attendaient pour toucher leur salaire et à
cause du manque d'argent ils étaient restés
en service. Le 6 septembre, environ cent sol–
dats ont attaqué la voiture du commandant
Férik Hussein pacha et ont réclamé de l'ar–
gent. Le commandant sortant de la voiture
donna des coups de bâton aux révoltés avec
ses officiers et les faisant traîner comme des
moutons, i l les fit emprisonner dans la ca–
serne. Comme un mendiant, allant çà et là,
i l mendie de l'argent pour les soldats qui
confirment cpie les sommes envoyées pour
leur compte avaient été données à de hauts
fonctionnaires. Déjà on les renvoie, par petits
groupes, dans leur pays ; mais malheur aux
villages arméniens qui se trouvent sur leur
passage ; ils subissent tout de la part de ces
barbares affamés !
Kior Hussein pacha, chef de la tribu de
Haïdaran et chef de cavalerie hamidié, avec
Hadji Timour et Emine pacha, et A l i bey,
frère de ce dernier, et cinquante de ses hom–
mes, arriva à Van, ces derniers jours, pour
épouser la fille d'un cheik de Mogha. C'était
un spectacle curieux de voir tous ces bri–
gands errer à Van et dans les vignobles, tous
armés de fusils. Hussein pacha, comme per–
sonnage officiel, rendît visite au vali, au
commandant militaire, au consul anglais et
à d'autres personnages officiels. De toutes
parts on prodiguait des honneurs et des hom–
mages à celte bête féroce qui, en revanche,
répandait des pièces d'or rouge. Ce misérable
gredin suce comme une sangsue le sang de
la population arménienne de Badin, Sari
Sou, et Aldjavaz ; les kaïmakams tremblent
devant lui et malheur au fonctionnaire du
gouvernement qui n'agit pas d'après son bon
plaisir; i l a le pouvoir défaire révoquer par
menaces et violence, grâce au muchir Zéki
pacha.
L'année passée, les Arméniens du district
d'Aldjavaz. ne pouvant résister à ses vio–
lences ont envoyé leur chef de village pour
protester au vali du lieu. La Sublime Porte,
après plusieurs télégrammes et plusieurs dé–
marches auprès des consuls du lieu, et après
de longs mois d'hésitation, a pu à peine faire
exécuter deux de leurs réclamations, c'est-à-
dire faire expulser les Kurdes qui habitaient
de force leurs villages, et faire garder par
des soldats quelques endroits déterminés
pour empêcher les pillages de Hussein pa–
cha. Les méfaits et les assassinats commis
dans le passé furent oubliés.
L'existence des soldats turcs dans les vil–
lages n'était point favorable à Hussein
pacha ; i l resta tranquille un ou deux mois ;
il commença à travailler sous-main et l'occa–
sion propice se présenta. Les Kurdes du sus–
dit "pacha ont enlevé le bétail du village
d'Arèn; les soldats de garde les poursuivent;
dans la lutte un Kurde estropié est tué, les
autres prennent la fuite. Hussein pacha dé–
naturant tout à fait les faits, protesta contre
les soldats; le gouvernement, qui joue déjà
sans avoir besoin de tambour, fît éloigner
aussitôt les soldats et soumit au jugement
sept soldats qui avaient participé à la sus–
dite lutte, (ces malheureux se préparaient
à rentrer dans leurs pays, le délai de leur
service étant expiré; le tribunal les con–
damna chacun à sept mois d'emprison–
nement.)
La carrière fut donc encore laissée libre à
Hussein pacha. Le pillage et les destruc–
tions recommencèrent. Il fit signer, sous me–
naces, aux Arméniens du même district, une
lettre de remerciement adressée à Zéki pa–
cha, comme i l le faisait jadis pour le sultan,
pour tromper l'Europe ; l'heure de la ven–
geance était arrivée ; les Arméniens qui
avaient protesté, commencèrent à trembler ;
à qui s'adresser maintenant ? et bon gré,
mal gré, ils mirent le cou sous son joug.
Les Kurdes ont assiégé de nuit la maison
de Mélik Kassbar, du village de Kogher.
Celui-ci arriva à s'échapper ; i l était consi–
déré comme le plus audacieux parmi ceux
qui avaient protesté ; on est allé embrasser
les pieds du pacha et demander son pardon
avec des pièces d'or rouge. Hussein pacha
réclama en outre
200
livres, pour l'indem–
niser des frais que lui avaient soi-disant
occasionnés ceux qui avaient protesté, et de
plus une grande quantité de blé. Mais quoi-
qu'abandonnés de toutes parts, quelques-
uns ont eu le courage de résister, préférant
s'anéantir que s'asservir à cette vile créa–
ture; dans le nombre sont les paysans de
Kogher.
Les habitants de Kogher étaient déjà en
procès contre Hussein pacha, qui s'était
approprié un vaste pâturage de leur village.
Ces paysans, dans beaucoup de cas, avaient
révélé ses méfaits et avaient ainsi excité
davantage sa vengeance.
Vers la fin d'août, à son arrivée à Van,
Hassan agha, officier hamidié, Kassim, ïémo,
poussés par lui et par son ordre, envahirent
avec six Kurdes armés le susdit village
(
i
e r
septembre), et en plein jour, à neuf heures
à la turque, ils ont pillé et ont tout emporté.
Le kaïmakam qui réside à Pargad, à une
heure de Kogher, refusa de poursuivre les
brigands ; un capitaine, envoyé longtemps
après, rebroussa chemin avec ses soldats,
par crainte ou plutôt à dessein.
Les paysans désespérés s'adressent au vali
et lui proposent librement ou de les proté–
ger, ou de leur permettre d'émigrer, ou de
leur donner des armes pour se protéger. Le
gouverneur promet de reprendre tout ce qui
a été pillé, et i l envoie « l'aratchnorte » des
Arméniens, Sahak vartabed, auprès d'Hus-
séïn pacha. Celui-ci promet de rendre à son
retour le produit du pillage, mais en fait i l
est extrêmement irrité, et on a toute raison
de craindre que deux des notables ne soient
encore prochainement tués. Déjà une tenta–
tive d'assassinat fut commise ces jours-ci
sur le chemin qui conduit à la ville, sur le
nommé Mélik, un notable, de la part des
hommes de Hussein pacha, les nommés
Moukaïl et Chabab, qui l'ont attaqué avec
des poignards à deux tranchants ; mais la
police étant survenue, i l a pu à grand'peine
^ prendre la fuite.
Malgré les protestations de Mélik, les poli–
ciers restent indifférents et laissent les Kurdes
continuer leur chemin.
Le
12
septembre on enlève du même vil–
lage le bœuf de Katcho et on le conduit chez
Hassan agha. Le frère du paysan, accom–
pagné d'un caporal, va réclamer le bœuf.
Hassan agha, après lui avoir administré une
bonne bastonnade, lui dit : « Vous autres,
craignez d'abord de perdre la vie ; que cher–
chez-vous ainsi après vos biens ? Attendez,
nous anéantirons complètement votre maudit
village. » Le caporal écoute ces paroles en
silence et s'excuse ensuite auprès des Armé–
niens en disant : « Lui est un major hamidié,
tandis que moi je suis un simple caporal ;
que puis-je faire ? »
Le
4
septembre, les hommes de Hassan
agha, hamidié de Chimchik, envahissent de
nuit, à une heure à la turque, le village de
Kirel qui compte cinquante-cinq maisons
arméniennes, dans le district de Mahmoudié.
Après avoir fait feu pendant trois quarts
d'heure, ils emportent environ
25
o
moutons,
malgré l'opposition des trois soldats turcs
qui, ce jour-là, se trouvaient dans le village.
Le gardien kurde du village est tué, et l'un
des brigands est arrêté et conduit àKhochab.
Les Arméniens accusent directement Hassan
agha, mais celui-ci commence à battre les
Arméniens devant le kaïmakam et à inju–
rier leur religion, leur croix. Le kaïmakam
chasse les Arméniens qui sont venus mainte–
nant à Van pour protester au vali ; ils peu–
vent attendre pendant des mois.
Les Arméniens du susdit village sont deve–
nus des esclaves dans les mains du susdit
Hassan agha, de Massour bey, de Rachvan
bey, de Mola Husseïne qui, ces derniers
temps, fit convertir huit personnes de leur
religion, de Témer oghlon Sefer, de Mah–
moud agha qui s'est emparé d'un village ar–
ménien et en a changé l'église en une mos–
quée. Un Kurde nommé Findo enleva, au
mois de mai de l'année courante, une jeune
fille arménienne du susdit village, Kirel.
Après trois mois de séquestration, la jeune
lille s'enfuit à Van. En chemin, elle est arrê–
tée par Réchid efï'endi, comptable du village
de Ghighzi, qui bat la jeune fille affreuse-
sement et veut l'islamiser. Sur les plaintes
des Arméniens, on envoie la jeune fille en
ville ; les zaptiés lui font subir en route mille
tourments et la conduisent, moitié morte, à
«
Faratchnortaran » des Arméniens.
Au mois d'août, une jeune mariée était
conduite à Mogou ; elle fut enlevée, en che–
min, par les Kurdes et conduite auprès du
cheik pour lui faire embrasser l'islamisme.
La jeune lille y est encore.
L- E BLOC
Gazette hebdomadaire
P A R
G. CLEMENCEAU
B u r e a u x et A d m i n i s t r a t i o n : S 4 ,
r u e
C h a u c h a t ,
P a r i s
A B O N N E M E N T : France et Colonies . . . .
20
fr.
Etranger
25 —
Le Secrétaire-Gérant
:
J E A N L O N G U E T .
0196.—
I M P R I M E R I E D E S U R E S N E S ( G .
Richard, ad')
9,
rue du Pont
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