pauvre peuple qu i , épouvanté, n'osait
sortir.
L a semaine passée, un soldat qui
avait eu l'imprudence de voyager seul,
parti de l a campagne de F . , fut pillé par
quelques Kurdes, qui lui enlèvent l'argent
reçu à F . par mandat de paiement et son
fusil. Quand un soldat est ainsi pillé, on
peut se faire une idée sur la situation de
la nation arménienne.
Ab uno disce
omnes.
11/24
juin 1901.
Hier matin, les agents percepteurs, les
soldats environnant les boutiques des
Arméniens, arrêtent les artisans armé–
niens, un à un , dans l'intention cruelle
de percevoir tous les impôts militaires.
Depuis hier trente personnes sont en
prison. Les percepteurs, après avoir
fait fermer les boutiques du cordon–
nier G. et deux notables, les ont mises
sous scellés, avec menace de prendre et
de vendre les marchandises renfermées et
de toucher les impôts. Sur cela, le pauvre
O , qui est père d'une famille nombreuse,
nécessiteuse et endettée, est obligé de
trouver trois livres turques chez un usu–
rier et de payer au gouvernement sans
cœur ; c'est ainsi que le compte des i m –
pôts de cette année est nettoyé. L a bouti–
que de G . B . reste encore sous scellés, car
le malheureux n'a pas pu se procurer les
cinq livres turques à l u i réclamées, qui
représentent l'impôt annuel total.
Aujourd'hui l a perception des impôts
a pris un caractère plus barbare et plus
aigu et de jour en jour les atrocités vont
en augmentant. Personne n
J
ose protester
contre ces barbaries, ces atrocités et ces
oppressions.
Le gouvernement s'est fait une habi–
tude, chaque fois qu'il doit percevoir les
impôts, i l emprisonne les chefs arméniens
et réclame d'eux les dettes de toute l a po–
pulation. Hier, un de nos notables, G . ef–
fendi O , quand i l faisait des observations
poliment sur son emprisonnement injuste,
on l u i dit : « Arménien giaour ! le gou–
vernement vous fait donc des injustices,
vous fait subir des privations ? Nous fai–
sons tout de suite un arrêt de condamna–
tion contre vous et nous vous condam–
nons à l'internement perpétuel dans une
enceinte fortifiée. » Par ces paroles on
effraye le malheureux.
Vo i c i quelques exemples des procédés
barbares et inhumains de réclamations et
de perceptions d'impôts :
Le percepteur.
—
Donne-moi un med-
jidié.
L'Arménien.
—
Je t'assure que je n'ai
pas d'argent ; patiente, je te prie.
Le percepteur.
—
O le chien, le giaour,
tu donneras deux medjidiés.
L'Arménien.
—
Je t'assure ; je n'en a i
pas.
Le percepteur.
—
Tu donneras trois
medjidiés.
L'Arménien.
—
Grâce, je t'en prie.
Le percepteur.
—
Tu donneras quatre
medjidiés.
A i n s i autant l'Arménien supplie, au–
tant les med'idiés s'ajoutent sur sa dette.
Il est arrivé souvent que les percepteurs
ont élevé la créance d'un medjidié jusqu'à
5
oo piastres et même i l s les ont touchés
à temps.
Autre exemple :
Le percepteur.
—
Donne-moi 5oo pias–
tres.
L'Arménien.
—
Venez chez moi, fouil–
lez ma boutique, prenez ce que vous trou–
verez, et emportez ; je n'ai pas d'argent.
Le percepteur.
—
Impossible, tu dois
payer.
L'Arménien.
—
Je n'en ai pas, je vous
assure, non.
Lepercepteur
(
s'adressant au soldat.) —
Fouille ses poches ; on fouille les poches
du pauvre homme et on ne trouve rien.
Le percepteur
(
s'adressant au soldat). —
Amène-le donc au marché, qu'il em–
prunte, i l doit payer sans faute ; bats-le,
déshonore-le et touche l'argent.
Le soldat, en bousculant l'Arménien et
en l'injuriant et après l'avoir déshonoré
dans tous les marchés, le ramène à l a
maison et réclame de l'argent. Là aussi,
i l déshonore le pauvre Arménien devant
sa femme, et quand le soldat est persuadé
qu'il n'y a pas d'argent : « Donne-moi
alors ta femme, d i t - i l , que je l'amène à la
caserne ; elle gagnera tes dettes en deux
j our s ; moi j'en suis garant. » Barbaries
inimaginables et monstrueuses !
Souvent même les perceptions ont lieu
de nuit avec le même système féroce et
monstrueux.
Enlèvement.
—
Le samedi,
2
j u i n , vers
mi d i , G . , de la campagne de L . , fils de S.,
de l a tribu de T., et son frère B . assail–
lent, tous armés, l a maison de F . F . , ha–
bitant l a campagne de G., à une distance
de douze heures de R. , et après avoir tiré
quelques coups de feu, ils épouvantent les
gens de la maison et enlèvent l a jeune et
jolie femme du susdit G. avec des cris de
triomphe et de joie.
Les deux mêmes frères kurdes ont de
nouveau fixé les yeux sur l a femme de
B . G . et peut-être même qu'ils l'ont enle–
vée jusqu'ici. Aujourd'hui, G . , à qui on a
enlevé sa femme, est venu à R. et a
adressé une pétition au gouvernement;
tous les jours i l arrive des incidents.
Nous apprenons ces nouvelles tardive–
ment, car les pauvres Arméniens, après
avoir compté tant de victimes, n'osent
plus voyager, persuadés que les criminels
restent dans tous les cas impunis.
LE SERVICE SANITAIRE
E N
T U R Q U I E
O n lit dans le
Moniteur Ottoman
sous
la signature d u docteur L o u t f i , qu i fut
fonctionnaire du gouvernement en
As i e -Mi neu r e :
,
A l'appui de mes dires, je crois devoir
citer les faits suivants :
i ° E n janvier
1897,
J
e
faisais une ins–
pection à Alayé, Ak s e k i , Kash, Elmalou,
sous-préfectures d'Asie-Mineure, où ré–
gnait une épidémie de variole.
Tous les jours, les médecins, dans leurs
rapports, me signalaient le décès de cent
ou deux cents enfants, chrétiens ou mu–
sulmans.
Dans toutes les prisons, le mal sévissait
avec une telle violence que l a moitié des
détenus passèrent de vie à trépas.
A Istanos, un petit village, je relevai l a
mort de deux cent cinquante enfants.
Gomme à l'ordinaire, je télégraphiai ces
alarmantes nouvelles à Constantinople.
Aussitôt, le gouvernement me fit tenir
cette fantastique réponse :
—
Ne nous
envoyez
Jeûnais
de
telles
communications
!
* *
2
0
Une autrefois, je visitais, entre Sparta
et Smyrne, une des nombreuses proprié–
tés faisant partie des domaines de l a Cou–
ronne, Tcheltiktchi-Tchifliyi, d'où l ' im–
pôt est directement versé au Ministère de
la Liste Civile, sans passer par le Trésor.
Cette ferme était un véritable foyer d'in–
fection. Jamais médecin ne l'avait visitée
et l'inspecteur sanitaire lui-même n'avait
pas le droit de s'y rendre, une ferme im–
périale échappant à sa juridiction. Tous
ses habitants étaient syphilitiques et
avaient contaminé les campagnes avoisi-
nantes :
A mon retour à Constantinople, j'infor–
mai le Ministère de la Liste Civile de ce
lamentable état de choses.
Il me fut répondu textuellement :
—
On ne meurt pas de la syphilis.
D'ail–
leurs,
à quoi bon soigner
ces
gens-là
puisqu'ils
sont incurables
!
*
m *
3
°
E n mars
1898,
j'étais en tournée de
service sanitaire près de Ko n i a (à Ka r a -
man Herekli), dans une contrée où ré–
gnait une épidémie terrible et mal définie.
Lorsque j ' a r r i va i , je fus stupéfié du
spectacle navrant que je vais rapidement
décrire.
Une partie des habitants du pays, fana–
tisés par les autorités locales, s'étaient
rués dans un cimetière arménien, avaient
exhumé les cadavres enfouis depuis peu,
Fonds A.R.A.M