coups de main, n'espérez pas l'intervention
de l'Europe. »
— «
Vous avez été la cause des massacres,
ajouta le drogman français. Attendez encore
six mois, un an, nous tâcherons d'améliorer
votre situation.
«
Votre conduite et les mesures que vous
avez mises en exécution étaient grotesques
et cruelles : mais vous avez montré de la vo–
lonté et du courage. Vos réclamations seront
l'objet de nos préoccupations. »
Les révolutionnaires leur reprochèrent
d'avoir été complices en donnant libre car–
rière au sultan assassin : « Vous nous trompez
toujours, disent-ils. Nous avons attendu plus
qu'il ne fallait. Vous avez beau nous faire
valoir vos raisons et essayer de nous en–
dormir. Après nous en viendront d'autres et
le dernier sera plus terrible que le précédent.
Nous partons, messieurs les drogmans, mais
nous pouvons revenir plus tard. »
En transportant les dix-sept révolution–
naires à bord de la
Gironde
de la Com–
pagnie Messagerie maritime, le drogman
français disait au capitaine du navire : « Pre–
nez garde, monsieur le capitaine, ce sont des
brigands ; ils peuvent faire sauter en l'air
votre navire ».
Mais plus tard, le capitaine, les marins et
les passagers, se rendant compte de la vérité,
nous ont prodigué leur sympathie et nous
firent un accueil des plus sincères. LeD'Mel-
lier, un charmant Français, a été spéciale–
ment cordial et humain. Pendant tout le tra–
jet, il a été l'ami consolateur des Arméniens et
entrant en France, i l a été un des champions
les plus ardents de la cause arménienne.
Arrivés à Marseille, les autorités locales ont
conduit les héros de la Banque à la prison
de Saint-Pierre. « Quelle est la différence,
donc, disait l'un d'eux, entre la Turquie bar–
bare, et la République française? »
Le lendemain on vint les interroger.
«
Quelle est votre profession? demanda-t-on à
un des prisonniers. — Ma profession, c'est
la révolution ».
Quelques jours après M. Maximoff le men–
teur, — à qui ses services malhonnêtes ne
furent pas, sans valoir d'importants avanta–
ges matériels
(110,000
francs) — vint rendre
visite aux blessés arméniens qu'il avait fait
transporter à l'hôpital russe.
Qui vous a incités à cet acte? demande-
t-il à l'un deux.
C'est la vengeance nationale.
A Marseille, on interdit aux prisonniers
toute communication avec le dehors. Leur
sort était indécis; la presse indépendante
commença une campagne contre l'infamie de
M. Hanotaux, qui s'était mis aux ordres du
sultan qui l'en récompensa par le don de
1' «
Imiliaz » en or qui confère fe titre de pacha.
Les prisonniers adressèrent en vain une
plainte au ministre, M. Hanotaux ruminait
alors les formules politiques à la Richelieu;
il commettait toutes les infamies pour les
couvrir après avec la pourpre cardinalice.
Cet incapable ostentateur, dilettante peut-
être, diplomate jamais, au lieu de prendre une
attitude énergique, s'amusait à jouer à ca–
che-cache avec les représentants du pays et
nageaient dans le sang arménien.
Il n'osa pas malgré sa complaisance, livrer
les prisonniers au sultan, mais il les fit ex–
pulser du territoire français,
«11
les envoyant
à Bûenos-Ayrès, dans l'Amérique du Sud,
croyant ainsi, le malheureux, d'avoir donné
pleine satisfaction, au sultan «Edebsiz».
L'impression causée par l'attaque de la
Banque fut énorme dans les provinces. Tout
le monde musulman exprimait son étonne-
ment et sa stupéfaction. Un vali de province
disait : « Depuis fa fondation de f Empire
ottoman, Stamboul n'a jamais été témoin
d'un événement aussi mémorable et histori–
que. »
Tandis qu'une partie des révolutionnaires
arméniens luttait dans la ville franque, à
Galata et à Péra, à Stamboul aussi, dans la
ville turque, une lutte héroïque était engagée
dans le quartier arménien de Psammatia.
Le comité révolutionnaire avait choisi cet
endroit comme un des points principaux,
d'où l'on devait mettre en échec le gouverne–
ment du sultan.
On avait fait la préparation de munitions
de toutes sortes dont cent cinquante-quatrg
bombes. On avait décidé que le jour de
l'attaque de la Banque, juste à la môme
heure, la révolution devait commencer à
Psammatia et à Haskeny (sur ce dernier
point le mouvement a échoué). La police lo–
cale était prévenue de ce qui devait arriver.
Elle se mit à la recherche des hommes sus–
pects et après avoir fait beaucoup de pri–
sonniers, découvrit enfin la maison Missa-
kian où s'étaient réunis les révoltés. Toute la
ville était occupée militairement quand la
maison fut cernée. On demanda Knouni, un
jeune homme, vaillant, sans peur, qui a été
l'âme de la révolution à Psammatia. Le com–
mandant des troupes lui enjoignit de se
rendre. Il était dix heures du matin, et l'at–
taque de la Banque devait commencer à une
heure après midi. — « Attendez un peu, di–
sait Knouni, du haut de la maison, à six
heures nous sommes à votre disposition. »
Une partie des révolutionnaires devait bom–
barder la caserne qui se trouvait à quelque
distance; cette tentative ne réussit pas. Les
soldats étaient assemblés devant la maison
tout prêts à la lutte.
11
est six heures et demie, quand les bom–
bes pleuvent dru sur la tête des soldats.
C'était une femme qui, la première, eut le
courage de lancer la bombe. La lutte achar–
née commence. Toute la maison était exposée
aux balles des soldats sans que les héros
fussent atteints. Les soldats se mirent alors
à se venger sur des innocents qui tombaient
dans leurs mains.
Ils essayèrent de se rendre maîtres de
l'école de garçons où deux ou trois personnes
repoussèrent, avec leur revolver et quel–
ques bombes, les « braves » serviteurs du
sultan.
Le soir, à dix heures, la lutte fut interrom–
pue. L'ennemi faisait venir des forces nou–
velles. Après quatre heures de repos, la lutte
et la fusillade recommencèrent. Les soldats
turcs n'osaient pas avancer et se tenaient à
une distance respectable.
Un deuxième arrêt. Les Arméniens se re–
tranchent dans une position défensive, parce
qu'ifs voyaient que ieurs munitions atlaient
en diminuant.
Jusqu'à minuit un silence profond. Puis une
autre explosion retentit, en rompant le si–
lence : la dernière.
La force de l'ennemi allait s'augmentant.
Les soldats se ruèrent avec une foule
énorme sur l'école, brisèrent les portes avec
les haches, ils n'y trouvèrent que trois per–
sonnes qui luttèrent jusqu'à leur dernier mo–
ment. Deux furent tuées, la troisième, sau–
tant par la fenêtre, put s'échapper.
Avec les forces réunies, les soldats vinrent
attaquer définitivement la maison des Mis-
sakian où se trouvaient la mère, les deux
frères Missakian, Knouni, son ami et collè–
gue Sourène et un autre individu, en tout
six personnes.
«
Il ne nous reste, dit Knouni à ses cama–
rades, qu'à mourir héroïquement. » Soyez
prêts, les bêtes vont nous attaquer.
C'était vers le matin où l'aube venait sa–
luer la fin de cette nuit héroïque, comme si
i'aurore de l'Arménie eût couronné ses en–
fants immortalisés dans la capitale des bri–
gands et des padischahs sanguinaires.
La trompette militaire sonna. L'armée,
avec un élan irrésistible, assaillit les por–
tes de la maison et les brisa. Trois des héros
furent tué nets. Knouni et Sourène ven–
dirent très cher leur vie. Ils luttèrent corps à
corps avec les soldats jusqu'à l'épuisement
complet de leurs munitions et pour ne pas
tomber entre les mains de ces barbares ils
se donnèrent la mort en prenant du poison.
Seule la mère des Missakian a survécu.
Tous les autres sont morts sur le champ
de bataille : six personnes avaient com–
battu pendant dix-huit heures contre des
forces énormes. La même armée protège
toujours la lâcheté du misérable Abd-ul-
Hamid. Mais qui peut dire que cette tenta–
tive manquée sera la dernière et que la jus–
tice, comme les heures inévitables, n'aura
pas son tour :
Vulnerant omnes, ultima necat ?
M A N A S K I T C I I .
Abd-ul-Hamid et le Boulangisme
Nous recevons de notre collaborateur et
ami la lettre suivante que nous nous empres–
sons de publier. M. Georges Dorys y révèle
un fait connu de nous depuis longtemps, la
singulière manie du fou agité d'Yldiz de se
mêler de la politique intérieure de la France.
Il était prêt à aider de son argent le mouve–
ment boulangiste, comme i l travaillera de–
main aux plus extravagantes tentatives de
coup d'État, pour peu qu'il s'imagine en tirer
un avantage personnel et des facilités plus
grandes pour les manœuvres de sa police en
territoire français.
Paris, i5 août.
Mon cher ami,
M . Jean-Bernard, correspondant de
l'Indépendance, belge,
a publié dans un
journal dont i l est également le colla-
Fonds A.R.A.M