boureur est arraché à son champ et forcé
à de lourdes corvées, bien qu'il s'en soit
racheté d'avance. On l'oblige à fournir
des matériaux pour les mosquées sans
qu'on le paye. L'apostasie obtenue par l a
force et l a menace ; le v i o l des vierges
sont à l'ordre du jour. On pille les champs,
on vole les moissons, on détruit les v i l –
lages; la faim, le glaive et le feu déci–
ment le pays et réduisent à une misère
extrême ceux qui échappent au mas–
sacre.
L a crise est à son comble. U n habitant
de Kharzan écrivait : «
II n'y a plus ni
foyer, nifamille, ni fille, ni enfant; nous
sommes comme des oiseaux sur une bran–
che morte , attendant l'heure de notre
mort. »
Sous tous les rapports l a situation est
analogue à celle de
1895,
lorsque l'af–
freuse boucherie a eu lieu, le plus ho r r i –
ble crime qui s'est jamais produit dans
l'histoire de l'humanité.
A u Parlement français, le ministre des
Affaires étrangères, M . Delcassé, répon–
dant le 4 novembre à une interpellation
de notre ami M . Marcel Sembat, a re–
connu l'authenticité de ces violences. I l a
relevé le fait caractéristique, que quelques
mois auparavant l'apparition d'un ou de
deux vaisseaux de guerre français sur les
côtes de l'Arménie a empêché bien des
meurtres.
Les grandes puissances peuvent-elles
souffrir que de nouveau se prépare le
massacre d'un peuple comme celui d ' i l y
a à peine cinq ans?
Peuvent-elles oublier le
traité de San
Stefano,
où l'on l i t au paragraphe
16 :
«
L a Sublime Porte s'engage à réa–
liser sans plus de retard les améliorations
et les réformes exigées par les besoins
locaux dans les provinces habitées par les
Arméniens, et à y garantir leur sécurité
contre les Kurdes et les Circassiens. »
Et l a
Convention de Chypre
du 4 j u i n
1878
déclare :
«
D'accord avec le gouvernement b r i –
tannique, l a Sublime Porte introduirait
dans ses possessions d'Asie-Mineure tou–
tes les institutions propres à y relever
l'état des populations chrétiennes et mu–
sulmanes. A f i n qu'elle pût aider à cela
plus efficacement le Sultan, l'Angleterre
était autorisée à occuper et à administrer
l'île de Chypre. »
Dans l'article
61
du
traité de Berlin
r a –
tifié par l a Porte, on l i t :
«
L a Sublime Porte s'engage à réaliser
sans plus de retard les améliorations et
les
réformes
qu'exigent les besoins locaux
dans les provinces habitées par les Armé–
niens et à
garantir leur sécurité
contre
les Tcherkesses et les Kurdes. E l l e don–
nera périodiquement connaissance des
mesures prises à cet effet aux puissances
qui en surveilleront l'application. »
E n mai
1895,
les ambassadeurs de pres–
que toutes les grandes puissances se trou–
vant à Constantinople ont dressé un
Pro–
jet de réforme
qu'ils ont présenté au
Sultan...
Mais rien n'a été exécuté de ce que le
Sultan avait promis. De plus, ces réformes
ne visaient que l'Arménie, tandis que les
améliorations ne sont pas moins néces–
saires pour les millions de non-chrétiens
qui sous le règne du Sultan traînent une
vie non moins triste et misérable.
De plus, en montant sur le trône, le
Sultan a promis à son peuple une consti–
tution, mais i l a manqué à sa parole, i l
l'a abolie. S i notre Gouvernement ne se
croit pas à même d'engager, par une en–
tente mutuelle ou d'une autre manière,
comme notre diplomatie jugera préfé–
rable, les autres puissances à intervenir
ou du moins à examiner les faits, je dési–
rerais que notre ambassadeur se rendît
personnellement en Arménie pour faire
des recherches à l'endroit même du crime.
Seulement, si le ministre consent à faire
ces démarches, i l ne sera pas décoré ;
mais i l sera dispensé aussi de porter sur
sa poitrine une croix honteuse pour tout
Hollandais qui se respecte !
(1).
L E PRÉSIDENT.
Je prie l'honorable
député de se modérer dans ses expres–
sions là où i l parle de monarques étran–
gers ; je ne peux admettre dans la Cham–
bre les termes dont i l se sert.
M . V A N K O L .
Je crois qu'on a assez
longtemps passé sous silence de telles
cruautés et qu'il est temps d'intervenir
maintenant que notre premier ministre a
fait la promesse de faire entendre partout
où i l est nécessaire le cri de l'huma–
nité.
Il faut que nous tâchions d'engager les
grandes puissances à prendre des me–
sures qui mettent un terme à l'extermina–
tion des chrétiens arméniens. Toute puis–
sance qu i , les bras croisés, supporte ces
violences, se rend complice de ces
crimes.
M . V A N B Y L A N D T
( 2 ) .
Monsieur le Pré–
sident, je n'avais pas l'intention de pren–
dre l a parole, mais le discours de M . V a n
K o l me porte à faire quelques remarques.
(1)
P e u après là Conférence de l a P a i x , où le
gouvernement hollandais a essayé,
en vain,
d'empêcher M . A h m e d R i z a et des Arméniens
de formuler leurs griefs dans une réunion p u –
blique, le Sultan a
décoré
de l'ordre d u Medjidié
le m i n i s t r e et le secrétaire général des Affaires
étrangères et leurs épouses ; puis u n p e u plus
tard le ministre des Colonies. Etait-ce le paie–
ment de leur servilité de laquais ?
(2)
A n c i e n ambassadeur, memb r e d u p a r t i
calviniste.
Je ne crois pas qu'il soit sage de fulmi–
ner ainsi contre le Sultan de Turquie et
contre son gouvernement. Je confirme
tout ce que M . Va n K o l a dit des cruautés
antérieures ; moi-même j ' y ai deux fois
fixé l'attention de la Chambre, car rien de
plus affreux que les pillages et les mas–
sacres en Arménie.
E n discutant ces affaires, on m'a donné
la même réponse que M . le Ministre
donne aujourd'hui dans son mémoire,
c'est-à-dire que l a Hollande n'a aucun
droit de s'occuper de cette affaire, puis–
que la protection des chrétiens est confiée
aux grandes puissances, qui portent en
outre l'entière responsabilité de la situa–
tion en Arménie. Peut-être M . Va n K o l
saura-t-il que dans un orphelinat améri–
cain en Arménie un certain nombre d'or–
phelins sont élevés avec des fonds amas–
sés en Hollande. Comme je m'en occupe
personnellement, je reçois souvent des
lettres d'Arménie qui m'apprennent que
ce qu'on raconte des pillages et des meur–
tres, non pas antérieurs, mais
actuels,
est
fort exagéré. 11 paraît que le gouverne–
ment turc se ravise et qu ' i l craint de per–
mettre encore les cruautés commises au–
trefois. D'autre part tout ce que M . Va n
K o l raconte de l a manière impitoyable
dont on perçoit les impôts arriérés est
parfaitement v r a i . L a pauvre population
à qui on défend de porter les armes, même
de porter un bâton, en est presque pous–
sée à bout.
Et cependant je crois qu'il vaut mieux
de ne pas se servir d'invectives, bien que
je tienne à témoigner ma sympathie à
cette pauvre population qui s'adonnant à
l'agriculture, ne possède certainement
pas le caractère révolutionnaire qu'on l u i
impute. Espérons que le gouvernement
turc protégera les chrétiens en Arménie
contre l a rapacité des Kurdes et qu'il
agira de manière à ne pas perdre l'estime
qu'il se doit à lui-même.
M . L E B A R O N M E L V Y L V A N L Y N D E N ,
ministre des affaires étrangères.
H
me reste à répondre à M . Va n K o l . De ce
que notre honorable député a dit à cette
occasion et à des occasions antérieures, je
pourrais conclure qu'il désire que, toutes
les fois que le gouvernement ou la
Chambre apprend que quelque part i l se
passe quelque chose d'irrégulier, la Hol–
lande s'en mêle et cherche à améliorer
l'état des choses. I l a parlé du traité de
San Stéfano, du traité de Chypre, du
traité de Be r l i n , mais puisque la Hollande
n'a participé à aucun de ces traités, i l
n'est pas du devoir de la Hollande de se
plaindre qu'on ne s'y conforme pas. L'ho–
norable député a reconnu que la Hollande
ne saurait prendre l'initiative : or, recon–
naître cela, c'est tout dire.
Fonds A.R.A.M