siné son fils s'était mis en embuscade sur
son chemin et l'attendait ; i l le blesse sur son
passage et s'en va. Le pauvre prêtre est
alité, pleurant ses malheurs et ses souf–
frances. Personne ne l'écoute.
24
juillet.
La lutte entre Bichar et Osman prend une
tournure plus violente. Le gouvernement a
envoyé quarante soldats avec des zaptiés et
le kaïmakam de Gharzan pour arrêter Bichar
et son frère Djénisch. Mais on n'aboutit à
rien et en outre un caporal a été tué et un
autre blessé ; quatre chevaux et quatre fusils
ont été pris par les Kurdes. Cet incident
prend des proportions de plus en plus sé–
rieuses ; aussi le mutessariff de Sigherte avec
de nombreux soldats est-il parti, i l y a une
semaine, pour le village de Zok où réside un
kaïmakam, à Gharzan. Nous apprenons que
le kaïmakam s'en va au village de Kanis-
sorké pour arrêter Djémil. Bichar, frère de
Djémil, qui s'était établi dans le village de
Marib, en apprenant cela, va trouver le mu–
tessariff avec cent hommes armés et le con–
tente avec
80
livres rondes ; le mutessariff
s'en est retourné de nuit à Sigherte avec une
grande satisfaction. A son arrivée, le frère
du caporal, victime de l'assassinat, remit
une pétition au sujet de l'assassinat et com–
mença à s'écrier sur la place : « Le mutes–
sariff a raison de s'entretenir avec Bichar
condamné et de lui prendre
80
livres, puisque
le pacha a obtenu son poste pour 3oo livres. »
(
Applaudissements
de tous
côtés.)
24
juillet.
Un Turc, nommé Mahmoud Sasé, mar–
chand de blé, i l y a quelques jours, enleva
une jolie femme de la tribu de Miradié ; sur
cela, quelques Kurdes de la même tribu, très
irrités, se sont établis dans le village de
Kézid et pillent tous les voyageurs, chrétiens
et non chrétiens de Sigherte ; en voici une
preuve :
Deux jeunes gens Arméniens, Daniel Hov-
ssep et Jarabed Hanoyan, cordonniers, qui
s'étaient mis en route à des jours différents,
pour aller vendre des chaussures dans les
villages voisins, lurent pillés par les mêmes
brigands kurdes, arrivés au susdit endroit.
Le gouvernement n'existe que pour percevoir
les impôts des chrétiens. Les chrétiens de
l'Europe nous prennent-ils en pitié ou pen–
sent-ils seulement à leurs intérêts personnels?
Où subsiste maintenant l'Evangile et où est
la postérité de Frederick Barberoussc ?
25
juillet.
Un zaptié avec ses six soldats s'en va à
Bitlis pour une affaire officielle. Chemin fai–
sant, i l rencontre une bande de brigands de
la tribu de Ismanka qui, avec des ignominies
et des violences, s'emparent des fusils des
soldats et des armes, et les emportent pour
s'en servir sans doute au besoin contre eux.
N'est-ce pas là un signe de révolte ?
27
juillet.
Un jeune homme arménien, nommé Khat-
chadour Mikhitarian, de Hatcho, qui était
allé à Diarbékir et avait apporté environ
pour 5oo livres de marchandises, fut pillé et
tué à son retour par le fils du chef de la tribu
de Moussikan, qui avait été poussé par quel–
ques turcs de Hatcho.
28
juillet.
Du village de Ilusseïnik, à une distance de
huit heures de Sigherte, fut enlevée une
femme arménienne par un Turc nommé
Melnnet, du même village.
»*„
Le fils unique d'un agha de la tribu de
Silokan tombe gravement malade ; malgré
tous les soins et les remèdes du père, l'état
du malade devient désespéré. Le père, comme
dernier remède, fait un vœu par un serment
mahométan, de tuer deux prêtres arméniens
et un « vartabcd ». Les pauvres prêtres qui
habitent dans le voisinage de cette tribu
prennent la fuite. Voyons qui amènera le mau–
vais numéro.
„*,
Les bandes de brigands de la tribu de
Miradié continuent leurs carnages aux envi–
rons de Sigherte ; ils ont commencé à dévaster
les vignes et à persécuter les gardiens. Ils
ont raison ces gens-là, ils réclament leurs
femmes avec un sentiment d'honneur digne
de la chevalerie. Ces derniers jours, ayant
changé leur politique, ils n'attaquent que les
Turcs et ne touchent pas aux Arméniens ;
aussi les Turcs qui lès rencontrent, pour
sauver leur vie, mentent lâchement et se di–
sent Arméniens ; beaucoup pensent porter la
croix sur leurs habits pendant leur voyage.
12
août.
Le
10
courant, à une distance de huit heu–
res de Sigherte, vers le Nord, sur la mon–
tagne appelée Tchiliptan, fut pillé un des
prêtres de Sigherte, le père Dumini qui arri–
vait de Van par voie de Bitlis, accompagné
d'agents de police; ceux-ci prennent la fuite
pour sauver leur vie ; quelques-uns affirment
et constatent que les agents sont les compa–
gnons et les complices des voleurs ; le do–
mestique du religieux est aussi grièvement
blessé; les pillards sont des malfaiteurs au
nombre de huit à dix de la tribu de Dimbila.
Le commissaire en chef de Sigherte, Ismaïl
effendi, avec un groupe de soldats et des po–
liciers est parti pour l'arrestation des bri–
gands et pour reprendre les biens et l'argent
du religieux. Les criminels sont recherchés
par le fils de Moughdad, agha de la tribu de
Dimbil; non seulement les coupables ne sont
pas trouvés, mais, de plus, le fils de Mough–
dad agha a été tué pendant ses recherches.
16
août.
Nous avons appris ce matin la nouvelle de
six assassinats :
10
Un jeune homme syrien nommé Lahdé,
du village de Dagala, près de Sigherte, pen–
dant qu'il allait au moulin, fut tué à une dis–
tance d'un quart d'heure du village par deux
frères kurdes du même village, qui avaient
percé son corps de vingt-quatre coups, lui
avaient à moitié coupé le cou et lui avaient
brûlé les mains et les pieds.
2
0
Un nommé Lahdo, lui aussi Syrien, du
village de Husseïnik, est tué par les Kurdes
qui enlèvent la veuve du frère de la victime
avec sa fille.
3
° Quatre ou cinq jours auparavant, des
muletiers de Mossoul et de Sigherte partent
d'ici p >ur Massoul; après huit ou neuf heu–
res de marche, ils arrivent aux environs du
village nommé Kerrahané, où ils sont as–
saillis par les hommes de Khalil Suleymani,
agha du village de Dirov qui, dans le but de
s'emparer de toutes les marchandises, entre–
prennent de tuer les muletiers. Des deux
frères Séïd, l'un est grièvement blessé et
l'autre prend la fuite ; des soldats en voyage
surviennent ; les malfaiteurs, mécontents de
cette malheureuse rencontre, prennent la
fuite.
4
°
Hassan, du village de Silakharé, est tué
par les hommes de la tribu de Alikan.
Dans la semaine, tous les animaux do–
mestiques des villages de Rindouan et K i r -
dachen sont enlevés par la tribu de Alikan.
24
août.
La caravane arrivée ici de Van, i l y a trois
jours, est pillée sur la susdite montagne de
Tchiliptan.
La fréquence des assassinats, des pillages
a engendré le mécontentement sourd de la
population. Musulmans et chrétiens, fonction–
naires et non fonctionnaires sur la place du
Marché, sans crainte et librement, raillent
l'indifférence imprudente du gouvernement ;
ils couvrent d'injures, d'insultes et d'affronts
le chef du gouvernement. Il ne peut pas
gouverner, i l ne peut pas maintenir l'ordre ;
qu'il donne sa démission ! tous les Turcs ré–
pètent la mime chose.
L'anniversaire de l'avènement au trône fut
fêté sans aucun éclat; personne n'a le cœur de
manifester une animation et une joie intérieu–
res ; les fonctionnaires qui arrangeaient les
lanternes et les flambeaux pour l'illumination
furent un objet de risée de la part de la po–
pulation. « Plût à Dieu que ces lanternes con–
tribuent à mettre en fuite les Kurdes malfai–
teurs qui pullulent autour de nous ! plût à
Dieu que ces flambeaux fassent cesser les
assassinats et les pillages et qu'ils fassent
régner la parfaite tranquillité; c'est une
honte, laissez de côté toutes ces singeries
mensongères officielles ! » criaient tous les
gens mécontents,
Les policiers turcs ont commencé aussi à
donner leur démission, car les tribus kurdes
ont commencé à employer leurs armes même
contre eux.
Il ne reste parmi les chrétiens que deux ou
trois policiers qui soient en fonction ; ceux-ci
aussi vont démissionner, sans doute, sous
peu.
L E T T R E D E V A N
24/7
septembre
1901.
Le cheik de Khizan fit un voyage à Boula-
nik, ces derniers temps. Comme if est un
ennemi implacable des chrétiens, i l prêche
dans toutes les tribus de cesser les luttes
entre tribus, de s'unir et de faire des efforts
pour purger le pays des giaours impurs.
Ces jours-ci des vexations intolérables
sont commises, même en ville, pour la per–
ception des impôts; afin de pouvoir payer
quelque chose aux soldats libérés de leur
service, lesquels depuis sept à huit mois
Fonds A.R.A.M