorante
et incapable de juger. La loi du Chéri pres–
crit que si les rayas (chrétiens) essayent de
chercher un appui
(
de/chalet)
auprès des puis–
sances étrangères, d'augmenter les privilèges
(
bérat)
à eux accordés par leurs maîtres et
de secouer leur joug, ils perdent tous leurs
droits à la vie et à la propriété : ils sont
livrés au bon plaisir des mahométans. Le
peuple connaît eette l o i ; i l estime que les
Arméniens l'ont enfreinte en s'adressant aux
puissances étrangères; c'est pour lui une
chose juste, c'est un devoir religieux d'anéan–
tir les Arméniens et de s'approprier leurs
biens.
On voit par ce qui vient d'être dit, si odieux
que cela paraisse, que la méfiance et le fana–
tisme des populations musulmanes avaient
déjà été sollicités et attisés, lorsque se pro–
duisit en septembre dernier la démonstration
de Constantinople.
Je me suis enquis soigneusement de ce qui
s'est passé à Orfa, voici la conviction à
laquelle je suis arrivé : i l régnait parmi les
Arméniens un grand mécontentement, par–
faitement fondé, à mon avis: dans ces der–
nières années, ils ont été, en fait, traités
comme hors la loi, aussi bien que leurs frères
d'Anatolie; malgré cela ils ont commis très
peu d'illégalités proprement dites.
Des sociétés secrètes arméniennes d'Eu–
rope ont essayé, comme l'on sait, d'intro–
duire dans la région d'Alep des matières
explosives, des fusils et des écrits révolution–
naires. A Orfa leur suceès a été extrêmement
mince. On croit qu'ils ont fait passer en con–
trebande quelques pamphlets révolution–
naires, mais pas d'armes ni de matières
explosives.
Orfa n'appartient géographiquement pas à
l'Arménie, mais à la Mésopotamie ou àl'Ara-
bistan.
Tel y était l'état des choses, lorsque, aus–
sitôt après la démonstration arménienne de
Constantinople, arriva dans la ville un ordre
émanant, à ce que l'on croit, du gouverne–
ment central, et disant que si les Arméniens
faisaient la moindre tentative pour causer
des troubles, i l fallait être très rigoureux à
leur égard ; que s'ils opposaient une résis–
tance, i l fallait leur infliger une leçon terrible
(
terbyye chedide).
Le gouvernement central,
connaissant la haine des inahométans contre
les Arméniens, devait savoir quelles consé–
quences fatales un ordre pareil aurait dans
les provinces ; l'envoyer, c'était assumer une
grosse responsabilité.
Les mahométans, ici et ailleurs, l'interpré–
tèrent comme un désir du souverain de voir
Fonds A.R.A.M