P R O A R M E N I A
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(
.)
M . Atkin des compliments qu'il avait bien
voulu lui adresser sur son action au Pa r –
lement français. Il déclare qu'il regrette
l'absence de MM . Denys Cochin et d'Es–
tournelles de Constant. Leur présence à ce
banquet, à côté de lui, eût symbolisé cette
union de tous dans la question armé–
nienne, que M . Atkin avait définie si heu–
reusement.
Le docteur Loris-Melikoff, au nom de
ses amis arméniens, prononce ensuite une
allocution sur le but que s'est proposé
Pro Armenia
et les conditions dans les–
quelles i l a été fondé.
En voici le texte :
MESDAMES ET MESSIEURS,
Permettez-moi d'abord de vous dire com–
bien je suis reconnaissant à tous ceux qui
ont bien voulu honorer de leur présence
cette manifestation intime. Au nom de mes
amis, les fondateurs du
Pro Armenia,
je
leur adresse à tous l'expression de toute
notre gratitude.
Comment et par qui
Pro Armenia
fut-il
fondé, c'est ce que je voudrais vous dire
sommairement. L'idée en revient tant aux
amis français de l'Arménie qu'aux intellec–
tuels arméniens dont le nombre grandit sans
cesse à l'étranger, à cause, hélas! de l'émi–
gration croissante de nos compatriotes. La
réalisation aussi de cette idée appartient à
ces intellectuels obligés d'abandonner leur
pays par milliers pour échapper à la plus
épouvantable oppression.
Ces fondateurs de
Pro Armenia
sont sur–
tout des anonymes, des hommes d'action
répandus sur tous les points du globe comme
dans leur propre pays. Pauvres, la plupart,
ayant souvent à peine de quoi vivre, ils
apportèrent leur obole pour créer ce journal
dont ils assurent seuls encore aujourd'hui
l'existence ; encore ne le peuvent-ils faire
que grâce au désintéressement absolu des
rédacteurs français.
Une opinion très répandue, surtout parmi
les adversaires de notre cause, prête à tous
les Arméniens les qualités de commerçants
très riches, voire d'usuriers. C'est là une
idée profondément fausse qui est explicable
par ce fait que la petite minorité de la nation
arménienne, qui se livre uniquement au
négoce, est davantage en rapport avec les
populations des autres nations. Cette caté–
gorie de nos compatriotes a souvent mérité
par ses fautes et ses vices les critiques dont
elle a été l'objet. Elle est d'ailleurs le pro–
duit du milieu dans lequel elle s'est déve–
loppé, du régime corrompu qu'elle a dû
subir. Je dois dire que, d'eïle, notre œuvre
n'a reçu aucun appui, ni moral, ni matériel.
La masse profonde du peuplé arménien,
de ce peuple martyr qui se débat entre la
vie et la mort, et dont vous connaissez la
situation tragique, n'a de son côté ni la
lorce, ni aucun des moyens d'aiderceux qui,
en France, luttent pour sa cause.
Les populations surtout pacifiques et
agricoles, qui composent la grande majo–
rité de la nation arménienne* épuisées par
des siècles de servitude sous le joug des
despotes orientaux, privées du droit de pos–
séder des armes et de tout moyen juridique
de défense, ne peuvent déployer contre leurs
oppresseurs la combativité si admirée chez
les Boers. Cependant, il me sera permis de
rappeler qu'ils surent combattre les héros
de Zeïtoun, qu'ils surent mourir les martyrs
d'Andrinople !
Tous les Arméniens sont d'accord dans
leurs revendications essentielles. Ils désirent
tous que le peuple martyr puisse enfin
respirer et acquérir les moyens de se déve–
lopper normalement.
Aucune action positive ne peut être
poursuivie, si ceux qui l'ont engagée
n'ont pas un idéal vers lequel ils tendent.
Ce but pour nous, c'est le plein épanouis–
sement de notre race, intellectuel, moral et
physique, son développement dans le sens
des idées de justice et de progrès que nous
devons à ces grands esprits de l'Europe
moderne dont notre éminent ami Georges
Brandès a justement dit qu'ils expriment
d'une manière précise et concrète l'idéal de
toute une époque.
Pour la réalisation des buts immédiats que
nous nous proposons, des différences de
tactiques se présentent naturellement. Elles
vont depuis la politique d'effacement et
d'humiliation jusqu'à l'emploi des moyens
les plus énergiques dans la lutte contre la
tyrannie la plus effroyable que l'humanité
ait jamais connue. Organe d'union,
Pro
Armenia
a toujours été favorable à tous
ceux qui, quelque prudents qu'ils fussent,
savaient agir avec dignité. Les Arméniens,
en agissant de cette façon, ne feront que
suivre les enseignements des hommes qui
ont bien voulu patronner
Pro Armenia.
C'est pourquoi les intellectuels arméniens,
au nom desquels je parle plus particulière–
ment, veulent adapter leur action quoti–
dienne à ces principes moraux et politiques.
Par conséquent, toute défaillance à ces prin–
cipes, toute parole qui ne correspond pas à
l'acte, tout ce qui ne serait pas le sacrifice
de l'intérêt particulier à l'intérêt général, ils
voudront l'écarter.
La lutte que nous poursuivons est pleine
de difficultés qui peuvent parfois nous sem–
bler insurmontables. L'Europe, malgré ses
engagements formels, est indifférente — du
moins dans la personne de ses gouvernants
—
aux revendications du peuple arménien.
Malgré les crimes du sanglant despote qui
font frémir le monde entier, rien n'a pas
encore pu les décider à intervenir.
Malgré cela, mes amis et moi, nous ne
nous décourageons pas. Nous ne sommes
pas pessimistes, mais plutôt optimistes,
Mon illustre maître de l'Institut Pasteur
Mentehnikolïa dit que si les idées optimistes
et pessimistes existent depuis les temps les
plus reculés, l'optimisme cependant est
propre à la nature humaine, et que par con–
séquent plus l'homme se perfectionnera, plus
cet optimisme se développera. Nous sommes
doue, des optimistes, nous croyons au succès
dé notre cause, et si nous ne sommes pas
très nombreux, nous sommes étroitement
unis dans la lutte. A la puissance matérielle
écrasante de notre adversaire, nous opposons
la hauteur de notre idéal de justice et de
solidarité, la foi que nous avons en lui, et
la force que des hommes tels que vous,
apportent à sa réalisation.
Le grand critique danois Georges Bran–
dès qui, un des premiers en Europe prit
en main la défense des Arméniens, exprima
en une allocution extrêmement spirituelle
ses sympathies pour les victimes du Sultan-
Rouge.
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s'étonna de l'indillërence et de la
légèreté coupable de la presse qui con–
sacre des colonnes à des faits sans intérêt,
qui s'émeut beaucoup de quelques assassi–
nats individuels, mais ne trouve pas le
moyen de protester contre l'exlerminalion
de tout un peuple.
Notre éminent ami le professeur Gam-
barofï examina ensuite, en une savante
improvisation la question arménienne au
point de vue du droit international.
MESDAMES ET MESSIEURS,
Je n'apprendrais rien de bien nouveau à
l'assemblée ici présente, si j'annonçais que
la question arménienne est une question du
droit international. C'est son faible en même
temps que son fort : son faible, puisque le
droit international est, comme chacun le
sait, dépourvu de toute sanction efficace;
son fort, puisque ce même droit se trouve au
point de départ comme au point d'arrivée de
toute évolution du droit. En se rattachant à
cette évolution générale dû droit, la cause
arménienne cesse d'être une cause nationale
pour devenir celle de tous les peuples en
marche vers le progrès et la justice. Mais n'est-
il pas vrai que le droit international se pose
en môme temps à l'aube et à l'épanouisse–
ment de notre civilisation ? Cettaproposition,
quelque paradoxale qu'elle puisse paraître,
correspond strictement à la vérité historique,
et je vais le démontrer avec le moins de mots
possible.
Le droit s'était primitivement formé et
s'était dégagé de la religion, de la morale
et des autres faits analogues dans les
relations non pas de l'individu à l'individu,
mais des différents groupements sociaux
entre eux. L'individu au point de vue du droit
n'était rien, le groupe était tout; le droit in–
dividuel n'existait pas, il n'y avait que des
droits collectifs. Ces groupes sociaux ne
reconnaissant aucun droit individuel à leurs
membres étaient aussi autonomes, c'est-à-
dire absolument indépendants les uns des
autres et si, dans les temps les plus reculés,
ils se traitaient continuellement en ennemi,
envers lequel tout était permis, l'ère histo–
rique nous présente ces mêmes groupes
déjà en contact et en rapports réglés par le
droit.
La sanction de ce droit, d'abord très
imparfaite et basée exclusivement sur la su–
périorité du plus fort, se perfectionne peu à
peu avec l'élargissement des groupements
primitifs et le développement des différents
organes de la justice. Nous assistons à la
transformation du droit n'existant; aii cOm-
Fonds A.R.A.M