malheureux qui, depuis les événements de
1890
ayant couché sans lit avec sa famille,
avait, jusqu'ici, à peine réussi à préparer des
lits pour ses iils.
Il est de règle, à Segherte, que les maisons
et les boutiques se louent, le
12
septembre,
jour de la fête de l'Exaltation de la Sainte-
Croix. Les boutiques à louer sont, en général,
la propriété des Turcs et surtout des mos–
quées. Cette année, quelques jeunes vau–
riens turcs, Abdé, Atho, Abasse et Ahmet,
ont pris eux-mêmes à bail toutes les boutiques
tenues auparavant par des chrétiens, et ont
donné à bail par force, à leur tour, aux chré–
tiens, pour 6 livres une boutique qui était
louée auparavant pour 4 livres. La popula–
tion s'est résignée à cela, car elle est obligée
de porter le joug, bon gré, mal gré. Il nous
est impossible de vous décrire toutes les
vexations commises ; elles sont innombrables
et sans fin ; pour les prendre toutes en écrit,
il faudrait que la mer Noire se changeât en
encre ! elles sont si nombreuses.
Le vicaire-arachnortede Segherte a préparé
pour
00
livres de chaux. Le gouvernement
s'oppose jusqu'aujourd'hui à l'opération de
battre la chaux en objectant que « SaMa –
jesté » a défendu toute construction dans une
église arménienne, et même les réparations.
Aujourd'hui, i3 septembre, i l y eut une
lutte sanglante parmi les cheiks du village
de Tillo, près de Segherte. Les détaiis man–
quent.
L E T T R E D E B E Y R O U T H
3
i décembre.
Des soldats turcs, qui avaient achevé leur
service, retournaient du Yémen chez eux, à
bord du bateau turc
Saadet.
Par suite du
manque de combustible, le bateau est obligé
d'attendre quinze jours à Suez ; en outre, à
leur arrivée ici, à Beyrouth, on les a soumis
à dix jours de quarantaine. Les pauvres sol–
dats, qui sont des différentes contrées de
l'Asie Mineure, ayant passé cinq ou six ans
en Arabie, malheureux et affamés, n'ont pas
même la mine d'êtres humains. Ils n'ont pas
touché leurs soldes pendant des années, et
on leur a donné, en revanche, un mandat de
paiement sur Beyrouth; mais, ici aussi, on
ne leur paie pas un para, en objectant qu'il
n'y a pas d'argent.
Deux jours avant la date de cette lettre,
dans l'après-midi, Réchid bey, vali de notre
endroit, était venu au bureau près du port.
Les soldats du bateau
Saadet,
environ cent,
au moment du départ du vali attaquent la
voiture et réclament de l'agent. Au lieu de
renvoyer avec douceur ces pauvres allâ–
mes, Mahmout et Emine effendis, gens de la
suite du vali, tombent sur eux, fouet à la
main, et donnent des coups à droite et à
gauche. Les soldats furieux les attaquent à
leur tour et les foulent aux pieds ; arrivent
des policiers qui sont battus à leur tour, à
plate coulure et s'enfuient, ayant abandonné
leurs armes. Le vali profitant de ce désarroi
se sauve, dans sa voiture qui allait au galop.
Quand je suis sorti vers quatre heures et
demie je fus témoin oculaire de la dernière
scène de cette comédie. Les soldats poursui–
vaient la voiture du vali en lançant des
pierres et poussant des cris d'injures : les po–
liciers épouvantés, sans armes et sans cha–
peau, couraient à toutes jambes et cher–
chaient un trou pour s'y réfugier. On
entendait, dans ce désarroi, la voix du poli–
cier albanais, A l i bey, criant au vali : « Où
te sauves-tu ainsi, Vali bey, où?«Personne
ne l'écoutait. L'un des soldats criait: « Nous
étions quatre frères, trois sont morts au
Yémen, voulez-vous que moi aussi je meure
ici de faim ? »
Le vali, silencieux, avala tous ces affronts;
les soldats ne furent nullement châtiés ; au
contraire ils arrivèrent à leur but ; hier, on
leur distribua un peu d'argent. Il semble que
les Turcs qui sont soumis à des vexations
eux aussi apprendront à avoir la conscience
de leurs droits, du moins celle du droit de
l'estomac.
NOUVELLES D'ORIENT
L A B AND E D ' A N T R A N I K .
—
Ap r è s avoir
quitté le couvent de Sourp Arakélotz,
une partie de la bande d'Antranik s'était
réfugiée près de Norshen, au flanc des
montagnes qui séparent la plaine de
Moush du lac de Van et qui commandent
la route de Moush à Bitlis. Les autorités,
averties de la présence des fédaïs, en–
voyèrent contre eux un détachement de
cavalerie hamidié et de gendarmerie
montée. Les hommes d'Antranik, au
nombre de neuf seulement, ont fait face
aux troupes : ils ont tué le commandant
de gendarmerie et gravement blessé le
capitaine des hamidiés; puis ils se sont
retires sains et saufs, et leurs assaillants
ont estimé prudent de ne pas continuer
la poursuite.
E N MACÉDO I NE .
—
E n attendant que le
comité macédonien ait public son mé–
moire aux Puissances, avec statistique
des atrocités macédoniennes, voici les
nouvelles les plus récentes :
Ressen
(
Monastir). — Depuis quatre
mois les assassinats, viols et incendies
ont presque doublé. Le brigandage em–
pêche tout commerce. Pour percevoir les
impôts de 1 9 0 3 on vend aux enchères, à
v i l prix, le bétail et les instruments ara–
toires les plus indispensables. Une partie
de la population musulmane se fait l'aide
de la police hamidienne et emploie au be–
soin l'assassinat. Le meurtre de Zouliah
agha, adjoint du féroce Choukri agha, a
surexcité encore les passions, et tous les
villages environnants ont subi des per–
quisitions et de véritables invasions.
Gordna
Djoumaïa.
—
Perquisitions
dans toutes les maisons voisines de celle
du maître d'école Sava Mikaïloif, qui ,
heureusement, avait pu s'échapper. Per–
quisitions à
Lechko,
soi-disant pour re–
trouver des Bulgares affiliés à la bande
qui a enlevé miss Stone ; arrestation du
maître d'école Stoyan Loukoroft'; le fils
du notable Ky t an Haïdouchk Pétré était
recherché aussi, mais i l a pu se sauver.
Mehomia.
—
Plusieurs
villages suspects
sont mis hors la l o i . A i n s i ,
Jakoronda
est occupé par cinquante garnisaires,
qui vivent aux dépens de l'habitant et
violent femmes et enfants. Lazar Vardeff,
Pétré Jasireff et son fils, étant rentrés en
retard au village, ont été fouettés jusqu'au
sang au lieu dit Bela-Mesta. Les maga–
sins de Vassil Gbiogeff et d'Ivan Nicololf
ont été pillés par les soldats.
Les brigands collaborent avec les trou–
pes régulières pour le pillage : ils ont en–
levé quatorze moutons à Angh c l Vascoff,
aprè avoir fouetté celui-ci jusqu'au sang ;
dix moutons ont été enlevés par force à
Ivan Vascoff par les frères Cheudevi et
Ar e d Hodja.
Enfin, à
Constantinople
même, l'ins–
pecteur des écoles bulgares, le
22
janvier,
a fait une perquisition à l'école de théolo–
gie, sans même être muni de l'autorisation
spéciale requise par la l o i . I l voulut fouil–
ler les pupitres et les poches des étudiants,
emporter les livres et mettre les scellés
sur la bibliothèque. Le directeur porta le
fait à l a connaissance de l'exarque bul–
gare qui envoya deux délégués. Ceux-
ci ne furent pas plus écoutés par l'inspec–
teur qu i brisa les vitres des armoires,
fouilla partout et partit furieux. D'où con–
flit entre le ministère de l'instruction pu–
blique et l'exarque qui a coutume de dé–
fendre énergiquement les droits de sa
nation.
EN I S PACIIA.
—
On l i t dans le
Temps :
Constantinople, le 3i janvier.
Enis pacha, vali d'Alep, dont les puissances
demandent la révocation, s'était illustré en
1890-1896,
lorsqu'il était vali de Diarbékir,
par la façon avec laquelle i l avait organisé
les massacres des Arméniens dans toute l'é–
tendue de son vilayet. En
1890,
i l avait été
nommé vali par intérim de Diarbékir ; en oc–
tobre de la même année, ses aptitudes ayant
été appréciées et reconnues, i l fut continué
dans ce poste. Il faut lui rendre cette justice
qu'il a pleinement répondu à la confiance
que l'on avait placée en lui, et telle était l'in–
fluence qu'il avait su acquérir, que la France,
l'Angleterre et la Russie ont dù travailler
pendant une année pour obtenir sa révoca–
tion et que ce ne fut qu'en novembre
1896
qu'elles y réussirent, et seulement après des
démarches comminatoires.
Rappelé à Constantinople, Enis fut nommé
conseiller d'Etat, mais sa présence dans la
capitale ne plaisait pas en haut lieu, et en
juillet
1900,
alors qu'on le croyait oublié, i l
fut nommé vali d'Alep. Cette nomination ré–
veilla les puissances, et dans le même mo–
ment elles donnèrent l'ordre à leurs consuls
à Alep de ne pas faire visite à Enis et de n'a–
voir aucun rapport avec lui. Enis s'en plai–
gnit au ministre de l'intérieur qui, dans son
Fonds A.R.A.M