rôts, et ils sont considérables, Messieurs, en
Orient. Nos compatriotes ont versé 370 mil–
lions dans les entreprises de chemins de
1
er et plus de 170 millions dans les maisons
de banque et de commerce. Nos entreprises
industrielles mettent en œuvre un capital
de 140 millions environ ; les propriétés fon–
cières, enfin, possédées par nos nationaux
peuvent être estimées à plus de 60 millions;
de sorte que les capitaux français qui tra–
vaillent en Turquie dépassent 700 millions
et atteignent même près de 750 millions.
A ces intérêts si considérables vient s'ajou–
ter un patrimoine moral que nous ne vou–
lons pas le moins du monde laisser amoin–
drir; ce patrimoine, nous l'avons dû dans le
passé à notre passé religieux qui a été l'un «
des éléments les plus féconds et les plus
actifs de l'expansion française.
M. L'AMIRAL DE CUVERVILLE.
—
Très bien!
M. LE COMTE D'AUNAY.
—
On ne peut pas
le nier ; mais depuis un siècle ce patrimoine
s'est sensiblement élargi. Depuis que le
souffle de la Révolution a passé sur la France,
le principe de la solidarité humaine, sans
distinction de race ni de religion, a rencon–
tré chez nous ses adeptes les plus enthou–
siastes, et alors Messieurs, tous tes peuples
opprimés ont senti qu'ils avaient chez nous
des défenseurs naturels et se sont tournés
vers nous lorsqu'ils avaient besoin d'aide et
de protection. Ce sentiment qui s'est répandu
dans le inonde entier a fait notre gloire,
notre grandeur et, en Orient, surtout, notre
force.
(
Très bien! à droite).
Eh bien, Messieurs, i l ne faudrait pas
qu'il s'affaiblît.
Notre honorable ministre des affaires
étrangères nous a, d'ailleurs, rassurés à ce
sujet. Il a déclaré à la Chambre des députes
ce qui suit :
«
Le gouvernement de la République ne
cessera pas d'élever la voix pour que l'op–
pression cesse, pour que la vie soit rendue
possible à toutes les populations, pour que
l'équité, pour que la justice ne soient pas
de simples mots, pour que les promesses
faites, pour que les engagements pris et
enregistrés dans des traités solennels soient
enfin observés. Cela est bon, cela est néces–
saire, autant dans l'intérêt de la Turquie
que dans l'intérêt de la paix du monde. »
Mais i l ajoute :
«
La France n'est pas seule signataire
du traité de Berlin que vous venez d'invo–
quer. On ne saurait lui demander de se
substituer seule aux autres pour en imposer
l'exécution. Prête à faire, pour sa part, lar–
gement, très largement, ce qu'exige la soli–
darité internationale, clic ne peut pas ou–
blier les devoirs supérieurs qu'elle a envers
elle-même. »
Voilà ce qui explique pourquoi nous
n'avons pas cru devoir achever notre oeuvre
en Orient. Si l'occupation de Mitylône s'était
prolongée, nous risquions de provoquer
certaines malveillances qui prennent trop
souvent jour parmi les puissances, dès que
l'une d'elles menace d'entrer en conflit avec
la Sublime-Porte. Et puis aussi — pourquoi
ne pas l'avouer ? — nous pouvions peut-être
éveiller les susceptibilités de la Russie : car
ses intérêts et les nôtres, permettez-moi de
le dire, ne sont malheureusement pas tou–
jours d'accord en Orient ; j'estime même que
l'opinion publique doit être mise au courant
de cette situation afin d'épargner à notre
diplomatie les critiques et les reproches
immérités.
Par la force même des choses, l'expansion
de la Russie gagne l'Asie mineure avec la
rapidité qui la porte jusqu'aux confins de
la l'Inde et de la Perse, jusqu'au delà des
limites de, la Chine, et projette son ombre
sur cet Orient méditerranéen où la pensée
et la civilisation française ont si longtemps
prédominé.
«
Sans doute — écrivait le
Temps,
que je
veux encore citer, parce qu'il fait autorité
en ces matières — sans doute, la Russie est
une alliée fidèle et loyale. Mais les affaires
turques constituent précisément le seul
point de frottement entre la politique russe
et la nôtre. Depuis la guerre de Crimée,
nous poursuivons, la Russie et nous, des
desseins différents à t'Est de la Méditerranée.
Il faut toute la ferme volonté qui préside à
la Double Alliance, i l faut toute la confiance
amicale que les deux peuples ont l'un dans
l'autre, il faut tout fc tact des deux gouver–
nements amis, pour éviter, entre tes deux
nations, la mésintelligence ou le simple
malentendu. »
Ceux qui jettent leurs regards de ce côté
savent qu'il n'y a là rien d'exagéré. Au point
de vue économique, religieux, politique,
nous sommes bien obligés de reconnaître
qu'en Orient, i l existe entre les deux nations
une certaine rivalité datant en quelque sorte
du jour où la puissance russe s'est constituée,
et de nombreux indices mettent en lumière
cet état de choses.
Il y a là un point délicat que les deux al–
liés sauront certainement examiner avec le
désir de se faire de mutuelles concessions
pour maintenir leurs si cordiales relations.
M. L'AMIRAL DE CUVERVILLE.
—
Ces droits
sont séculaires et nous les exerçons avec
une extrême modération. Il n'est pas possi–
ble que l'humiliation d'abandonner Terre-
Neuve nous soit un jour infligée; je crois
fermement que la France ne le permettrait
pas.
(
Très bien! à droite.)
Oui, j'ai voulu profiter de votre présence
au Sénat, monsieur le ministre, pour appeler
sur ce point particulier toute votre attention.
Je sais avec quel patriotisme vous étudiez
toutes les questions extérieures qui nous i n –
téressent; je n'oublie pas que, récemment,
au lendemain de nos différends avec la Porlc
ottomane, vous avez donné l'ordre à une d i –
vision navale de visiter successivement toutes
les échelles du Levant.
Je sais, par des rapports personnels qui
me sont venus, non pas de ces bâtiments,
mais des pays intéressés, que ces visites ont
produit la meilleure impression ; elles ont
relevé notre influence sur des points où eile
commençait singulièrement à faiblir et j'ai
reçu plusieurs témoignages irrécusables des
bienfaits de cette expédition.
(
Très bien! très
bien ! )
Je rappelle qu'il est indispensable que ces
visites soient renouvelées, non par des bâti–
ments isolés qui ne produisent que peu
d'effets, mais par des divisions; et si, de
temps à autre, l'escadre de la Méditerranée
allait de nouveau montrer les couleurs de
la France dans ces parages, sur la côte de Syrie
et dans les îles do l'Archipel, la France ne
pourrait qu'en retirer un très grand profit.
(
Très bien! très bien!)
M. LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES,
—
Tout à f'heure, l'honorable amiral de Cu–
verville parlait de la politique mondiale. J'a–
voue que je ne sais pas bien exactement ce
que cela veut dire ni si, sous ce mot, se trouve
une chose vraiment nouvelle. Pour moi,
j'imagine qu'il faut entendre par là qu'une
nation doit soutenir ses intérêts sur tous les
points du monde où elle est parvenue à s'en
créer. Dans ce cas, la France, qui, une des
premières, a franchi les mers d'Europe pour
porter au loin sa civilisation et son com–
merce, pratique depuis longtemps une poli–
tique mondiale. C'est môme en vertu de cette
politique qu'elle est intervenue au mois de
novembre dernier en Orient.
Elle l'a fait, messieurs, avec une vigueur à
laquelle il a semblé peut-être qu'on ne s'at–
tendait pas, s'étant mépris probablement sur
les causes de notre patience que nous avions
poussée à son extrême limite, parce que, sûrs
de nos droits, nous voulions justifier d'avance
l'énergie avec laquelle, nous étions résolus à
les revendiquer et à les faire reconnaître. Je
n'ai pas besoin de dire au Sénat que nous
touchions là un point où les grandes puis-
sanessont particulièrement sensibles.
Le Livre jaune qui vous sera distribué de–
main vous montrera que nos intentions,
franchement déclarées aux puissances, ont
été comprises par elles comme nous devions
souhaiter qu'elles le fussent et que les puis–
sances ont eu autant de confiance en notre
parole que, de notre côté, nous avons mis de
scrupule à y rester fidèles.
(
Très bien ! très
bien! et applaudissements.)
Mais le Livre jaune vous montrera aussi,
messieurs, qu'ayant, avant toute action, tracé
le programme de nos revendications, notre
action n'a cessé qu'après que nos revendica–
tions, aussi bien dans le domaine politique
et moral que dans le domaine économique,
ont été acceptées intégralement et que des
garanties ont été données pour l'exécution
des engagements qu'on avait pris vis-à-vis
de nous.
(
Très bien ! très bien! et applaudis–
sements.)
Et par là, messieurs, la preuve a été faite
rpic si la France n'a pas hésité à se mettre à
la tête du mouvement prodigieux d'expansion
vers l'Afrique et l'Extrême-Orient, qui distin–
guera les vingt dernières années du dix-neu–
vième siècle, elle n'en est pas moins résolue,
tout en tenant compte des transformations
inévitables, à conserver intact l'héritage que
lui ont fait les luttes, les souffrances et les
gloires du passé.
(
Applaudissements.)
Le Secrétaire-Gérant :
J EAN LONGUET.
L'Emancipalrice,
Hue d e Pondichéry, 3, Paris.
I Travail exécute en commandite par des ouvriers s y n d i q i ^
Fonds A.R.A.M