réformes promises depuis v i ng t - t r o i s
ans pour l a Macédoine et « les p r o –
vinces habitées pa r des Arméniens. »
C'est ainsi que M . A hm e d R i z a a été
amené à écrire dans le de rn i e r numéro
du
Mechveret :
Nous ne pensons pas qu'en donnant
carte blanche aux Arméniens révolution–
naires on se propose de créer un motif
d'intervention plus sérieux ou de faire
croire au monde civilisé que l a force
armée sera employée, non pas au profit
de quelques financiers levantins, mais en
faveur des chrétiens opprimés de l'Orient.
Quoi qu'il en soit, un pareil encourage–
ment porterait ses fruits en surexcitant
de divers côtés un fanatisme déjà beau–
coup trop en éveil. L'incendie ainsi a l –
lumé par une politique imprudente coûte–
rait l a vie à des milliers d'innocents.
L a haute estime que nous pro f es –
sions pour le caractère de M . A hm e d
R i z a nous oblige à dire q u ' i l se mé –
p r e nd sur les faits et sur les consé–
quences d'une i n t e r ven t i on en T u r –
quie.
Pe r s onne qu'eux-mêmes n'aurait
qualité p ou r « donne r carte b l anche »
aux Arméniens révolutionnaires. L ' i –
nertie de l ' Eu r o p e en présence de leur
détresse, l'impuissance presque c a l cu –
lée des nations dites civilisées à amé–
l i o r e r l eur sort, l a volonté d ' e x t e rmi –
ner l eur race manifestée pa r le Sultan
et trop aisément servie pa r ses suba l –
ternes et par le peuple égaré, n'ont
que trop justifié dans le passé et j u s t i –
fieraient dans l ' aven i r le recours à l a
violence. Cependant ce n'est pas pour
elle-même, par une espèce de culte
mys t i que que
droschaghistes ou
hentehakistes a iment l a révolution ;
c'est c omme l'instrument terrible et
nécessaire du salut. Mais avant de r i s –
quer dans des tentatives désespérées
l'existence de leur peuple déjà mutilé
et saigné aux quatre veines, ils ont
v o u l u épuiser tous les moyens pa c i f i –
ques ; r i e n de p l us , r i e n de mo i n s .
Le s homme s « d'ordre et de progrès »
du
Mechveret
ne peuvent leur r epr o –
cher une po l i t i que aussi sage, aussi
ménagère de sang.
L e mo t i f d'intervenir existe ma l h e u –
reusement, sans que le gouvernement
français ait besoin de le créer : une en –
treprise de massacres prospère sous l a
d i r e c t i on d ' A b d - u l - Ham i d ; c'est sa
manière à . l u i d'assurer l ' o r d r e et l a
.
paix dans les pr ov i nc es arméniennes
et depuis deux ans les tueries prélimi–
naires se sont succédé p ou r exercer
la ma i n des égorgeurs u n peu désha–
bituée du meur t r e en g r and . Le s r a p –
ports consulaires affluent au qua i d ' Or –
say c omme aux temps les plus t r ag i –
ques. L e
Livre Jaune,
que l ' on ne s a u -
rait tarder de pub l i e r , rassurera les
plus scrupuleux des Ot t omans sur l a
légitimité d'une i n t e r v en t i on dans leur
pays, à mo i ns qu ' i l s ne s'entêtent à
considérer l'assassinat pa r o rdr e i m –
périal c omme une répression sans
doute pénible, mais après tout n a t u –
relle de « troubles révolutionnaires, »
pour pa r l e r en style h am i d i e n .
Reste l'argument du massacre gé –
néral des chrétiens et des étrangers.
Il a déjà été souvent employé en Eu r o p e
pa r les ministres ou chefs d'État q u i
n'osaient associer ouvertement leur
volonté de ne pas agir et couvra i ent
leur i gnomi n i euse abstention d ' un pré-
texte presque hono rab l e . I l a reçu sa
forme définitive le j o u r où u n député
réclamant contre les Arabe s d'Algérie
u n système de caractère p i r e encore
que c e l u i dont ils souffrent au j o u r d ' hu i ,
excusait le Su l t an d ' avo i r massacré
trois cent mi l l e homme s en disant
q u ' Ham i d avait été obligé de sacrifier
ces v i c t ime s propitiatoires au f ana –
tisme mu s u l ma n . C'était une c a l omn i e ,
et à juste titre les Jeune s - Tur c s p r o –
testèrent. Cependant, M . A hm e d R i z a
la répète sans s'en aper cevo i r , aussi
souvent q u ' i l déclare que l ' i n t r o du c –
t i on des réformes exigibles dans les
pr ov i nc e s habitées, par les Arméniens
amènerait u n massacre des chrétiens
en As i e .
Tou j our s , dans l ' emp i r e o t t oman , l e s
massacres ont été ordonnés en haut
l i eu ; j ama i s i l s n'ont eu p ou r cause
u n mouv emen t spontané de l a masse
mu s u lman e ; et i l s n'ont j ama i s été
i n t e r r ompu s que pa r une menace
directe au gouvernement c ent ra l , que
le p o uv o i r fût exercé par l a Po r t e ou
par u n c r i m i n e l solitaire c omme A b d -
u l - Ham i d .
Quand on tue à Diarbékir, c'est au
palais que M . Camb o n envoie dans l a
nuit même u n émissaire menaçant; l a
Rête est réveillée de son triste s omme i l ,
reçoit l'impérieuse s omma t i o n , se s o u –
met et, pa r dépêche, o rdonne à E n i z
pacha de cesser l'œuvre de mo r t .
Qu a n d à Me r s i ne , u n agent d u L l o y d
aut r i ch i en est expulsé, l a menace d ' un
b omba r demen t assure aussitôt au g o u –
vernement aus t ro -hongro i s les satis–
factions demandées ; et au c un mas –
sacre n'a l i e u .
Mais l a démonstration l a p l us saisis–
sante a été faite en 1898, quand fut r é –
glée l'affaire Cretoise. Après les v i c –
toires de l a guerre gréco-turque, i l a u –
rait pu paraître dangereux, selon l a
théorie de M . A hm e d R i z a , d'enlever
à l ' emp i r e une partie de son territoire ;
si H a m i d consentait à cette nouve l l e
d i m i nu t i o n de l a Tu r q u i e , le peup l e ,
l'armée, les équipages de l a ma r i n e et
leurs chefs se soulèveraient; enfin l ' A l l e –
magne pouvait v en i r en aide à son allié
et l ' Emp e r e u r Gu i l l a ume , q u i s'embar–
quait à Ven i s e p ou r Constantinople, ne
laisseraitpas infliger une pareille h um i –
l i a t i on à son hôte. L e 14 octobre, le j o u r
même du départ du kaiser, une note
des quatre Puissances signifiait à H a –
m i d q u ' i l eût à obéir sans discuter et
que s ' i l tergiverse les Puissances e m –
p l o i e r ont l a force. H a m i d céda ; et
M . Delcassé, qu i avait mené toute l a
négociation, n'eut à se reprocher l a
mo r t d ' aucun chrétien provoquée pa r
cet acte d'énergie, pas plus d'ailleurs
que l ' env o i de cuirassés en C i l i c i e ,
cette année, ne c on f i rma dans ses
intentions de massacre à Aïntab le
sanglant E n i z pacha .
O n ne tue pas en Tu r q u i e sans
l a p e rmi s s i on et l a complicité de toute
l ' E u r o p e ; qu ' une seule Puissance i n –
terdise de tuer, l a Rête rentrera ses
griffes : voilà l a vérité.
L o i n de s'opposer à des réformes
même partielles, ceux des Ot t omans
q u i désirent sauver l eur pays do i vent
y aider de toutes leurs forces. S ' i l exis–
tait en Arménie u n régime analogue à
c e l u i du L i b a n , aucune Pu i s sanc e ne
pour r a i t occuper les six vilayets p ou r
y rétablir l ' o rdr e , c omme i l a r r i v e r a
Fonds A.R.A.M