E h bien, la question est fort simple.
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faut en finir. Et pour cela, i l suffit de
faire comprendre au Sultan qu'il n'a
pas d'autre moyen de salut qu'une ré–
forme pacifique, faisant succéder au
plus abominable arbitraire l'établisse–
ment d'un gouvernement d'impartiale
justice et de contrôle, également p r o –
fitable à tous ses sujets. S ' i l est i n c a –
pable de cet effort, l'intervention armée
des puissances, toujours
ajournée,
mais finalement inévitable, fera justice
d'un gouvernement de corruption et de
meurtre. A ceux qui souhaitent que
cette éventualité soit évitée, de tenir à
l'autocrate oriental le langage qui c on –
vient en l'appuyant de cette sorte d'ar–
guments que suggère une invincible
résolution d'en finir.
A u lieu d'encourager par une hon –
teuse inertie les criminelles folies de
l'autocratie aux abois, parlons aux
peuples d'un ordre de justice, et, si
nous ne cherchons rien au-delà, soyons
sûrs que les concours ne nous ma n –
queront pas pour imposer la paix de
justice.
((
Ou i donc, disais-je récemment,
peut accomplir un tel office dans le
monde? A qui peut-il appartenir de
porter la parole d'émancipation, de
justice sociale, de paix heureuse, à la
nation troublée par ce gouvernement
absolu d'un seul dont l ' Eur ope est à
peine délivrée? Ou i parlera d'humanité
au peuple souffrant d'un gouvernement
inhumain? Qu i proclamera la nécessité
d'un ordre solidaire entre les hommes,
et l u i donnera pour fondement le res–
pect du droit, la justice?
Qui
sera le
peuple affranchisseur, le peuple
hu–
main,
pa r l e verbe et par l'acte? A quel
pays cet honneur? A u siècle dernier,
tous les hommes, d'une voix unanime,
eussent désigné la Franc e . E t vraiment
avec la Révolution française nous nous
lançâmes noblement dans la haute
aventure. »
Oue faisons-nous aujourd'hui?
G .
C L E M E N C E A U .
LIRE DANS
['
EUROPÉEN
1
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3
A V R I L S
Georges C L E M E N C E A U
par M A R C E L C Q L X J È R E
LA QUINZAINE
Le s Arménophiles de tous les pays
se réuniront en congrès, à Bruxelles,
au mois de juillet ; aussi l a pensée de
nos amis dano i s , aussitôt exprimée,
s'est trouvée la pensée commune de
tous; et les hommes qui en Angleterre,
en Italie, en Au t r i c he se sont dévoués
à la cause i c i défendue jugent égale–
ment que c'est pour eux un devoir u r –
gent d'affirmer leur entente internatio–
nale et d'agir à la fois sur chacun des
gouvernements.
Le s informations les plus récentes ne
laissent lieu à aucun espoir. Sans
parler des massacres préparés au Sas –
soun el au Zeïtoun, n i des faits cepen–
dant significatifs comme l'arrestation,
à Adana , de l'évêque catholique Te r -
zian, les courriers des provinces ap–
portent les pires nouvelles.
A Karave rak , dans le vilayet d ' Er z e -
roum, les percepteurs d'impôt procè–
dent avec leur violence coutumière sous
prétexte qu'il manque 218 personnes
sur 110 familles pour le paiement de
l'impôt mi l i t a i r e : on sait déjà comment
les autorités turques ont entrepris par–
tout de faire payer les malheureux qui
restent au village pour les absents, les
émigrés et les morts. Le s réclamations
des notables arméniens n'ont abouti à
rien et, au contraire, les perquisitions,
les arrestations et les tortures ont été
aggravées. A l o r s les habitants de K a r a –
verak ont dû se convertir à l ' i s l am pour
échapper à la mort, c'est-à-dire qu'ils
sont irrémédiablement perdus pour la
nationalité arménienne : s'ils osaient
revenir à leur r e l i g i on ainsi à leur n a –
tionalité première, ils se désigneraient
à une mort certaine, la l o i musulmane
ordonnant de tuer quiconque abandonne
l ' i s l am.
De Karakalissé, près de Baya z i d , on
mande en date du 26 mars, que la
veille, au village de Mangas sar , les
chefs kurdes Hus s e i n—Bey et Ahme d -
Bey se sont présentés chez le nommé
Mardiros et l u i ont emprunté de force
quelques poulets. Ils voulaient emporter
aussi tout le savon qui se trouvait dans
la maison. Ma r d i r o s et son fils leur
ayant demandé de leur en laisser que l –
que peu, ils se fâchèrent et firent feu.
Mardiros tomba raide mo r t ; son fils,
grièvement blessé, est en danger de
mort.
Au t ou r de Mo u s h , d'après un rapport
du 14 mars, les percepteurs d'impôts
sévissent avec férocité. Ils enlèvent aux
paysans tout ce qui leur agrée et sur–
tout les femmes et les filles. Toute ré–
sistance est châtiée, par le bâton d'a–
bord, et ensuite par le fusil ou le
revolver pour les hommes ; pour les
femmes, le v i o l et la torture.
A Mi g akhan , pendant les froids (la
température, dans la plaine de Mo u s h ,
pendant les mois d'hiver, oscille entre
30
et 35° centigrades), ils ont suspendu
les contribuables dans des puits, par
les bras, pour les contraindre à payer.
A Sou l ouk , pendant les froids égale–
ment, les hab i t an t s , préalablement
douchés, ont été ensuite bâtonnés.
A Kh e y b i an , les paysans, jetés dans
la rivière, ont été maintenus dans l'eau
et battus en même temps.
A Ko i n s , la femme A l ma s d , d'abord
immergée, a été étendue par terre e l
battue jusqu'à ce que mort s'en suive.
A Constantinople même, en vertu de
la l o i sur les passeports qui interdit
aux Arméniens de circuler, fut-ce de
ville à ville ou de village à village, les
prisons regorgent : i l arrive que ma l –
gré la surveillance des commissaires
spéciaux
(
Ermenilor
memuru)
postés
dans tous les ports, dans toutes les
gares, à l'entrée de toutes les villes,
quelques Arméniens viennent gagner
durement leur pain hors de leur rési–
dence originelle. C'est ainsi qu'on a
arrêté à Constantinople un grand n om–
bre de domestiques, de cuisiniers, de
jardiniers et de portefaix.
Cela se passe sous les yeux des
consuls, ambassadeurs européens qui
laissent f a i r e , plus préoccupés, en
général, d'obtenir des concessions fi–
nancières ou des décorations que
d'exiger des réformes maintes fois de–
mandées par leurs gouvernements, ac–
ceptées et promises par la Po r t e et par
le Pa l a i s .
Il est vrai que les diplomates s'excu–
sent, quand ils consentent à s'excuser,
Fonds A.R.A.M