Mais i l est temps qu'à la vieille l o i suc–
cède la l o i nouvelle ; si noire que soit la
nuit, i l faut bien que l'horizon finisse par
blanchir.
Ou i , la nuit est noire ; on en est à l a
résurrection des spectres ; après le Sylla-
bus, voici le Ko r an ; d'une Bible à l'autre
on fraternise
;
jungamus dextras;
derrière
le Saint-Siège se dresse la Sublime Porte ;
on nous donne le choix des ténèbres ; et,
voyant que Rome nous offrait son moyen
âge, la Turquie a cru pouvoir nous offrir
le sien.
De là les choses qui se font en Serbie.
Où s'arrôtera-t-on ?
Quand finira le martyre de cette hé–
roïque petite nation ?
I l est temps qu'il sorte de la civilisation
une majestueuse défense d'aller plus loin.
Cette défense d'aller plus l o i n dans le
crime, nous, les peuples, nous l'intimons
aux gouvernements.
Mais on nous dit : Vous oubliez qu'il y
a des « questions ». Assassiner un homme
est un crime, assassiner un peuple est
«
une question ». Chaque gouvernement a
sa question ; la Russie a Constantinople,
l'Angleterre a l'Inde, la France a la Prusse,
la Prusse a l a France.
Nous répondons :
L'humanité aussi a sa question ; et cette
question l a vo i c i , elle est plus grande que.
l'Inde, l'Angleterre et l a Russie : c'est le
petit enfant dans le ventre de sa mère.
Remplaçons les questions politiques
par la question humaine.
Tout l'avenir est là.
Disons-le, quoi qu'on fasse, l'avenir
sera. Tout le sert, même les crimes. Ser–
viteurs effroyables.
Ce qui se passe en Serbie démontre la
nécessité des Etats-Unis d'Europe. Qu'aux
gouvernements désunis succèdent les peu–
ples unis. Finissons-en avec les empires
meurtriers. Muselons les fanatismes et les
despotismes. Brisons les glaives valets
des superstitions et les dogmes qui ont le
sabre au poing. Plus de guerres, plus de
massacres, plus de carnages ; libre pensée,
libre échange : fraternité. Est-ce donc si
difficile, la pa i x ? L a République d'Eu–
rope, l a Fédération continentale, i l n'y a
pas d'autre réalité politique que celle-là.
Les raisonnements le constatent, les évé–
nements aussi. Sur cette réalité, qui est
une nécessité, tous les philosophes sont
d'accord, et aujourd'hui les bourreaux
joignent leur démonstration à l a démons–
tration des philosophes. A sa façon, et
précisément parce qu'elle est horrible, la
sauvagerie témoigne pour l a civilisation.
Le progrès est signé Achmet pacha. Ce
que les atrocités de Serbie mettent hors
de doute, c'est qu'il faut à l'Europe une
nationalité européenne, un gouvernement
un, un immense arbitrage fraternel, la
démocratie en paix avec elle-même, toutes
les nations sœurs ayant pour cité et pour
chef-lieu Paris, c'est-à-dire la liberté ayant
pour capitale l a lumière. E n un mot, les
Etats-Unis d'Europe. C'est là le but, c'est
là le port. Ceci n'était hier que la vérité ;
grâce aux bourreaux de la Serbie, c'est
aujourd'hui l'évidence. Au x penseurs s'a–
joutent les assassins. L a preuve était faite
par les génies, la voilà faite par les
monstres.
L'avenir est un dieu traîné par des
tigres.
Paris, 2 9 août 1876.
V I CTOR H U G O .
.
LA QUINZAINE
Aux libéraux ottomans
L e congrès est terminé depuis u n
mois ; u n comité s'est formé qu i doit
préparer et d i r i ge r l ' ac t i on future.
Nous ne savons pas quelles décisions
seront prises et i l en est sans doute
qu i demeur e r ont secrètes ; i l n ' y a
point lieu en effet d'avertir l'adversaire
des moyens q u i seront employés p ou r
le mettre hors d'état de n u i r e .
Mais, si les modes et les c i r c ons t an –
ces de l ' a c t i on ne doivent pas être d i –
vulgués, i l n'est plus pe rmi s d'hési–
ter sur deux points : l'urgence et la
nature de l ' a c t i on .
Le s Arméniens, q u i ont plus d u r e –
ment souffert qu'aucune autre des n a –
tions de l ' emp i r e , n'ont pas attendu
pour agir les délibérations récentes.
Ils ont dit qu'ils pour su i v ra i ent , seuls
ou avec d'autres, une lutte sans me r c i
contre le régime actuel, et leurs actes,
c omme i l en fut dans le passé, seront
conformes à leurs paroles.
Maintenant les sujets mu s u lman s
d ' A b d - u l - Ham i d sont, chaque j o u r ,
victimes de sa folie sanglante. On ne
sait pas le nomb r e de jeunes gens qu i
ont été exécutés dans les caves de l'é–
cole mi l i t a i r e , jetés à fond de cale et
envoyés à T r i p o l i ou dans l'Yémen.
On i gno r e les noms de tous ceux que
Aï-Hassan pacha a torturés à Béchik-
tache ou à Y l d i z même, sous les yeux
de son maître.
Depuis quelques mo i s , l a terreur
policière grandit et malgré toutes les
mesures imaginéespour faire le silence,
H a m i d s'est attaqué à des personnes
trop importantes pour que ses méfaits
ne fussent pas connus.
Ce fut d ' abo rd son manque de parole
à l'égard d ' Osman pacha Be d e r han ,
arrêté au sortir du bateau qu i le r a –
menait à Cons t ant i nop l e , et condamné
à mo r t : i l va de soi que l a « clémence
impériale » c ommu e r a l a peine en dé –
tention perpétuelle; mais si Osman
pacha n'est pas p endu en p l e i n j o u r ,
i l sera étranglé ou empoisonné dans
son cachot.
P u i s F u a d pa cha , impliqué p r o ba –
blement dans une c ons p i r a t i on i n v e n –
tée de toutes pièces par u n de ses en–
nemi s réfugié en Egyp t e , est expédié à
Dama s et enfermé c omme u n p r i s o n –
nier de droit c ommu n .
E n f i n les dépêches de ces derniers
j our s annoncent que Ch a k i r pacha a
été arrêté, de nu i t , dans sa ma i s on de
P r i n k i p o pa r des officiers venus en
barque de Ca r t a l , tant le sultan avait
hâte que ce c r i m i n e l dangereux fût
incarcéré. L e même j o u r , quarante
élèves de l'école navale de H a l k i et d ' au –
tres hauts personnages sont également
arrêtés et c omme si l a fureur soupçon–
neuse du s ouve ra i n sévissait surtout
contre ceux qu i ont touché, de près ou
de l o i n , aux p l us importantes fonc–
tions, le général N a z i m pa c ha , gendre
du feu g r and - v i z i r A l i pa c ha , a subi le
sort de Ch a k i r , beau-frère du feu g r and -
v i z i r D j e v ad .
A i n s i H a m i d , par ses dernières ex–
travagances, s'est chargé de démon –
trer à c ha c un de ses sujets que, dans
l'intérêt de l eur sécurité personnelle,
ils doivent en finir avec l u i .
Que l ques - uns , très humb l e s ou très
élevés, pouvaient c r o i r e que dans la
ruine générale de l ' emp i r e , ils conti–
nueraient à végéter pa i s i b l ement . Ils se
trompaient : l a haine du maître n ' ou –
blie personne ; elle menace le dernier
des maraîchers de S t amb ou l aussi d i –
rectement que les memb r e s de l a f a –
mi l l e impériale, frères, fils ou neveux,
et que les héros des guerres turques
ouï es favoris de l a v e i l l e ; n i Izzet bey,
n i E b o u l - H o u d a , n i Sélim pacha Me l -
hamé à q u i déjà le F o u interdit de
donne r à danser dans ses salons de
Fonds A.R.A.M