d'établir chez elle la conscription, et elle
évolue vers le protectionnisme !
Dans l a politique extérieure, le natio–
nalisme se manifeste en condamnant, au
nom des principes qu'il viole sans ver–
gogne chez l u i , les basses actions de ses
voisins.
Seuls donc ont le droit de prendre la
défense des opprimés ceux qui sont contre
le nationalisme ; intervenir en Arménie,
c'est répondre au reproche de sans-patrie
qu'on nous adresse. Certes, nous conce–
vons le patriotisme autrement que les
nationalistes ; nous ne séparons jamais
l'idée de patrie de celle de justice ; nous
n'admettons pas l a raison d'Etat plus
forte que le droit, ce droit fût-il celui d'un
seul individu ; nous n'admettons pas qu'on
soit ennemis héréditaires et irréconcilia–
bles parce qu'on est séparé par des fron–
tières ; nous constatons que les peuples
ont montré, que les petits peuples mon–
trent encore que le militarisme n'est pas
nécessaire pour résister à ses ennemis ;
nous persistons à croire, par l'exemple
des Arméniens, comme par celui desBoers,
qu'un jour viendra où les États européens
se convaincront qu'ils n'ont pas besoin
pour leur défense du fléau des armées
permanentes.
L a solution logique de la question d'O–
rient sera dans le fédéralisme ; on craint
que nous ne voulions détruire les vieilles
nationalités ; la Suisse est-elle moins une
nationalité parce que ses cantons sont
autonomes ? I l est nécessaire que ce fédé–
ralisme s'établisse en Orient, sous la su–
zeraineté d'une confédération, qui em–
pêchera que les petits peuples autonomes
tombent sous la domination de préten–
dants ; et cet avenir de l'Orient, sous l a
forme fédéraliste, sera aussi sans doute
l'avenir de l'Europe.
Nous avons donc, à l'heure actuelle, un
devoir pressant : celui de la résistance et
de la guerre ; on n'a pas le droit de se ré–
fugier derrière on ne sait quels scrupules
délicats ; i l faut marcher avec les héros,
ou s'asseoir et devenir les complices des
criminels.
M . de Pressensé, qui n'a manifesté aucun
signe de fatigue durant ce long exposé, a été
approuvé à plusieurs reprises ; une triple
salve d'applaudissements a salué sa péro–
raison.
M . Favon lève la séance après avoir re–
mercié les nombreux auditeurs au nom de
l'Association des étudiants arméniens. 11
donne à ces jeunes gens l'assurance que la
République de Genève est avec eux, et i l se
déclare heureux que notre petit canton ait
su, tout en travaillant à sa prospérité,
défendre de tels principes, qu'il travaille
pour l'humanité tout entière.
(
Applaudisse–
ments.)
D E
R U S S I E
E T D E
M O U S H
L E T T R E D E
R U S S I E
(
D'après
VArmenia
du i5 janvier)
Dans les cercles officiels russes, i l est né
encore une question au sujet de la formalité
de la prestation de serment des Arméniens ;
cette fois-ci, i l s'agissait de faire oflicier les
prêtres orthodoxes russes dans nos églises
arméniennes.
Dans une localité, près de Tiflis, quelques
Arméniens ont eu à prêter serment devant
le tribunal. Les Arméniens, regardant le ser–
ment comme une cérémonie religieuse, ont
refusé de le prêter en langue russe. Sur cela,
quelques agents chargés par le tribunal les
ont conduits à l'église arménienne. Dans
l'église, les Arméniens ont déclaré que dans
leur église ils ne peuvent prêter serment que
devant leurs propres prêtres. Le prêtre ar–
ménien du lieu a pris le parti du peuple et a
répondu au prêtre russe qu'il n'avait aucun
droit de remplir une fonction dans l'église
arménienne. Les agents, le prêtre russe, ont
fait un rapport à l'autorité judiciaire qui, à
son tour, a télégraphié à Tiflis. A la fin, le
prince Galitzine, gouverneur de Caucase, a
télégraphié à Etchmiatzin pour demander si
l'Eglise arménienne défend au prêtre russe
de faire prêter serment aux Arméniens dans
les églises arméniennes ; le catholicos a ré–
pondu que, dans les églises arméniennes,
toutes les cérémonies religieuses doivent être
faites par les prêtres arméniens. Le prince
Galitzine a résolu de communiquer le fait avec
tous ses détails et la réponse du catholicos
d'Etchmiatzin, à Pétersbourg, et soumettre
au conseil du Sénat pour qu'une disposition
légale soit rédigée à cet effet et que la déci–
sion prise ait force de loi dans l'avenir.
L E T T R E D E
M O U S H
Mo u s h , octobre 10, 1901.
Quoique les méfaits cruels, les massacres
manifestes et les incendies qui avaient lieu
à Sassoun et à Moush depuis le printemps
aient cessé en apparence, néanmoins le gou–
vernement, par des instructions secrètes ou
manifestes, continue à réaliser le projet de
l'anéantissement, tous les jours, avec des
moyens et sous des formes différentes.
L'autorité locale fait tous ses efforts pour
faire croire aux consuls russes et anglais
que tous les méfaits sont accomplis par les
fédaïs.
Nous laissons de côté les barbaries, les
vexations et les pillages, faits habituels et
journaliers, commis par les agents percep–
teurs, par les fermiers d'impôts, par les tri–
bunaux du gouvernement, et les hamidiés ;
nous attirons seulement l'attention des lec–
teurs sur le rôle du gouvernement, dans ces
derniers temps, époque soi-disant pacifique.
Le gouvernement du Sultan, comme con–
séquence des barbaries antérieures, a rempli
de soldats les villages de la plaine qui sont
situés sur les lignes de circulation entre Sas–
soun et la plaine de Moush; ainsi, par
exemple, les villages de Chekhlan, Khizla-
gatch, Komer, Kartzor, Pertak, Havadorik,
Alvarindj, les pressoirs des vignes situées à
l'est et à l'ouest de la ville de Moush, ainsi
que les pressoirs du village de Mogounk, in–
cendié et dévasté.
Les villages situés au nord-ouest de la
plaine, Sahag, Baghlou, Meghdi, Ghéïbian,
Haïgerd, furent aussi remplis de soldats.
Les susdits villages sont situés aux envi–
rons de Sourp Garabed. Qui sait quelles
vues et quels projets diaboliques sont en–
fouis en tout cela ?
Il n'est pas nécessaire de décrire ici les
détails de la situation faite au paysan qui
voit, à tout moment, ces barbares pour qui
l'effronterie signifie sainteté, la brutalité si–
gnifie justice. Pour vous faire comprendre
d'une manière nette la situation intolérable
faite actuellement au paysan, i l suffit d'un
petit exemple.
Au cours de notre voyage, nous passâmes
par un village où nous trouvâmes un abri
dans une maisonnette pauvre. Le proprié–
taire nous (it un accueil cordial, et n'épargna
rien pour nous contenter. Au repas, quand
nous demandâmes un œuf, un soupir s'en–
vola de sa poitrine et ilnous dit :«Ils ne nous
laissèrent pas de poules, les maudits, pour
que nous ayons des œufs ; i l est impossible
de trouver un œuf dans fe village entier »...
Cette réponse succincte renfermant la si–
tuation actuelle du paysan arménien avec
toutes ses images infernales n'excita pas no–
tre curiosité pour ainsi dire ; car une telle
réponse n'était pas la première que le pay–
san malheureux et martyr nous fît entendre.
Voilà l'exécution de l'article premier des
Réformes, Mai
1890,
que le Grand Assassin
s'était chargé d'introduire en Arménie, sous
la garantie de l'Europe, sa complice.
Sassoun, pour défendre son existence, fai–
sait tous ses efforts dès le printemps, pour
ne point permettre que des casernes fussent
construites et que les soldats turcs profanas–
sent ses montagnes et ses vallées. Mais le
gouvernement turc, sur les ordres de la Su–
blime Porte, a résolu de réaliser ce projet ;
et pour cela, le Sultan a payé une somme de
2,600
livres.
Aujourd'hui, le Sassouniote, découragé,
sans armes, affamé et tout embarrassé de–
vant la situation qui lui est faite, ne sait
comment dénouer ce nœud gordien... Ainsi
il est décidé qu'on coupera notre veine qui
porte le sang, pour mettre fin ainsi à notre
existence...
L'élément arménien de Moush pour échap–
per une fois pour toutes à des souffrances
sans fin, a résofu de s'adresser à l'Eglise
orthodoxe, ce dont nous avons déjà parlé dans
une correspondance antérieure. Le consul
russe, profilant de la situation, s'efforce de
réaliser ce pas désespéré des Arméniens. On
a longuement écrit à ce sujet au gouverne–
ment du Tsar, mais on n'a pas reçu jusqu'ici
une réponse positive, et par suite la situa–
tion des Arméniens reste indécise.
Avec les soldats qui sont arrivés ici, est
venu également un commandant; le vali de
Bitlis et le commandant du régiment de la
gendarmerie sont retournés ici, soi-disant
pour rétablir
ici la paix
grâce
à Sa
Ma-
Fonds A.R.A.M