turc, ainsi que son plan pour l'anéantisse–
        
        
          ment des Arméniens.
        
        
          L'univers entier sait que le Trésor turc est
        
        
          éternellement vide; mais i l y a des fonction–
        
        
          naires, des employés sans nombre qui récla–
        
        
          ment toujours de l'argent, du pain. Le gou–
        
        
          vernement est obligé de donner satisfaction
        
        
          à leurs réclamations ; et c'est toujours le
        
        
          peuple arménien, maltraité, pillé, emprisonné
        
        
          et déshonoré, qui doit remplir la tirelire trouée
        
        
          du gouvernement pour rassasier les fonction–
        
        
          naires affamés.
        
        
          C'est l'hiver ; le paysan arménien croyait
        
        
          naïvement que les flocons de neige ayant
        
        
          tout recouvert, le Turc était retiré chez lui
        
        
          ou à la caserne, et que lui dans sa mai–
        
        
          sonnette pourrait grignoter, en paix, son
        
        
          pain sec. Mais cela même ne lui est pas
        
        
          permis, car les percepteurs turcs avec quel–
        
        
          ques dizaines de soldats, sont dispersés dans
        
        
          tous les villages arméniens et réclament les
        
        
          impôts et les perçoivent par force.
        
        
          Nous ne dirions rien au gouvernement turc,
        
        
          si celui-ci se contentait de percevoir seule–
        
        
          ment les impôts d'aujourd'hui ; le paysan
        
        
          arménien a déjà payé sa dette de l'année
        
        
          courante ; mais le gouvernement réclame tous
        
        
          les impôts à partir de
        
        
          1894-90,
        
        
          impôts dont
        
        
          on avait fait déjà grâce au peuple massacré,
        
        
          ce que le monde entier n'ignore pas. Le
        
        
          paysan arménien ne peut pas naturellement
        
        
          payer ses anciennes dettes, puisqu'il arrive
        
        
          à peine à se nourrir lui-même aujourd'hui ;
        
        
          mais les percepteurs turcs ne veulent rien
        
        
          entendre ; comme des loups affamés ils atta–
        
        
          quent toutes les maisons, fouillent partout,
        
        
          et en échange des dettes passées, emportent
        
        
          tout ce qu'ils trouvent, des meubles, des lits,
        
        
          les animaux, bref, tout ce qui a une valeur.
        
        
          Dans les villages, quand parfois ils ne trou–
        
        
          vent rien à emporter, ils coupent et vendent
        
        
          les arbres du paysan, et s'ils ne trouvent
        
        
          absolument rien, les percepteurs font venir
        
        
          des environs un agha turc ou kurde qui paye
        
        
          les impôts du paysan et en revanche i l s'ap–
        
        
          proprie leurs maisons et leurs terres ; si ce
        
        
          système de perception continue, le paysan
        
        
          pourra à peine traîner son* existence en
        
        
          hiver, et au bout de une ou deux années, i l
        
        
          sera privé de sa maison et de ses terres et
        
        
          deviendra l'esclave des aghas turcs et kurdes.
        
        
          Ce n'est pas seulement dans les villages,
        
        
          et dans les coins retirés que ces perceptions
        
        
          barbares ont lieu ; le gouvernement turc ne
        
        
          voit aucune nécessité de se gêner, même
        
        
          dans les villes, sous le nez des consuls, et en
        
        
          leur présence, i l continue ses vexations. Par
        
        
          exemple, dans notre ville, à partir du huit
        
        
          du mois, les percepteurs du gouvernement,
        
        
          accompagnés des soldats et des policiers,
        
        
          ont commencé à entrer dans les maisons ar–
        
        
          méniennes et ont emporté par force tout ce
        
        
          qu'ils trouvèrent, chaises, table,lit, des objets
        
        
          en cuivre, des vaches, des bœufs, etc., et
        
        
          tout cela en échange des dettes anciennes ;
        
        
          ce pillage barbare continue toujours ; les
        
        
          meubles confisqués sont mis aux enchères et
        
        
          vendus à de très vils prix. L'Arménien de
        
        
          Van, quoique privé de ses meubles essen–
        
        
          tiels et de ses animaux, continue néanmoins
        
        
          à être le débiteur du gouvernement. Le paie–
        
        
          ment des dettes anciennes et nouvelles ne
        
        
          suffisent pas souvent à libérer l'Arménien des
        
        
          vexations du gouvernement. Dans la ville,
        
        
          un petit boutiquier s'occupe tranquillement
        
        
          de ses affaires ; soudain, les percepteurs en–
        
        
          vironnent sa boutique et lui réclament de
        
        
          l'argent ; le pauvre homme répond qu'il ne
        
        
          doit rien; « Tu n'as pas de dettes, mais ton
        
        
          frère en a », lui disent-ils ; c'est en vain qu'il
        
        
          leur déclare qu'il n'est plus avec son frère et
        
        
          que celui-ci est occupé ailleurs. Les percep–
        
        
          teurs qui avaient déjà fouillé la maison de
        
        
          son frère et n'avaient rien trouvé à emporter,
        
        
          font taire par quelques coups le pauvre bou–
        
        
          tiquier, et emportent les marchandises de la
        
        
          boutique en lui disant : «r Va maintenant ré–
        
        
          clamer l'argent à ton frère. » Ainsi plusieurs
        
        
          sont obligés de payer par force les dettes
        
        
          réelles ou imaginaires de leurs concitoyens,
        
        
          de leurs parents, tués, pillés ou émigrés.
        
        
          Mais tout cela n'est que le commencement
        
        
          des souffrances. Déjà tes agents policiers du
        
        
          gouvernement, comme nous avions écrit pré–
        
        
          cédemment, nuit et jour, ne s'occupent qu'à
        
        
          arrêter les personnes qui leur déplaisent,
        
        
          comme des gens suspects. Aujourd'hui, non
        
        
          contents de faire des arrestations dans les
        
        
          rues, ont commencé à faire des perquisitions
        
        
          dans les maisons. 11 y a quelques jours, ils
        
        
          ont assiégé de nuit une maison ; ils ont per–
        
        
          quisitionné partout, mais ils n'ont trouvé
        
        
          rien de suspect, comme d'ailleurs, ils n'ont
        
        
          trouvé aucune preuve permettantd'accuser les
        
        
          pauvres innocents arrêtés comme suspects.
        
        
          Le pauvre paysan arménien est aujour–
        
        
          d'hui embarrassé et stupéfait. Il sait que le
        
        
          gouvernement a pour but principal, par ses
        
        
          sévérités et ses persécutions sans exemple,
        
        
          de donner lieu à des protestations, à une ré–
        
        
          sistance, à un petit mouvement, pour pou–
        
        
          voir organiser un massacre général, et pour
        
        
          en faire peser la responsabilité sur le pauvre
        
        
          Arménien ; c'est pour celaqu' if se tait, it se ré–
        
        
          signe ; mais sa patience n'a plus de bornes ;
        
        
          sa résignation prend fin et i l est obligé, par
        
        
          ses faibles forces, par son sang, de mettre un
        
        
          terme à ses souffrances continuelles, ne se
        
        
          souciant nullement que les consuls européens
        
        
          qui fouilleront et examineront ses ossements
        
        
          et ses ruines fassent peser toute la
        
        
          
            responsa–
          
        
        
          
            bilité sur lui.
          
        
        
          NÉCROLOGIE
        
        
          
            Le docteur Sioukiouti bey
          
        
        
          Le docteur Sioukiouti bey, rédacteur de
        
        
          
            VOsmanli,
          
        
        
          membre du comité ottoman d'U–
        
        
          nion et de Progrès, vient de mourir à San-
        
        
          Remo, d'une longue et implacable maladie.
        
        
          Dès sa jeunesse, il avait pris part à la lutte
        
        
          contre Abd-ul-Hamid, y sacrifiant sa santé,
        
        
          sa fortune, son repos, et à en juger les appa–
        
        
          rences, jusqu'à sa dignité personnelle : i l se
        
        
          savait frappé à mort et incapable d'action
        
        
          physique ; i l avait alors accepté le poste de
        
        
          médecin de l'Ambassade ottomane à Rome
        
        
          pour rendre service à son parti en versant à
        
        
          la caisse de résistance presque tous ses ap–
        
        
          pointements.
        
        
          Il s'en est allé avant l'heure de la déli–
        
        
          vrance, peut-être proche. Qu'il repose en
        
        
          paix dans l'irrévocable nuit !
        
        
          Il ne sera pas oublié de ses amis ni de ceux
        
        
          qui avec des méthodes et par des voies diffé–
        
        
          rentes poursuivent le combat contre la Bête
        
        
          et qui finiront bien par la forcer dans son
        
        
          antre sanglant.
        
        
          Un des hommes qui l'ont connu et aimé, a
        
        
          bien voulu nous communiquer une courte no–
        
        
          tice biographique sur le docteur Sioukiouti
        
        
          bey :
        
        
          Le docteur Sioukiouti bey était né à
        
        
          Diarbékir en i865, fils de Mehmed Siou–
        
        
          kiouti effendi, préposé à l a perception des
        
        
          impôts.
        
        
          Il fit ses études préliminaires à l'école
        
        
          Ruchdié militaire nouvellement créée en
        
        
          cette ville et, muni du brevet de cette ins–
        
        
          titution, i l fut admis à l a Faculté de Méde–
        
        
          cine militaire de Constantinople. C'est là
        
        
          qu'avec quelques camarades i l fonda le
        
        
          noyau du comité ottoman d'Union et de
        
        
          Progrès dont i l fut pendant deux ans le
        
        
          président.
        
        
          Son activité, son éloquence persuasive,
        
        
          firent de l u i la cheville ouvrière du co–
        
        
          mité dont les rangs grossissaient chaque
        
        
          jour. L a police, déjouée dans tous ses plans,
        
        
          était exaspérée de ne pouvoir mettre la
        
        
          main sur celui qui en silence et tout dou–
        
        
          cement essayait de saper à sa base le ré–
        
        
          gime dégradant qu'est l'absolutisme :
        
        
          dans les correspondances, le docteur
        
        
          Sioukiouti était mentionné sous le
        
        
          pseudonyme de a Hodja » et la police
        
        
          mouchardait vainement les medressés
        
        
          pour retrouver le chef de ce mouvement
        
        
          libéral.
        
        
          Mais le docteur Sedad, soumis à la ques–
        
        
          tion, finit par trahir son ami et le docteur
        
        
          Sioukiouti, jugé par une cour martiale, fut
        
        
          condamné à la dégradation et à l'interne–
        
        
          ment dans l'enceinte fortifiée de Rhodes
        
        
          (1896).
        
        
          Durant son emprisonnement qui
        
        
          dura sept mois, le docteur Sioukiouti,
        
        
          malgré la surveillance étroite dont i l était
        
        
          l'objet, avait réussi à nouer des relations
        
        
          avec l'extérieur; i l parvint à s'échapper
        
        
          de la forteresse en traversant les égouts
        
        
          de la citadelle. Recueilli à bord d'un voi–
        
        
          lier grec i l arriva à Syra, de là i l se rendit
        
        
          en Egypte d'où i l partit pour Paris. Le
        
        
          comité institué dans cette ville le nomma
        
        
          trésorier à l'unanimité.
        
        
          Quelque temps après, Mourad bey
        
        
          rentrait à Constantinople et le comité se
        
        
          trouvait presque désorganisé ; Sioukiouti
        
        
          reforma le comité et fonda
        
        
          
            VOsmanli
          
        
        
          dont
        
        
          i l fut pendant longtemps le rédacteur en
        
        
          chef. Dans cette lutte contre le despotisme
        
        
          le docteur Sioukiouti, physiquement
        
        
          comme moralement surmené, avait con–
        
        
          tracté une maladie qui rarement pardonne
        
        
          à ceux qu'elle atteint.
        
        
          Fonds A.R.A.M