Il est bon d'ajouter que la personne du
Sultan ne fut épargnée par aucun des ora–
teurs et que MM . Jean Bernard et Pierre
Quillard qualifièrent, comme i l convenait,
lapolitiquede M . Gabriel Hanotaux. M. Jean
Bernard en particulier s'éleva avec une rare
véhémence contre ce ministre criminel.
Dans la séance de dimanche matin, sur
la proposition du délégué des étudiants
arméniens, soutenue avec énergie par
M. Frcdrikscn, l'éminent économiste da–
nois (celui-ci alla jusqu'à dire dans ce
Congrès pacifique «
qu'une guerre serait
légitime pour mettre le Sultan à la raison »),
il fut décidé qu'il serait fait mention de
l'Arménie dans
VAppel aux n lions.
Voici
le texte de ce document :
Depuis qu'ont éclaté la guerre sud-afri–
caine et la guerre des Philippines, depuis
que se sont déroulés de cruels événements
en Arménie, voici la troisième fois qu'en clô–
turant leur Congrès annuel, les Sociétés de
la Paix adressent aux peuples un appel pour
leur demander d'instaurer, sans plus tarder,
la concorde internationale.
Depuis trois ans, une lutte odieuse soulève
la réprobation universelle. Les efforts de
ceux qui veulent substituer au règne de la
force le règne du droit en sont-ils moins
justifiés? Nous ne l'estimons pas, au con–
traire !
Jamais, d'ailleurs, le soulèvement de la
conscience humaine ne s'est autant accentué
qu'aujourd'hui contre le meurtre collectif
qu'est la guerre, cette peine de mort appli–
quée sans jugement à un nombre considé–
rable d'innocents. Jamais non plus n'a été
moins contesté le principe fondamental du
droit des peuples comme le droit individuel,
qu'on ne peut se faire justice à soi-même et
que la reconnaissance d'un droit contesté
doit émaner d'un juge.
Les amertumes de l'heure présente ne nous
découragent donc pas : Elles ne font que
rendre encore plus évidente la nécessité de
la tache que nous nous sommes imposée,
mais pour le succès de laquelle le concours
de tous les hommes de bien et de bonne
volonté nous est indispensable.
Nous voyons, et le monde entier voit avec
nous, la force brutale impuissante à résou–
dre les questions soulevées dans l'Afrique
du Sud et les armées anglaises tenues en
échec par un petit peuple décidé à défendre
son droit imprescriptible et inaliénable de
disposer librement de lui-même. C'est la
banqueroute de la guerre, à laquelle nous
opposons la paix, une paix à organiser de
telle manière que tout litige international
soit réglé normalement et conformément au
droit.
Le présent Congrès, ouverten présence de
délégués appartenant à vingt-deux pays dif–
férents, a précisé, en les appliquant à des
cas d'actualité, les principes du droit inter–
national futur, qui couvrira un jour de son
égide la famille humaine, rendue à ses des–
tinées de paix, de justice et de bien-être.
Nul ne conteste plus aujourd'hui que le
bien-être des populations laborieuses ne
doive être l'objectif principal de tous les
gouvernements civilisés. Il est aussi incon–
testable désormais que la question sociale
est ayant tout une question internationale^
Jamais la misère des masses populaires ne
pourra être atténuée aussi longtemps que
durera l'anarchie actuelle (d, le militarisme
outré qui en est la conséquence.
Mais les nations ne croient pas pouvoir
désarmer parce qu'elles s'imaginent que
l'antagonisme de leurs intérêts est irréduc–
tible. C'est là une erreur grossière qu'il
imperte de rectifier. Il n'y a pas d'antago–
nisme entre ce qui est l'intérêt des nations,
mais seulement en ce qui parait l'être. 11
Suffirait donc qu'il y eut concordance entre
ce qui est et qui parait être pour que la
fédération de l'humanité se lit immédia–
tement.
L'intérêt primordial de tout individu,
comme de toute nation, est la sécurité pour
travailler et pour vaincre la misère, les
peuples doivent avoir la certitude qu'aucune
invasion du voisin ne viendra détruire, en
quelques jours, les fruits de longues années
de labeur pénible et acharné. I.a sécurité est
donc le bien le plus indispensable à tous.
Elle serait établie immédiatement d'une
façon définitive si les peuples, ne s'imagi–
naient pas ce qui cependant est chimérique,
qu'il leur est possible d'assurer leur propre
sécurité sans respecter celle d'aiitrui.
Après la sécurité, l'intérêt le plus impor–
tant des individus et des peuples est de jouir
complètement du fruit de leur travail. Pour
cela, il faut avoir la faculté de vendre et
d'acheter ce qui est nécessaire dans tous les
pays du monde, sans aucune restriction. La
liberté complète des marchés est le plus
impérieux de tous les besoins. L'erreur
consiste seulement à croire qu'il est possible
pour une nation d'exporter un produit sans
qu'une nation n'importe ce même produit,
dans le même moment. L'erreur consiste à
vouloir disposer du marché universel sans le.
libre échange universel.
Ce qui divise les nations, ce ne sont pas
les intérêts mais les erreurs. Le temps est
venu d'ouvrir enlin les yeux et de comprendre
celte vérité élémentaire. Le bien-être de
chaque nation n'est possible que parle bien-
être de toutes les nations- Non seulement i l
n'y a donc pas d'antagonisme entre les i n –
térêts réels des nations, mais, au contraire,
il y a entre eux la plus complète solidarité.
C'est sous l'empire de ce sentiment profond
que le X I
e
Congrès universel de la Paix fait
appel à toutes les bonnes volontés, indivi–
duelles et collectives.
La conscience humaine s'est éveillée. A
tout jamais, la guerre est moralement con–
damnée, en attendant qu'elle soit rendue
matériellement impossible par des instilu-
tions internationales lutélaires. La paix fera
le tour du monde : efforçons-nous tous de
faciliter sa marche en écartant l'es obstacles
qui l'empêcheraient de passer !
A nous les hommes de cœur et de bon
sens, dont les regards se tournent vers un
avenir lumineux et non vers un passé de
ténèbres, de, sang et de ruines I
Enfin, dans la séance publique de l'après-
midi, M" ' " la baronne de Sutlner et M.
JacquesNovicowrevicnnent surla question
arménienne ; nous donnerons, d'après le
Petit Monégasque,
l'analyse de leurs dis–
cours :
M
1
"
1
'
la baronne de SUTTNER
('.'
est ensuite le tour de M"'* la baronne de
Snl Iner (Autriche), l'auteur du célèbre roman
Bas les Armes!
Avec une facilité d'élocution
vraiment rare chez une étrangère, cette émi-
nente femme de lettres qui est en même
temps l'une des apôtres les plus ferventes de
l'idée pacifique, retrace les impressions et
les souvenirs de la conférence de La Haye, à
laquelle elle a assisté, il y a trois ans. Aux
yeux du grand public, dit la baronne de
Suttner, la conférence de La Haye a paru
une œuvre manquée, ratée, et qui n'aurait
marqué que le néant des pacifistes et la
mauvaise volonté des gouvernants. A l'appui
de cette thèse, la foule cite pour exemple la
guerre du Transvaal qui a éclaté presque au
lendemain du Congrès de La Haye. Mais ce
n'est pas là, selon Mme de Suttner, une
preuve péremptoire.
I.a conférence en effet n'a logiquement pas
pu avoir de résultats immédiats, ("est de
l'avenir qu'il convient d'en attendre les effets.
Malgré tous les sarcasmes et les dédains, le
Congrès de La Haye a été un événement des
plus importants et le fondement d'un édifice
puissant, l'édifice de la juridiction interna–
tionale; les conventions issues d'elles n'ont,
il est vrai', point été respectées, mais la tâche
du mouvement pacifiste est précisément d'y
parvenir; cette tâche a été facilitée par un
aussi important événement ; désormais, au
lieu de dire aux puissances : « faites ce que
nous rêvons », les pacifistes ont le droit de
leur dire : « faites ce à quoi vous vous êtes
engagés ! » (Applaudissements). Il y a huit
ans, la question de l'arbitrage était traitée
de folie, niais les partisans de la paix ont loi
foi dans la justice et dans l'évolution néces–
saire de la raison, loi même de la.civilisation.
Sans doute, les atrocités contemporaines
prouvent qu'on est encore loin du but ; et à
ce sujet Mme de Suttner rappelle les mas–
sacres d'Arménie si éloquemment exposés
par M. Quillard. Mais qu'importe! Il faut
agir et, quant à elle, dès son retour en
Autriche, elle fera une propagande inces–
sante pour les Arméniens. Il y a aujourd'hui
une lutte entre l'esprit nouveau et l'esprit
ancien ; les membres du tribunal de La Haye
ont pu Oublier lés paroles qui y ont été dites,
mais les pacifistes, eux, ne les oublieront pas,
et ils les répéteront inlassablement jusqu'à
ce qu'elles pénètrent dans la conscience
publique. Les peuples, mal informés, igno–
rent ce qui s'y est dit et, par leur silence
inconscient, ils ont ratifié l'absence de résul–
tat qu'a eu la conférence de La Haye. Cepen–
dant l'idée est en marche; déjà dix-sept
Etats de l'Amérique du Sud ont signé en Ire
eux un traité d'arbitrage permanent, pour le
règlement de leurs conflits; ce n'est pas tout,
le Danemark, à propos de l'acquisition d'une
ile aux Indes occidentales, s'est engagé à
!
soumettre toute contestation à
CA
sujci m'
Fonds A.R.A.M