Berlin en sauvant les débris de ce traité
précisa d'une manière plus nette son droit
public.
Mais l'Europe s'est méprise sur un point
capital, qui fut l'origine de tant de mal.
heurs et qui donna lieu à tant de mé–
comptes ; croyant que le Sultan était le
plus directement intéressé dans l'intro–
duction des réformes capables de relever
l'Empire, elle confia le soin de l'accom–
plissement de son œuvre réformatrice à
son pouvoir discrétionnaire et elle l'ap–
puya par sa confiance absolue pour relever
son prestige aux yeux de ses peuples qui
passaient pour être le seul et unique
obstacle à la réalisation des réformes. Le
temps et les événements ont donné les
preuves de cette erreur. Le régime actuel
dépassa toute mesure de prévision hu–
maine. Ce régime, œuvre d'une réaction
sans nom, ayant pour base un despotisme
aveugle et pour mobile un intérêt per–
sonnel, enveloppé dans les plus gros
nuages de dangers et de persécutions ima–
ginaires, poussa le principe de division —
pas pour régner mais pour écraser— jus–
qu'au point de rendre une partie de la po–
pulation le bourreau de l'autre partie
devenue victime inoffensive. Aucune con–
sidération politique ou religieuse ne pré–
side dans l a conception de ce système de
destruction et d'extermination. L'extrême
misère qui sévit dans les pays et les contrées
purement musulmanes, les persécutions
et les avanies que subissent ses habitants
et surtout les Arabes et même ceux qui ap–
partiennent à la famille noble du Pr o –
phète, la dépravation à laquelle est ré
duite la race turque en donnant le plus
lugubre spectacle d'un espionnage sans
limite et sans pudeur, l'organisation des
massacres en masse et des dévastations
en règle à l'égard des races et des pays et
villes entières, l a confiscation des biens
de ceux qu i , pour fuir la mort, se sont ré–
fugiés à l'étranger d'où le retour leur est
interdit, l a menace d'exil et de prison
contre ceux des Turcs et Kurdes qu i , ani–
més de sentiments d'humanité, se permi–
rent de contribuer à réintégrer les Armé–
niens clandestinement rentrés dans leurs
maisons et propriétés, l'abandon de tous
les avantages politiques, stratégiques, ad–
ministratifs et même financiers découlant
du traité de Be r l i n , constituent des faits
qui prouvent que n i les règles de la foi
musulmane, n i les lois de la pure morale
ni les engagements internationaux ne
sont respectés.
Devant cette anarchie ou nihilisme ve–
nant d'en haut, les peuples de l'Orient,
armés de l a patience que le bon sens et la
foi absolue en la justice divine et la com–
passion du monde civilisé leur dictent, at–
tendent avec confiance la fin de leurs mal–
heurs et l'inauguration d'une ère de justice
et de liberté.
E n repoussant de la façon la plus for–
melle toute solidarité entre nous, peuples,
et les vrais auteurs des atrocités orga–
nisées dans un but pervers d'écraser l'un
des éléments en le dépeignant comme i n –
fâme massacreur et d'exterminer l'autre
par le fer et l a famine, nous sollicitons
l'intervention de l'Europe et particulière–
ment celle de la France pour accomplir
l'œuvre de l'apaisement et de l'évolution
dans ce pays d'Orient qui lut toujours
l'objet de sa haute bienveillance et sollici–
tude. L a France qu i , par des sacrifices
considérables pendant la guerre de Crimée,
et par un désintéressement louable pen–
dant le Congrès de Berlin, soutint l a
cause des peuples de l'Orient ne manquera
pas cette occasion de chercher les
moyens de réaliser les engagements que
l'Europe a pris et dont, malheureusement,
son mandataire ajourna l'exécution au
détriment de son trône, de sa dynastie et
de ses peuples.
Le rôle honnête et désintéressé que la
France a joué pendant un demi-siècle,
dans les affaires d'Orient l'autorise et l u i
impose même le devoir d'appeler le con–
cours des autres puissances garantes pour
se réunir en conférence, d'après la prévi–
sion du Congrès de Be r l i n , et prendre les
mesures qui assureraient l'application des
engagements pris par les articles
23, 61
et
62
du traité et établir un contrôle qui ga–
rantirait la jouissance d'une justice com–
plète parmi tous les peuples et races en
appliquant les règlements élaborés con–
formément aux clauses de ces articles.
B r u x e l l e s , le
14
novembre 1901.
IsMAIL K EMA L .
C O R R E S P O N D A N C E
d'un vicaire du Patriarcat pendant
les années 1899, 1900 et 1901
E X T R A I T D E L E T T R E D U 5 M A I I y O I
Vers latin d'avril,une commission de per–
ception est formée à R., composée de huit
à dix membres, musulmans et chrétiens,
sous la présidence du major de la gendar–
merie de notre ville ; cette commission se
réunira tous les jours et a pour mission
d'accélérer soit la perception des arriérés
des impôts depuis i3oo jusqu'à I 3 I 6 ,
(
i883 à
1898),
dont la population islam et
non islam est tenue, soit la perception des
impôts généraux de l'année courante.
C'est à cause de ces lourdes charges, que
pendant l'événement de
1895,
les Armé–
niens qui avaient embrassé l'islam par
crainte et par force, et qui ensuite avaient
été autorisés par ordre impérial à retourner
à leur religion, n'osent pas redevenir
chrétiens et trouvent mieux et plus favo–
rable, de rester et de s'affermir dans l'is–
lamisme. Ils arrivent par groupes ou par
familles et embrassent définitivement l'is–
lamisme et sont enregistrés (car en
1895,
ils n'étaient pas enregistrés). Ici plus de
cent Arméniens par an se convertissent à
l'islam.
O très révérend Saint-Père ; le fardeau
des impôts est trop lourd ; notre pauvre
peuple ne peut le supporter; pour l'amour
de Dieu, un remède.
E X T R A I T D E L A L E T T R E D U
12
M A I
i g o i
Je tâcherai de confier à la haute atten–
tion et aux soins bienveillants de Votre
Béatitude ainsi que de l'honorable admi–
nistration centrale, la situation actuelle,
réelle, amère et intolérable du peuple de
notre paroisse, par les notes suivantes :
I. — E n parlant particulièrement de
notre paroisse, i l estimpossible de dire les
assassinats, les atrocités, les bastonnades
injustes, et les transactions faites sans
conscience et les abus inimaginables nous
rappelant juste la situation en
1873
et de
1878-79
dans les provinces habitées par
les Arméniens, soit au point de vue de la
vie individuelle, de l'homme et des biens
et soit des affaires et des transactions ré–
tives aux« Aratchnortes ». Elles prouvent
la nécessité de faire les mêmes réformes
profondes pour les programmes et les notes
qui furent faites à ces dates.
I L — S i cette situation continue ainsi
et si l'honorable administration centrale
nationale ou en un mot le patriarcat reste
indifférent, dans cinq ou dix ans, l a popu–
lation chrétienne arménienne d'ici sera
anéantie et perdue dans le torrent qui
dévore et brise tout, torrent linguistique,
religieux et ethnique ; une partie par les
conversions forcées, une partie par suite
des impôts sans calcul, lourds et imposés
sans conscience, une partie, par suite des
dettes insupportables et innombrables et
une autre très grande partie par suite des
abus inouïs et des atrocités qui prennent
un caractère de plus en plus aigu par
l'instigation des cheiks, des séïts et par
leurs fausses accusations. V o i r l'affaire
des huit à dix Arméniens de L . ,
25
janvier,
lesquels souffrent en prison depuis quatre
à cinq mois, à cause de l'accusation de
vo l !!! pour quelques tissus de crin appar–
tenant au cheik R. ; et cependant dix à
quinze faux témoins, amenés àgrandsfrais,
ne voulurent pas agir contre leur Dieu,
leur religion et leur conscience et ne con–
firmèrent pas l'accusation, mais le cheik
du pèlerinage veut faire condamner et
abattre ces pauvres accusés et toute
la campagne de L . , I l y travaille par
Fonds A.R.A.M