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p r o
A
r m e n i a
L a population arménienne s'y était
sensiblement accrue depuis le c om–
mencement du dix-neuvième siècle ;
aussi le gouvernement hamidien a-t-il
jugé opportun de « briser le noyau » ;
d'où les massacres de l ' an dernier.
E n dehors de la Grande Arménie, le
groupement le plus considérable réside
en C i l i c i e , dans le vilayet d'Adana,
autour de Si s et d'Hadjin e l dans le
vilayet d ' Al ep , au Zeïtoun, à Orfa et à
Ma r a sh . 11 atteint à un total de 230.000
âmes et à Had j i n et au Zeïtoun, les
Arméniens sont en majorité absolue.
Enfin dans le pays montagneux et
forestiers de Dersirn, ils sont en n om–
bre à peu près égal à celui de leurs
terribles voisins les Kurde s et, comme
les Ku r de s , demeurent à peu près i n –
dépendants du pouvoir central.
Il y a donc non seulement des Armé–
niens, mais encore une et même deux
Arménies, deux régions où i l est po s –
sible et nécessaire d'établir des auto–
nomies locales, un régime analogue à
celui du L i b a n ou de la Roumélie
orientale avant son annexion à l a B u l –
garie. L e mémorandum du 11 mai 1895
le reconnaissait implicitement, pu i s –
qu'il prévoyait l a réduction éventuelle
du nombre des vilayets, c'est-à-dire un
retour aux divisions administratives
antérieures qui faisaient de l'eyalet
d ' Er z e r oum une terre arménienne.
Ma i s inexacte aujourd'hui encore,
malgré l'effroyable saignée des années
dernicres, la thèse du gouvernement
turc, trop aisément acceptée par les
diplomates européens qui veulent,
«
éviter les affaires » , deviendra vraie
avant peu, si le sultan est laissé libre
de poursuivre son œuvre par les d i –
verses méthodes qu'il emploie, selon
les heures et les lieux. 11 y aura encore,
géographiquement et historiquement,
une Arménie, mais plus d'Arméniens.
Nous lâcherons, à Bruxelles, de pré–
venir l'accomplissement de ce crime
contre l'humanité.
Pierre Q U I L L A R D .
L I R E
M E R C U R E DE F R A N C E
Revue internationale
de Littérature et d'Art
P a r i s , 15, rue de l'Échaurîé.
Le Congrès de la Paix
Le onzième Congrès de la Paix s'est
réuni à Monaco, du 2 au 6 avril : deux cent
cinquante membres représentant vingt-
deux nations, assistaient aux séances. Le
Congrès a pris des résolutions importantes
touchant le libre-échange, le désarme–
ment, l'entente nécessaire entre les pacifi–
ques et les partis socialistes, la possibilité
d'une entente entre les nations civilisées
attestée, malgré les atrocités commises en
Chine, comme naguère en Crète, l'utilité
d'alliances pacigérantes pour le maintien
de la paix.
L'Union des étudiants arméniens de l'Eu–
rope
avait chargé M . Pierre Quillard, delà
représenter à Monaco : la question armé–
nienne a donc été portée d'abord devant
la Commission des actualités composée de
M. Jacques Novicow, président, de Mme la
baronne de Suttner, de Mme de Waskle-
wiez, de M
1
I e
Williams et de MM . Elie R u -
commun, Lucien Le Foyer, Fox Bourne,
Green, baron ThomasSaint-GeorgesArms-
trong, abbé Pichot, Guébin, Pierre Qu i l –
lard. Celui-ci a fait un exposé rapide de
la situation présente et la Commission, à
l'unanimité, l u i a donné mission de pré–
senter et de soutenir en séance publique,
les résolutions suivantes :
La Xl<= Congrès universel de la Paix, re–
nouvelant les vœux du IXe et du X« Con–
grès, _
Demande instamment aux puissances s i –
gnataires du traité de Berlin, de se réunir
en une conférence officielle à La Haye, pour
la solution de la question arménienne par
l'application du projet de réformes du mois
de mai 1895 ;
Et, considérant que de nouveaux massacres
sont à craindre dans la région de Sassoun,
prie les mêmes puissances d'envoyer à
Moush leurs consuls des villes voisines, la
seule présence de témoins européens offi–
ciels étant dénaturée empêcher le retour
d'événements sanglants.
Cette motion fut discutée dans la séance
du 4 avril. Nous empruntons au
Petit Mo–
négasque
le compte rendu analytique de
cette partie des débats :
Notre distingué et sympathique confrère,
M. Pierre Quillard qui, on le sait, s'est dé–
voué tout entier à la noble cause des opri-
més arméniens en Orient, prend le premier
la parole, eu qualité de rapporteur de la
Commission.
Avec une remarquable modération de
termes et sans inutile phraséologie, l'excel–
lent rapporteur l'ait un émouvant historique
des persécutions cruelles dont les Arméniens
ont été l'objet de la part des Turcs en ces
dernières années et dont ils sont toujours
menacés. M. Pierre Quillard énumère une
longue suite de faits précis, basés sur des
documents officiels. De 1894 à 1897 il n'y a
pas eu moins de trois cent mille Arméniens
(
hommes, femmes et enfants) mis à mort
sans que les puissances aient été capables
d'empêcher et d'arrêter ce carnage.
L'orateur montre quel est le triste état
normal actuel de la population arménienne:
interdiction de circuler de province à pro–
vince; défense d'avoir armes ni même
gros bâtons; moyens tyranniques et abu–
sifs dans la perception des impôts, etc.
Le gouvernement ottoman, sous prétexte de
protéger les arméniens, se propose de cons–
truire de nouvelles casernes dans la région
du Sassoun, ce qui est un danger de plus
pour l'avenir, les soldats envoyés devant
augmenter forcément le nombre des Turcs
oppresseurs. 11 est donc urgent que les
puissances européennes' prennent de nou–
velles mesures au nom de l'humanité pour
empêcher le renouvellement des massacres.
Elles le peuvent, car M. Pierre Quillard ra–
conte un fait où l'énergique intervention de
M. Paul Cambon, alors ambassadeur de
France à Constantinople, eut un heureux et
salutaire effet. « Je n'ajouterai pas un mot,
conclut l'honorable rapporteur, les faits
parlent assez d'eux-mêmes! »
M. le président Moch rappelant avec quel
talent et quel dévouement M. Pierre Quillard
s'est consacré à la cause arménienne, lui
adresse au nom et aux applaudissements de
toute l'assemblée, de vifs remerciements.
M. Capper prononce en anglais une
vibrante allocution que vient ensuite tra–
duire M. Smith; il démontre que les mas–
sacres en Arménie sont imputables aux gou–
vernements et non aux peuples qui en An–
gleterre comme sur le continent, sont tout
prêts à secourir les malheureux persécutés.
M. Voirol présente une simple observa–
tion pour établir qu'il y a de par le monde
d'autres horreurs analogues également cou–
pables.
M. Novicow expose les raisons qui ont
paralysé l'action des gouvernements et
prouve qu'il est dangereux de s'attaquer à la
Turq nie.
Avec un rare bonheur de termes et une
grande éloquence M. Jean-Bernard, notre
éminent confrère de
VIndépendance Belge
présente à son tour quelques observations
empreintes d'autant de bon sens que de libé–
ralisme éclairé et i l termine par une apolo–
gie de la politique du regretté Gladstone.
M. Pierre Quillard, répondant à M. Novi–
cow, au sujet de ses craintes de conflagra–
tion européennes possibles par suite de
pression des puissances sur le sultan, dit
que l'exemple de la façon pacifique par la–
quelle a été obtenue, sur l'initiative de M.
Delcassé, l'autonomie de la Crète prouve que
ces craintes sont vaines ou exagérées.
M. le président Moch, constatant que tout
le monde est d'accord en principe, propose
le vote de la résolution rédigée par le rap–
porteur et publiée plus haut. Cette résolu–
tion est adoptée à l'unanimité avec adjonc–
tion des mots : «
qui soulèvent Vindignation
générale
»,
adjonction proposée par le P
1
'
Charles Bichet, qui exprime en termes éner–
giques sa réprobation pour les crimes com–
mis.
Fonds A.R.A.M