il n'osait pas se faire gloire de suivre
servilement la politique du pr i nc e L o –
ba noff.
A cela, M . d'Estournelles de Con s –
tant a répondu, dans l a séance du
21
janvier, en son d i s cour s sur l a p o –
litique extérieure générale, dans des
termes qu i semblent sans réplique et
l'autorité en est d'autant plus g r ande
que M . d'Estournelles, memb r e de l a
c ommi s s i on permanente d ' arb i t rage
de l a Hay e , d i p l oma t e de carrière, a
coutume de mesurer ses paroles :
Un de nos ambassadeurs
ne
demandait
alors que l'envoi d'un seul bateau de
guerre
français
dans le Bosphore pour empêcher
les
massacres qui se préparaient,
pour
arrêter
ceux qui avaient commencé
sur l'ordre
même
du sultan. Nous avons refusé l'envoi de ce
bateau, et on a osé dire que cet envoi nous
aurait
compromis,
nous aurait exposé à la
guerre!
Mais on ne s'en est pas tenu là.
L'Europe a fourni de l'argent au sultan, de
l'argent, des armes, des instructeurs ; en
sorte que si le sultan a pris sa revanche de
l'indépendance grecque, i l l'a prise grâce au
secours, grâce à la complicité de l'Europe,
grâce à ce fait qu'en réalité l'Europe a changé
de côté et que du rang des opprimées elle est
passée dans celui des oppresseurs.
Ne doutez pas, messieurs, que de telles
défaillances se paient à la longue. Les abdi–
cations de la conscience européenne à Cons–
tantinople ne peuvent plus durer ; elles ont
trop duré. La leçon de Mitylène ne doit pas
être perdue.
Il a suffi d'un bâtiment
pour
rappeler
le sultan au respect de ses
engage–
ments. Bien ! Mais il ne suffit pas que le sul–
tan promette
de payer ses dettes ; le tien–
drons-nous
quitte de ses crimes?
Il faut
qu'il
règle ses comptes, soit, mais tous ses comptes ;
ses comptes envers ses créanciers
et
envers
l'humanité.
A u reste, l a méthode qu i consiste à
laisser tuer les Arméniens, sous pré–
texte de ph i l an t hr op i e supérieure et
pour éviter des désastres pires, a fait
son t emps ; elle est jugée p a r l a c ons –
cience pub l i qu e ; et M . Delcassé a
avoué q u ' i l était désormais difficile
aux esprits politiques de ne pas tenir
compte de ce phénomène mo r a l .
Ma i s le mi n i s t r e des affaires étran–
gères a condamné lui-même l a p o l i –
tique d'attente et de tergiversation qu i
menace l a pa i x générale au l i e u de
l'assurer, et i l faut retenir et c omme n –
ter une phrase de son d i s cour s :
«
I L S EMB L E F A T A L Q U E D E S P O P U L A –
TIONS DON T ON LA I S SERA I T I MP UNÉMEN T
P I L L E R L E S B I ENS OU QUI N E C E S S E R A I EN T
PAS D E SE VOIR EXPOS ÉE S A DES A T T E N T A T S ,
A DE S ME U R T R E S TROP S OU V E N T IMPUNIS,
FINISSENT PAR SE DIRE Q U E T OU T V A U T
M I E U X Q U E L A V I E SOUS L E C A U C H E M A R
D ' U N E HÉ C A T OMB E . »
Ces paroles ne sont aucunemen t
énigmatiques ou sibyllines. L e v e n –
dr ed i 13 septembre 1901, selon le
mandat qu i l u i en avait été confié, le
signataire de ces lignes, en remettant
à M . Delcassé u n projet de réformes
m i n i m u m élaboré pa r le parti d'ac–
t i on droschagiste, attira son attention
sur l'état des prov inces arméniennes
«
et sur le danger de représailles san–
glantes de la part des Arméniens si on
ne porte pas remède à leur situation ».
A i n s i le ministre a pu se c onva i nc r e
depuis cette date que l'alternative, par
la force des choses, et quelles que
soient les volontés particulières, était
ainsi tragiquement posée : exécution
des réformes ou révolution.
C omme pour justifier aussitôt ses
paroles, une dépêche de Con s t an t i no –
ple, en date du 24 j anv i e r , annonc e
que :
Deux bandes d'Arméniens ont fait leur ap–
parition dans le district de Moush.
Au cours d'un engagement avec l'une
d'elles, les T.urcs ont eu un officier tué, un
sous-officier et un gendarme blessés.
Quant aux exigences des révolution–
naires, elles ne sont point excessives.
Jama i s elles n'ont visé l'établissement
d'une aut onomi e : en 1896, le drapeau
des fédaïs, q u i menèrent avec Bédros
Séremdjian, pendu à An d r i n o p l e , l a
campagne de Khana s s o r , portait s i m –
plement : Traité de B e r l i n . Ar t i c l e 61.
Ils ne demandent po int « de p r i v i –
lèges dont i l s puissent se servir p o u r
o pp r ime r les races voisines » ; ma i s i l s
réclament au mo i ns , sous l'exécrable
régime hami d i e n , l'égalité dans l ' o p –
pr e s s i on .
P.-S.
Les déclarations du chef
révolutionnaire An t r a n i c k parvenues
en dernière heure et
qui ont été enre–
gistrées par les consuls russe et an–
glais,
confirment p l e inement les a p –
préhensions du mi n i s t r e des affaires
étrangères.
P I E R R E Q U I L L A B D .
Interpellation du 20 janvier 1902
Sur les massacres d'Arménie
à la Chambre des députés français
En publiant le compte rendu in-extenso
des
débats, nous tenons à exprimer toute notre gra–
titude à MM. Gustave llouanet et Denys
Cochin
et d reconnaître que M. le ministre des affaires
étrangères,
à défaut d'engagements
utile», a
fait
entendre
des paroles
d'humanité,
et a
évité, par une pudeur légitime, de prononcer
le
nom de Hamid, « l'homme innommable
».
(
Compte rendu
in extenso
des débats,
d'après le
Journal Officiel).
M. GUSTAVE ROUAXET.
Je prie la Cham–
bre de me prêter quelques minutes de sa
bienveillante attention pour me permettre de
développer en toute liberté d'esprit les brè–
ves observations que j ' a i à lui soumettre.
(
Parlez ! pariez l)
Et tout d'abord je m'excuse de l'heure tar–
dive à laquelle vient ce débat. Quand j'ai eu
l'honneur de déposer une demande d'inter–
pellation, les relations diplomatiques de la
France avec la Turquie venaient d'être inter–
rompues. Toutefois, étant donné le caractère
des revendications formulées par notre repré–
sentant, rien ne faisait prévoir que M. le
ministre des affaires étrangères était à l a
veille, pour les appuyer, de recourir à l'envoi
d'une escadre dans les eaux turques. On ne
prévoyait guère, alors, que le gouvernement
songerait à transformer en porteurs de con–
traintes, pour le recouvrement d'une créance,
les marins et les cuirassés de notre flotte de
guerre, destinés, dans la pensée générale, à
racconiplissement de besognes nationales
plus hautes.
(
Très bien! très bien !)
L'émotion que le départ de notre flotte
souleva dans l'opinion eut sa répercussion
dans cette Assemblée, qui voulut discuter
sur le champ l'interpellation de M. Sembat.
Je ne demandai pas alors qu'on discutât
immédiatement la mienne, parce que je
croyais, j'espérais —et mon illusion, dans la
circonstance , témoigne que je n'apporte
aucun parti pris systématique de défiance ou
d'opposition dans ce débat, — j'espérais,
dis-je, qu'entre les divers motifs qui avaient
déterminé l'honorable M . Delcassé dans sa
résolution subite de recourir aux moyens
coercitifs contre la Turquie, la situation des
districts arméniens avait eu sa part d'inci–
tation sur l'esprit du gouvernement.
Même après les explications, en réponse à
M. Cochin, apportées par le ministre à la
tribune, je persistai à croire que le silence
gardé par le gouvernement sur une foule de
points n'était qu'une réserve prudente, mais
que la sauvegarde des Arméniens n'était pas
restée étrangère à ses résolutions finales.
J'ajoute que les quelques mots prononcés
par M. le président du conseil, lorsqu'il vint
demander à la Chambre de repousser l'ordre
du jour Sembat, me confirmèrent dans mon
interprétation optimiste du langage de M. le
ministre des aflàires étrangères. Avec sa
précision habituelle, qui donne tant de force
Fonds A.R.A.M