ville de la malpropreté et l'air de la puan–
teur, elle souffre que les eaux sales des la–
voirs et les eaux ménagères coulent dans les
rues et comme amende pour cette malpro–
preté, par des moyens coercitifs, elle perçoit
une somme considérable. Faut-il ajouter que
cette loi est seulement applicable aux chré–
tiens et surtout aux Arméniens ; et pourquoi?
C'est sans doute pour habituer à la propreté
un peuple dont le Sultan
qui aime ses sujets,
a le soin particulier de garder non seulement
les biens et la vie, mais aussi la santé.
Et, tandis que les chefs des pays euro–
péens civilisés dépensent des sommes consi–
dérables pour la propreté, nos fonctionnaires
municipaux, bons économistes, ont fait de
cela une source extraordinaire et très abon–
dante de revenus qui atteint une somme de
2
ou
3
,
ooo piastres par semaine.
Il reste seulement des prisonniers politi–
ques, Garabed effendi Guesdérélian, cama–
rade de Haïgouni effendi ; ceux-ci auraient
été condamnés à mort en
I
8
Q
5 ;
cet arrêt fut
ensuite changé en un arrêt d'interdiction
dans une enceinte fortifiée. Dernièrement,
à l'occasion de l'amnistie générale, Haïgouni
effendi fut relâché ; mais son camarade gé–
mit encore dans la prison à cause de l'in–
fluence et des efforts de son ennemi person–
nel, le nommé Abd-ul-Kader, un Turc très in–
fluent et riche. En outre, un mois et demi
avant la date de ma lettre, furent emprison–
nés à Sis les deux frères Krikor et Garabed,
dont la faute est d'avoir gardé, i l y a huit,
dix ans, quelques feuilles de
Hentchak ;
i l
n'y a pas encore d'arrêt concernant ces doux
derniers.
Dernièrement, dans le village de Guében à
Zeitoun, furent tués deux Turcs, mari et
femme ; comme auteurs de cet assassinat
sont arrêtés trois Arméniens dont deux à
Guében et le troisième à Mersine, un ou–
vrier nommé Vartavar ; ce dernier déclare
dans son interrogatoire qu'il travaille chez
les nommés Panoss et Guiragoss. Aussi le
nommé Panoss, commerçant, est-il empri–
sonné à Mersine, et le nommé Guiragoss,
également commerçant, est-il emprisonné
dans la môme ville ; la police a fait des re–
cherches chez eux ; mais ne trouvant au–
cune preuve de complicité, après un empri–
sonnement d'un mois et un interrogatoire
très sévère, on les a acquittés. Le gouverne–
ment ne se contentant pas de cela, envoie
immédiatement quelques centaines de sol–
dats à Guében, qui maltraitent les pauvres
paysans afin de leur faire découvrir les deux
autres complices des soi-disant criminels,
également arméniens. Nous ne savons pas à
quoi va aboutir cette affaire.
Depuis les derniers événements i l est im–
possible aux Arméniens d'aller aux villages
voisins pour le commerce ou de travailler
dans les fermes voisines comme ouvriers ou
agriculteurs; des atrocités inouïes sont com–
mises à leur égard.
Dans l'intervalle du semestre dernier plus
de
80
assassinats ont été commis publique–
ment et leurs auteurs presque sans exception
sont acquittés comme innocents; mais comme
malheureusement on n'a pas pris soin d'ins–
crire les noms des pauvres victimes nous
passons sous silence et nous nous contentons
de rappeler un fait qui eut lieu dernièrement.
Quatre personnes furent dévalisées sur le
chemin qui conduit à Sis, les deux premières
de Sis, et les autres de Hadjin. L a somme
volée était de
120
livres. Les brigands qui,
bien entendu, sont des Turcs, ne sont pas en–
core arrêtés et ne le seront jamais puisque
personne ne s'en occupe. Outre quelques très
rares exceptions, i l est défendu expressé–
ment d'entrer à Constantinople à tout homme
à quelque classe qu'il appartienne, et sur–
tout à l'époque de l'anniversaire de l'avène–
ment et de la naissance du Sultan. Pour les
commerçants de notre pays, la seule porte
ouverte c'est Beyrouth d'où les commerçants
se procurent leur nécessaire. Il faut ajouter
que les fonctionnaires du gouvernement pro-
titent de ce va-et-vient pour
engraisser
leurs
bourses.
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est impossible de décrire l'état des pau–
vres Arméniens qui arrivent en masse à Mer–
sine, pour s'enfuir en Europe et surtout en
Amérique par l'aide des agents de police à
qui on a graissé la patte, et qui n'hésitent pas,
après avoir pillé les pauvres victimes, à les
livrer au gouvernement.
Il y a trois semaines, le consul anglais de
Mersine s'en va pour chasser à Hamidié, vil–
lage situé à huit ou neuf heures de la ville.
Son domestique, qui était un Arménien et qui
portait le chapeau, est arrêté et emprisonné
comme punition de son audace; i l fut à grand
peine acquitté, sur la demande du consul, qui
exigea enmême temps la révocation de l'agent
audacieux; mais cette dernière demande resta
sans résultat.
Quatre ou cinq mois avant la date de ma
présente lettre, sur l'instigation d'un jeune
turc, une jeune fille de treize ans s'enfuit de
la maison de son père, le nommé Guiragoss
coutelier; sur la demande du père et par l'en–
tremise de l'évêque du lieu, on s'adressa au
gouvernement local et la fille fut amenée de
la maison où elle se trouve chez le juge, pour
sa sûreté sans doute; ce dernier, âgé de pres–
que cinquante ans, comme moyen très
certain, épouse la jeune fille. Le fait est an–
noncé au Patriarcat qui, à son tour, s'adresse
au ministère de la justice; ordre fut donné au
gouverneur de ramener la jeune fille chez ses
parents, mais le fait est que la jeune fille est
encore chez le juge comme sa femme légi–
time.
Mes salutations sincères.
Le nom de Moussa-bey est sinistrement
illustre dans le martyrologe a rmé n i e n . Ce
bandit fut un précurseur à sa man i è r e : i l
avait commis tant de méfaits dans la ré–
gion de Mouch qu'on se décida à l'arrêter
et à le juger pour la forme. E n effet, le
procès fut évoqué à Constantinople, et
trente familles a rmén i enne s durent s'im–
poser les frais d'un voyage ruineux pour
venir assister à une comédie judiciaire.
Moussa-bey était, en effet, traité comme
l'hôte du Sultan, en accusateur bien plus
qu'en accusé. I l fut naturellement acquitté.
Tcheuk Merzmen, en
1895,
avait servi
de refuge à six mille Armé n i e n s environ,
échappés aux massacres de la région : ils
furent assiégés par des bandes de Kurdes
et de Circassiens qui opéraient sous l'œil
amical des troupes régulières. Les malheu–
reux durent capituler, à condition que
leurs adversaires seraient désarmés comme
eux-mêmes. L a condition n'a pas été rem–
plie : le plus grand nombre fut massacré.
Le rapport collectif des ambassades ajoute
en son impitoyable concision : « Dans
toute cette région, de nombreux cadavres
en putréfaction demeurent sans sépulture
dans la campagne. »
(
A suivre.)
LES KURDES ET LE SULTAN
Le correspondant du
Matin
à Lo n –
dres, a eu une entrevue fort intéres–
sante avec le général Osman-pacha,
l'un des quarante fils du célèbre bey
Kurde Bedrehan, qui fut interné dans
l'Archipel en 1840, après une lutte
épique contre la domination ottomane.
Osman Pacha est le frère d'Abdur-
rhaman-bey, que le Sultan vient de
faire condamner par défaut à la dé –
portation perpétuelle dans une en–
ceinte fortifiée. Il se dit prêt à prendre
la tête d'un .mouvement révolution–
naire dirigé contre Abd-ul-Hamid,
dans les provinces d'Asie Mineure, où
les Kurdes et les Arméniens réconciliés
s'uniraient contre leur commun op–
presseur. Voici ses déclarations :
«
Je ne suis ici qu'en passant. Dès que
la saison le permettra, par une route
à moi connue, accompagné de parti–
sans que j ' a i non seulement en Europe
mais même en Egypte, je vais rega–
gner le Kurdistan. Mon peuple tout
entier m'attend et je marche d'accord,
la main dans la main, avec toute la
population a rmén i enne . Kurdes et A r –
méniens, secrètement armés, en ce
moment, n'attendent que mon arrivée
pour se soulever comme un seul
homme et pour engager contre la Tur–
quie une lutte à mort, une des luttes
probablement les plus formidables que
l'empire ottoman ait eu à soutenir.
«
Ne voyez en moi ni un fou ni un
rêveur. Je ne rêve point de briser les
Fonds A.R.A.M