liens qui rattachent le Kurdistan et
l'Arménie à la Turquie ; ce que je
veux, c'est arracher le Kurdistan à
l'état d'anarchie et d'abjection sociale
où l'a plongé le joug déshonorant de
la Turquie qui a fait de ce peuple
guerrier un instrument de tyrannie et
de destruction au service de l'absolu–
tisme turc, et qui l'a pour ainsi dire
rayé du rang des nationalités civi–
lisées.
«
Ce que je veux, c'est me servir de
mon influence incontestable sur la na–
tion kurde pour rétablir l'ordre, la sé–
curité et la dignité nationale. Van ,
Diarbékir, Bitlis, Erzeroum, toutes les
villes, tous les populations même s dé
la campagne attendent mon arrivée.
Les armes sont déposées dans les en–
droits les plus divers, et aussitôt que
j'aurai pénétré dans le Kurdistan, j ' au–
rai une a rmée de 100,000 hommes
prête à me suivre.
«
Il n'est point de puissance qui puisse
m' empêche r de foulerle sol du Kurdis–
tan, et i l n'est point de puissance qui, le
jour où j'aurai foulé ce sol, puisse em–
pêcher mes plans de se réaliser. Je tiens
à dire hautement ce à quoi je suis ré–
solu. Mon peuple m'attend et je veux
qu'il sache que je vais vers l u i . C'est
un peuple fort à qui i l ne manque
qu'un chef énergique pour se montrer
digne de reprendre sa place en se
montrant capable d'obéir aux lois et
de faire respecter ses libertés con–
quises. Mon peuple sait que je suis
digne d'être le fils de mon père. De
mon côté, je sais que mon peuple est
digne d'avoir à sa tête quelqu'un qui
est résolu à tout sacrifier pour l u i faire
rendre la justice à laquelle i l a droit. »
La lettre de Diarbékir que nous pu–
blions ci-dessus, signale un grand mé –
contentement chez les Kurdes. Il est
certain, d'autre part, que. ceux-ci, en
échange de divers impôts vexatoires
et arbitraires qu'ils avaient coutume
de prélever (impôt de
hafir
sur les
troupeaux et les récoltes, impôt de
hala
sur les dots des filles), assuraient
aux Arméniens une tranquillité rela–
tive et les défendaient au besoin con–
tre d'autres tribus nomades. Depuis
que le Sultan les a excités contre les
Arméniens, ils observaient beaucoup
moins fidèlement ce devoir quasi-féo–
dal de protection.
Onnepeut dire jusqu'à quel point une
entente serait profitable aux Armé –
niens dans le cas où Osman-Pacha
mettrait ses projets, à exécution, sans
compter qu'il y a peut-être de sa part,
à les révéler ainsi, quelque imprudence
ou trop d'adresse. L'événement en dé –
cidera ; et après tout, si ce révolté
d'aujourd'hui passe des paroles à l'acte,
nos sympathies iront plutôt à lui qu'au
Sultan.
NOUVELLES D'ORIENT
E N MACÉDOINE.
—
Des arrestations
en niasse ont eu lieu de nouveau à Monas–
tir, à Kruschevo, à F l o r i n a et en Albanie,
à Kossovo. C'est surtout contre les insti–
tuteurs ma c édon i en s que s'acharne l a po–
lice hamidienne.
Cependant de tous côtés, ce ne sont que
meurtres de Macédoniens, selon le sys–
tème des petites tueries qui précèdent et
suivent d'ordinaire les grands massacres.
Nous empruntons à
l'Effort
l a liste des
plus récents méfaits :
21
octobre.
—
Attaque du village de
Zavovo par un lieutenant à l a tête de
vingt soldats et i5o bachibouzouks. Ten–
tative de défense. Pillage général. Arres–
tations nombreuses : six paysans sont
encore en prison de ce fait à Ghevegli.
Fin octobre.
—
Destruction du village
d'Orizartzè par
100
bachibouzouks.
io novembre.
—
Le village de Kitchevo
ayant été pillé, par l a bande d'Ismaël
Tchaouch, le gouvernement en a profité
pour emprisonner quelques personnes,
accusées d'avoir caché des révolutionnai–
res. Même scène à Malo-Tzyrusko : plu–
sieurs jeunes gens, le maire et des nota–
bles ont été envoyés à Monastir.
Enfin, d'après une correspondance de
Salonique, publiée par la
Politische Cor–
respondes
de Vienne, des cruautés nom–
breuses ont été commises par les Albanais
musulmans contre les habitants des dis–
tricts d'Ipek, Gostivar et Giljan. Dans
douze localités, la population a été mena–
cée de massacre si elle ne payait une ran–
çon. Dans deux localités où l a somme n' a
pas été versée l a menace a été exécutée.
U n village a été brûlé et dans deux autres
un grand nombre de femmes ont été em–
mené e s en captivité. U n seul chef de
bande est accusé d'avoir, depuis huit ans,
tué de sa main
200
chrétiens.
Ce n'est là qu'une très minime par–
tie des atrocités commises avec l'aide et
sur l'instigation des fonctionnaires placés
là par le Palais, avec l a mission spéciale
de protéger les brigands subalternes qui
travaillaient pour la plus grande joie de
l'assassin en chef.
ALEXAN ARZOU I AN .
—
Alexan Arzouian,
dont nous avions annonc é la mise en l i –
berté, vient de rentrer à Paris avec sa fian–
cée, M
l l e
S. R . Celle-ci nous prie de déclarer
que nous manquerions àl'équité enrendant
responsable des persécutions dont elle fut
l'objet tout le personnel du consulat et de
l'ambassade de France. Elle eut au con–
traire à se louer de
quelques
personnes
que nous nous garderons bien de nom–
mer, pour ne les point signaler à l'animad-
version de leur chef immédiat, S . E . Cons-
tans-Cheker-Pacha, récemment promu par
le Sultan au plus haut grade des ordres
impé r i aux .
EMILE GAL L E , LES ARMÉNIENS ET LE
SULTAN.
—
Emile Galle, le maître verrier
et le maître ébéniste de Nancy vient d'être
nommé commandeur de la Légion d'hon–
neur sur l a proposition duministre du
Commerce. M . Millerand se serait-il sou–
venu du temps où, simple député, i l était
le conseil de M . Ahmed Riza et pronon–
çait contre Abd-ud-Hamid de terribles ré–
quisitoires à la tribune de l a Chambre ? I l
a commis un crime de lèse-khalifat en dé–
corant Emile Galle : celui-ci a maintes
fois manifesté sa haine et son dégoût pour
le grand assassin, par des paroles et par
des œuvres. A l'Exposition, on pouvait
voir signé de lui un meuble épigraphié de
ce vers d'Hugo :
Prenez garde à la sombre équité ! prenez
{
garde !
C'était « le
Sang d'Arménie,
meuble
console en noyer turc, mosaïque de bois
naturels. Le pêcher,
prunus armenia-
ca,
est l'arbre national du pays martyr.
—
Les rameaux en fleurs, en pleurs s'in–
crustent, entaillés dans l'onyx oriental qui
sert de tablette à cette console doulou–
reuse ; on y voit passer sur des champs
fauchés de tulipes, on y voit rugir la folie
féroce, le souffle de rage et de mort de
\'
Homme maniaque,
derrière des horizons
de meurtre et de viol, églises, bourgades
en flammes, provinces embrasées, dans
des marais de rubis caillés... »
Et dans une des vitrines, inachevé en–
core, saignait un étrange et terrible vase
de cristal, de pourpre et de nuit, où se
coagulaient, encore et toujours, de lourds,
d'opaques caillots de sang. Dans la pen–
sée d'Emile Galle, ce tragique calice est
dédié aux six grandes puissances de l'Eu–
rope, afin qu'elles puissent communier,
sous les espèces du massacre, au banquet
Fonds A.R.A.M