76
        
        
          p r o
        
        
          
            A
          
        
        
          r m e n i a
        
        
          L a population arménienne s'y était
        
        
          sensiblement accrue depuis le c om–
        
        
          mencement du dix-neuvième siècle ;
        
        
          aussi le gouvernement hamidien a-t-il
        
        
          jugé opportun de « briser le noyau » ;
        
        
          d'où les massacres de l ' an dernier.
        
        
          E n dehors de la Grande Arménie, le
        
        
          groupement le plus considérable réside
        
        
          en C i l i c i e , dans le vilayet d'Adana,
        
        
          autour de Si s et d'Hadjin e l dans le
        
        
          vilayet d ' Al ep , au Zeïtoun, à Orfa et à
        
        
          Ma r a sh . 11 atteint à un total de 230.000
        
        
          âmes et à Had j i n et au Zeïtoun, les
        
        
          Arméniens sont en majorité absolue.
        
        
          Enfin dans le pays montagneux et
        
        
          forestiers de Dersirn, ils sont en n om–
        
        
          bre à peu près égal à celui de leurs
        
        
          terribles voisins les Kurde s et, comme
        
        
          les Ku r de s , demeurent à peu près i n –
        
        
          dépendants du pouvoir central.
        
        
          Il y a donc non seulement des Armé–
        
        
          niens, mais encore une et même deux
        
        
          Arménies, deux régions où i l est po s –
        
        
          sible et nécessaire d'établir des auto–
        
        
          nomies locales, un régime analogue à
        
        
          celui du L i b a n ou de la Roumélie
        
        
          orientale avant son annexion à l a B u l –
        
        
          garie. L e mémorandum du 11 mai 1895
        
        
          le reconnaissait implicitement, pu i s –
        
        
          qu'il prévoyait l a réduction éventuelle
        
        
          du nombre des vilayets, c'est-à-dire un
        
        
          retour aux divisions administratives
        
        
          antérieures qui faisaient de l'eyalet
        
        
          d ' Er z e r oum une terre arménienne.
        
        
          Ma i s inexacte aujourd'hui encore,
        
        
          malgré l'effroyable saignée des années
        
        
          dernicres, la thèse du gouvernement
        
        
          turc, trop aisément acceptée par les
        
        
          diplomates européens qui veulent,
        
        
          «
        
        
          éviter les affaires » , deviendra vraie
        
        
          avant peu, si le sultan est laissé libre
        
        
          de poursuivre son œuvre par les d i –
        
        
          verses méthodes qu'il emploie, selon
        
        
          les heures et les lieux. 11 y aura encore,
        
        
          géographiquement et historiquement,
        
        
          une Arménie, mais plus d'Arméniens.
        
        
          Nous lâcherons, à Bruxelles, de pré–
        
        
          venir l'accomplissement de ce crime
        
        
          contre l'humanité.
        
        
          Pierre Q U I L L A R D .
        
        
          L I R E
        
        
          M E R C U R E DE F R A N C E
        
        
          
            Revue internationale
          
        
        
          
            de Littérature et d'Art
          
        
        
          P a r i s , 15, rue de l'Échaurîé.
        
        
          Le Congrès de la Paix
        
        
          Le onzième Congrès de la Paix s'est
        
        
          réuni à Monaco, du 2 au 6 avril : deux cent
        
        
          cinquante membres représentant vingt-
        
        
          deux nations, assistaient aux séances. Le
        
        
          Congrès a pris des résolutions importantes
        
        
          touchant le libre-échange, le désarme–
        
        
          ment, l'entente nécessaire entre les pacifi–
        
        
          ques et les partis socialistes, la possibilité
        
        
          d'une entente entre les nations civilisées
        
        
          attestée, malgré les atrocités commises en
        
        
          Chine, comme naguère en Crète, l'utilité
        
        
          d'alliances pacigérantes pour le maintien
        
        
          de la paix.
        
        
          
            L'Union des étudiants arméniens de l'Eu–
          
        
        
          
            rope
          
        
        
          avait chargé M . Pierre Quillard, delà
        
        
          représenter à Monaco : la question armé–
        
        
          nienne a donc été portée d'abord devant
        
        
          la Commission des actualités composée de
        
        
          M. Jacques Novicow, président, de Mme la
        
        
          baronne de Suttner, de Mme de Waskle-
        
        
          wiez, de M
        
        
          1
        
        
          I e
        
        
          Williams et de MM . Elie R u -
        
        
          commun, Lucien Le Foyer, Fox Bourne,
        
        
          Green, baron ThomasSaint-GeorgesArms-
        
        
          trong, abbé Pichot, Guébin, Pierre Qu i l –
        
        
          lard. Celui-ci a fait un exposé rapide de
        
        
          la situation présente et la Commission, à
        
        
          l'unanimité, l u i a donné mission de pré–
        
        
          senter et de soutenir en séance publique,
        
        
          les résolutions suivantes :
        
        
          La Xl<= Congrès universel de la Paix, re–
        
        
          nouvelant les vœux du IXe et du X« Con–
        
        
          grès, _
        
        
          •
        
        
          Demande instamment aux puissances s i –
        
        
          gnataires du traité de Berlin, de se réunir
        
        
          en une conférence officielle à La Haye, pour
        
        
          la solution de la question arménienne par
        
        
          l'application du projet de réformes du mois
        
        
          de mai 1895 ;
        
        
          Et, considérant que de nouveaux massacres
        
        
          sont à craindre dans la région de Sassoun,
        
        
          prie les mêmes puissances d'envoyer à
        
        
          Moush leurs consuls des villes voisines, la
        
        
          seule présence de témoins européens offi–
        
        
          ciels étant dénaturée empêcher le retour
        
        
          d'événements sanglants.
        
        
          Cette motion fut discutée dans la séance
        
        
          du 4 avril. Nous empruntons au
        
        
          
            Petit Mo–
          
        
        
          
            négasque
          
        
        
          le compte rendu analytique de
        
        
          cette partie des débats :
        
        
          Notre distingué et sympathique confrère,
        
        
          M. Pierre Quillard qui, on le sait, s'est dé–
        
        
          voué tout entier à la noble cause des opri-
        
        
          més arméniens en Orient, prend le premier
        
        
          la parole, eu qualité de rapporteur de la
        
        
          Commission.
        
        
          Avec une remarquable modération de
        
        
          termes et sans inutile phraséologie, l'excel–
        
        
          lent rapporteur l'ait un émouvant historique
        
        
          des persécutions cruelles dont les Arméniens
        
        
          ont été l'objet de la part des Turcs en ces
        
        
          dernières années et dont ils sont toujours
        
        
          menacés. M. Pierre Quillard énumère une
        
        
          longue suite de faits précis, basés sur des
        
        
          documents officiels. De 1894 à 1897 il n'y a
        
        
          pas eu moins de trois cent mille Arméniens
        
        
          (
        
        
          hommes, femmes et enfants) mis à mort
        
        
          sans que les puissances aient été capables
        
        
          d'empêcher et d'arrêter ce carnage.
        
        
          L'orateur montre quel est le triste état
        
        
          normal actuel de la population arménienne:
        
        
          interdiction de circuler de province à pro–
        
        
          vince; défense d'avoir armes ni même
        
        
          gros bâtons; moyens tyranniques et abu–
        
        
          sifs dans la perception des impôts, etc.
        
        
          Le gouvernement ottoman, sous prétexte de
        
        
          protéger les arméniens, se propose de cons–
        
        
          truire de nouvelles casernes dans la région
        
        
          du Sassoun, ce qui est un danger de plus
        
        
          pour l'avenir, les soldats envoyés devant
        
        
          augmenter forcément le nombre des Turcs
        
        
          oppresseurs. 11 est donc urgent que les
        
        
          puissances européennes' prennent de nou–
        
        
          velles mesures au nom de l'humanité pour
        
        
          empêcher le renouvellement des massacres.
        
        
          Elles le peuvent, car M. Pierre Quillard ra–
        
        
          conte un fait où l'énergique intervention de
        
        
          M. Paul Cambon, alors ambassadeur de
        
        
          France à Constantinople, eut un heureux et
        
        
          salutaire effet. « Je n'ajouterai pas un mot,
        
        
          conclut l'honorable rapporteur, les faits
        
        
          parlent assez d'eux-mêmes! »
        
        
          M. le président Moch rappelant avec quel
        
        
          talent et quel dévouement M. Pierre Quillard
        
        
          s'est consacré à la cause arménienne, lui
        
        
          adresse au nom et aux applaudissements de
        
        
          toute l'assemblée, de vifs remerciements.
        
        
          M. Capper prononce en anglais une
        
        
          vibrante allocution que vient ensuite tra–
        
        
          duire M. Smith; il démontre que les mas–
        
        
          sacres en Arménie sont imputables aux gou–
        
        
          vernements et non aux peuples qui en An–
        
        
          gleterre comme sur le continent, sont tout
        
        
          prêts à secourir les malheureux persécutés.
        
        
          M. Voirol présente une simple observa–
        
        
          tion pour établir qu'il y a de par le monde
        
        
          d'autres horreurs analogues également cou–
        
        
          pables.
        
        
          M. Novicow expose les raisons qui ont
        
        
          paralysé l'action des gouvernements et
        
        
          prouve qu'il est dangereux de s'attaquer à la
        
        
          Turq nie.
        
        
          Avec un rare bonheur de termes et une
        
        
          grande éloquence M. Jean-Bernard, notre
        
        
          éminent confrère de
        
        
          
            VIndépendance Belge
          
        
        
          présente à son tour quelques observations
        
        
          empreintes d'autant de bon sens que de libé–
        
        
          ralisme éclairé et i l termine par une apolo–
        
        
          gie de la politique du regretté Gladstone.
        
        
          M. Pierre Quillard, répondant à M. Novi–
        
        
          cow, au sujet de ses craintes de conflagra–
        
        
          tion européennes possibles par suite de
        
        
          pression des puissances sur le sultan, dit
        
        
          que l'exemple de la façon pacifique par la–
        
        
          quelle a été obtenue, sur l'initiative de M.
        
        
          Delcassé, l'autonomie de la Crète prouve que
        
        
          ces craintes sont vaines ou exagérées.
        
        
          M. le président Moch, constatant que tout
        
        
          le monde est d'accord en principe, propose
        
        
          le vote de la résolution rédigée par le rap–
        
        
          porteur et publiée plus haut. Cette résolu–
        
        
          tion est adoptée à l'unanimité avec adjonc–
        
        
          tion des mots : «
        
        
          
            qui soulèvent Vindignation
          
        
        
          
            générale
          
        
        
          »,
        
        
          adjonction proposée par le P
        
        
          1
        
        
          '
        
        
          Charles Bichet, qui exprime en termes éner–
        
        
          giques sa réprobation pour les crimes com–
        
        
          mis.
        
        
          Fonds A.R.A.M