mettent pas envers ces derniers les atro- I
cités et les cruautés qu'ils commettent sur
nos pauvres Arméniens.
III. — U n agha, selon son caractère, sa
bravoure ou son influence, sa noblesse de
race ou sa situation, s'empare d'une, de
deux, cinq, dix campagnes ; par consé–
quent, presque partout en général, les
pauvres Arméniens sont sous l'autorité
d'un agha d'une campagne turque ou
kurde ; exception est laite pour la cam–
pagne de N . , où chaque maison de nos
pauvres Arméniens a un agha et quelque–
fois deux.
I V . — Quand un agha construit une
maison, un moulin ou un bâtiment quel–
conque, les pauvres Arméniens sont obli–
gés d'aller y travailler gratis, comme ils
sont obligés aussi de procurer les bois, la
paille de l'agha. Les fonctionnaires du
gouvernement pendant la construction
des bâtiments du gouvernement emploient
le même procédé barbare, juste comme
les Pharaons d'Egypte.
E X T R A I T D E L A L E T T R E D U 10 MA R S
i g OO
Impôts.
—
Le peuple est livré aux souf–
frances, à la faim et à l a misère extrêmes
par suite de la perception sévère et cons–
tante des impôts militaires et autres,
nouveaux ou arriérés. I l est difficile de
décrire la situation des habitants du lieu
et de ceux qui viennent du dehors ; on ne
peut être insensible à leurs démarches et
leurs pleurs ; on ne peut leur faire une
réponse, trouver un moyen. On est navré
et désespéré devant la situation de tels
malheureux de toutes sortes et restés sans
soins ; une grande partie embrassent
l'islamisme ; beaucoup sont convertis à
l'islam par force. Christianisme et isla–
misme luttent i c i l'un contre l'autre : le
premier est en voie d'être foulé aux pieds
et vaincu, le second est destiné à oppri–
mer, à écraser et régner. Le gouvernement
refuse par principe d'écouter toute voix
juste, et d'agir.
E X T R A I T DE L A L E T T R E D U
(3
MA I IQOO
Dans le courant de cette semaine, deux,
trois familles, de dix à vingt membres,
des campagnes de D . , embrassèrent
l'islam, pour leurs dettes lourdes aux
aghas kurdes qui leur faisaient subir
toutes sortes de privations et les martyri–
saient.
E X T R A I T D E L A L E T T R E D U
21
MA I
I9OO
Tout en regrettant de tout mon cœur la
situation lamentable de notre pauvre et
ignorant peuple, je puis dire que j ' a i l a
conscience assez tranquille, car j'écris et
je communique à temps et en détail toutes
les nécessités, les réclamations, mais nos
vœux restent irréalisables pour des motifs
indépendants de la volonté de la nation
et de la mienne : la faute n'en est n i à la
nation, ni à moi ; la faute en est d'abord
à Dieuqui laisse toujours grandes ouvertes
les portes de la misère et de l'indigence
devant notre peuple malheureux ; la faute
en est ensuite à la nature qui a mis cruel–
lement dans l'humanité l'esprit de con–
currence et de lutte pour l'existence i nd i –
viduelle ou celle des nations.
(
A
suivre.)
•
LETTRES
DE MOUSH, D'ALEXANDRETTE
ET D'ATHÈNES
L E T T R E D E
M O U S H
Par mon précédent rapport, j'avais décrit
l'anéantissement du village arménien de Mo-
koug —par suite de la disparition du chérit
aga turc de Moush.
—
i)5
Arméniens, femmes,
hommes, enfants gémissent encore dans les
prisons où, par suite du manque de place,
les prisonniers sont entassés l'un sur l'autre?
A cause de la malpropreté de la prison et des
tortures, le typhus est devenu épidémique.
Les malades sont privés des soins des plus
élémentaires. Il y a deux jours qu'on a fait
tirer de la prison des cadavres, en les insul–
tant avec des injures et des éclats de rire.
La situation insupportable des malades est
devenue tragique. On dirait que les devoirs
humanitaires, la pitié y sont considérés
comme des crimes.
Le gouverneur de Bitlis ne pouvant pas
mettre un ternie à cetétatdc choses infernal, et
pour se dégager d'une responsabilité quel–
conque, est retourné à Bitlis.
Les frères et les parents du chérif aga, qui
semblaient être emprisonnés pour leurs
crimes et actes de barbarie, sont mis en
liberté.:... La population musulmane a très
bien compris le projet d'anéantissement pré–
paré par le gouvernement turc, et chaque
musulman croit de son devoir sacré de faire
tout son possible afin d'atteindre ce but ; au–
trement i l croit pécher contre la loi musul–
mane.
Sous la pression du gouvernement, les fa–
milles enfuies de Mokoung sont revenues à
leur village dévasté. On leur a permis pour
quelques jours de sortir aux champs et de
s'occuper de la moisson. Et voilà qu'une nuit
les flammes ont éclairé toute la plaine de
Moush. Dans les champs i l se trouvait oootas
de blé (un tas égale
3
o
gerbes). Et en y met–
tant le feu, la passion des monstres n'étant
pas assouvie, ces derniers ont brûlé encore
les champs non moissonnés. Les malheureux
paysans trouvent à peine un moyen de se
sauver des flammes qui les entouraient et
arrivent à Moush. Maintenant des centaines
de femmes, de jeunes filles et d'enfants res–
tés sans abri et sans aucune protection, tous
pâles et maladifs, rassemblés à l'archevêché
arménien, demandent l'aumône alin de sou–
tenir l'existence de leurs enfants. L'arche–
vêque arménien local, Hevhannès Moura-
dian, embarrassé de cette situation horrible
et lamentable, reste indill'ércnt. Les habitants
de Mokoung souffrent d'une manière alar–
mante'. Un exemple) Une jeune fille,malade,
presque mourante, se trouve étendue dans
un coin de l'archevêché ; un morceau de natte
usée lui sert de grabat... Elle meurt quelque
temps après dans des souffrances atroces
Qui sait si les autres aussi n'auront pas le
même sort?
Le gouvernement turc n'a rien fait contre
tout cela, et, quelques jours après, les flammes
dévoraient tous les édifices du village, et en
ce moment ils fument encore. Que cela soit
aussi enregistré parmi les atrocités de la bête
sanguinaire, comme un monument perpétuel
de ses atrocités, à la honte de l'Europe et de
la chrétienté universelle, au seuil du ving–
tième siècle !
Le
10
de ce mois, les tribus kurdes de Gha-
mek et de Alek, sur l'invitation et sous le
commandement du nommé Alo, kurde-bri–
gand bien connu dans la tribu de Badikan,
avec ses trente à quarante serviteurs, a atta–
qué le village arménien Dadrakom, com–
posé de quinze maisons, et à coups de fusil
et de poignards et d'une manière épouvan–
table, ils ont tué le paysan Meké, l'Arménien
le plus riche de ce village.
A coups de fusil on lui a fait sauler la
cervelle, le cadavre déchiqueté d'une nia-
manière sauvage, le corps brûlé par la pou–
dre ; on dirait qu'il était carbonisé. — On a
pillé tout le village, même les habits des en–
fants ont été emportés. Seulement de la mai–
son de Meké on avait enlevé 3io brebis,
i3o moutons,
120
agneaux et chevreaux et
17
bœufs. Du village on a emporté
270
agneaux
et chevreaux,
60
bœufs,
100
vaches et
veaux; sans compter des quantités con–
sidérables de laine, île beurre, de couver–
tures, de tapis, des casseroles, des sacs et
des instruments d'agriculture. En outre, on a
emporté
7
bœufs et
60
brebis, appartenant
au monastère Sourp-Ohannès qui se trouve
près du village Dadrakom.
Vis-à-vis de ces actes, le gouvernement
turc a recours à des expédients indignes :
cinquante à soixante cavaliers kurdes ont
attaqué la maison de Alo et arrêté ce bri–
gand avec ses compagnons. Au lieu des bes–
tiaux et des objets appartenant aux Armé–
niens, on a présenté quelques moutons pris
de chez les pauvres Kurdes. Les Arméniens
n'ayant aucune confiance en ces gens, et
craignant, après tout ce qui s'était passé, de
mettre en danger encore leurs vies, n'osent
pas les reprendre. De chez Alo i l n'y avait
qu'un mulet qui fut envoyé à Moush sous es–
corte. Nous ne comprenons pas pour quelles
raisons Alo et ses complices ont été mis en
liberté. A présent Alo réclame des Armé–
niens de Dadrakom son mulet, ou dans le cas
contraire, i l menace de tuer douze hommes
de ce même village...
Le 3i juillet, le gardien du monastère
Sourp-IIevhannès, le jeune homme Ovo va
au village Akhprtik pour surveiller la forêt
contre les vols des Kurdes. Tout d'un coup
plusieurs Kurdes sortent de la forêt, tuent le
jeune Ovo et le font disparaître. Quelques
jours plus tard, on trouve son cadavre et
lorsque les juges turcs viennent pour exami–
ner le cas, un des fonctionnaires dit cynique-
Fonds A.R.A.M