F r a n c e , ce n'est pas que nous nous
soyons fait aucune i l l u s i o n sur l a p o r –
tée mo r a l e de ce conflit.
A v r a i d i r e , i l y a eu quelque chose
d ' humi l i an t , de répugnant à v o i r l a
République pr endr e une altitude si
crâne pour de basses questions d'inté–
rêt, pour des créances... levantines,
alors qu'elle s'était croisé les bras et
qu'elle avait plaidé son impu i s sanc e
devant l ' un des plus mons t rueux défis
qu i eussentjamais élé porlés au droit des
gens et à l'humanité. R n'en demeure
pas mo i n s que , sur quelque po i nt
qu'éclate le conflit, pa r quelque côté
qu ' une puissance occidentale attaque
A b d - u l - H a m i d , la mo r a l e , le dr o i t , le
progrès, ne peuvent qu'y t r ouve r l eu r
profit.
I l serait inouï qu'après avo i r re–
tiré son ambassadeur de Co n s t an t i –
nople pour une question de l i v r e s ,
sous et deniers, l a F r an c e consentît à l'y
r envoye r sans des instructions précises
à l'égard de la question v i t a l e , d'où dé–
pend l'existence de tout u n peuple.
L ' h e u r e a sonné des démarches déci–
sives.
Pendan t u n quart de siècle l ' Eu r o p e
a laissé protester sa parole solennelle,
elle a laissé le Su l t an se j o u e r de ce
Traité de R e r l i n , qu i est l ' un i que
charte internationale de son autorité.
L ' a r t i c l e 61 était juste, oppo r t un , né –
cessaire en 1878. A l a l u e u r l i v i d e des
éclairs, on en a v u , on en a proclamé
l'urgence dans le mémorandum de
ma i 189C.
Comme n t se fait-il q u ' i l d o rme de–
puis lors dans les cartons des chanc e l l e –
ries, à côté de toutes les réformes
mort-nées q u i auraient sauvé, s i non
l ' emp i r e ottoman, du mo i n s des m i l –
liers de victimes innocentes ! Qu e l est
donc ce mystère d'iniquité? A qu e l
p r i x l ' Eu r o p e estimera-t-elle son h o n –
neu r , l a paix de l ' Or i e n t , le repos du
monde'?
L e Sultan, malgré ses bravades, endé-
p i t de s i gnomi n i eus e s avancesde souve–
rains qu i , aprèsavoirjouéauLohengrin,
ne sefont pas s c rupu l e de se faire les co–
pains et les complices d ' un A b d - u l - H a –
m i d , le Sultan sait q u ' i l est au bout de
s on compte, que son actif est épuisé,
q u ' i l ne l u i reste plus une faute — ou
u n c r ime — à commettre. Un e parole
sévère, q u i le rappe l l e ra i t à l'exécution
de ses engagements, q u i le placerait
en face de ses responsabilités dans toute
l eur étendue, et q u i en même temps
l u i ouv r i r a i t l a seule vo i e de salut,
pour r a i t à cette heur e obtenir de sé–
rieux résultats.
J'ose affirmer que pas une Pu i s sanc e ,
si égoïstement réaliste et terre à terre
que puisse être sa po l i t i que , n'oserait
combattre, même sourdement et par
des i nt r i gues souterraines, u n avis q u i
serait l ' u l t ima t um de la conscience du
monde civilisé. D ' a i l l eu r s , i l ne faut
pas s'y méprendre. Qu a n d b i en même
une telle démarche n'aboutirait pas
complètement, elle aurait dans ce cas
l'avantage de dégager son auteur d'une
responsabilité q u i pourraitêtre terrible.
A supposer même que les réformes
—
œuvre de longue ha l e i ne — ne se
fissent pas, i l est à c r o i r e que les crimes
s'arrêteraient.
Or , i l faut que les c r ime s s'arrêtent.
Il faut que le sang cesse de couler. I l
le faut, p ou r le soulagement du genre
h uma i n . E t i l n'y a pas deux moyens
de mettre u n terme à ce scandale.
L ' u n c'est celui que j e viens d ' i nd i que r ,
à savoir l ' i n t e r ven t i on effective, réso–
lue, d'une d i p l oma t i e intelligente.
L ' au t r e — et i l deviendrait impo s s i b l e
d'en déconseiller l ' emp l o i à une n a –
tion q u i a à cœur de p r ouv e r que, si
elle a f ou r n i des ma r t y r s pa r t i cu l i e r s ,
ce n'est pas faute de va i l l anc e active
et qu'elle compte aussi des héros —
l'autre, ce serait l a rentrée en scène de
l a Révolution luttant avec toutes les
armes contre un despotisme sans n om .
Le s gouvernements q u i refuseront
de pr endr e l a première voie seront
directement responsables des suprêmes
recours du désespoir arménien.
F R A N C I S D E P R E S S E N S É .
L _
EL
BLOC
Gazette hebdomadaire
P A R
G. CLEMENCEAU
l î u r e a u x et A d m i n i s t r a t i o n :
îl^i,
r u e
C b a u ç h à t , P a r i s
A B O N N E M E N T : France et Colonies . . . .
20
fr.
—
E t r a n g e r
25 —
LA QUINZAINE
A l a nouvelle des massacres a c c om–
plis ou prémédités dans l a plaine de
Mo u s h et dans les montagnes du Sas –
s oun , les Arméniens de tous les partis
résidant en Eu r o p e , trop souvent d i v i –
sés par des misérables querelles de
personnes, se sont trouvés unan ime s ,
sans s'être concertés ; pa r des voies
diverses, ils se sont adressés au g ou –
vernement français; ils l u i ont exposé
l'effroyable ma r t y r e de l eur race et
ont demandé l ' app l i c a t i on d u traité de
R e r l i n et l'exécution du mémorandum
du 11 ma i 1895, soit dans sa teneur
p r imi t i v e , soit avec des adjonctions
démontrées nécessaires pa r les grands
massacres auxquels i l est antérieur; et
cependant, dès cette époque, les pu i s –
sances considéraient les réformes p r o –
posées c omme u n m i n i m u m , avant
regorgement méthodique de trois cent
mi l l e créatures huma i ne s .
Que des j o u r n a u x c omme la
Nowoié
Wremia
et ses succédanés a l l emands
et français aient fait aussitôt le j eu
du Sultan en discernant là une intrigue
anglaise et en recopiant des articles
q u i servirent déjà plusieurs fois d e l 8 9 4
à 1897, n u l ne s'en doit surprendre ;
et i l serait au contraire inquiétant
qu ' une cause quelconque d'humanité
et de justice fût défendue, même a c c i –
dentellement, par des homme s , q u i se
vou l ur ent ou naqu i r ent étrangers à
toute bonne foi et à tout sentiment
généreux et qu i excellent à propager
et à entretenir les pires sottises dans
les cervelles ignorantes.
Ma i s des critiques assez vives se sont
élevées d ' un autre côté. CertainsJeunes-
Tu r c s qu i se disent et qu i sont en effet
des adversaires irréductibles du Sultan
ne perdent aucune occasion de s'op–
poser aux seules mesures q u i puissent
être employées contre l ' As sas s i n . Ils
pr o c l amen t avec l a plus grande sincé–
rité q u ' i l ne faut pas confondre H a m i d
et le peuple t ur c , ma i s ils prolestent,
au n om du peuple tur c chaque fois
que l a Rête est menacée et présagent
les plus épouvantables catastrophes
p ou r le j o u r où l ' on ferait passer de l a
fiction d i p l oma t i que dans les faits les
Fonds A.R.A.M