chronique du Sulan et l u i a inspiré diver–
ses mesures de police; interdiction aux
l'amillcs musulmanes d'avoir des gouver–
nantes é t r angè r e s ; défense aux fonction–
naires, sous les peines les plus graves,
de prononcer même le mot de Jeune Tur–
quie ; enfin une arrestation très grave :
le
24
juillet, Ghérif Sadijk pacha, parent
du Khédive, a été arrêté avec vingt six de
ses convives, dans son palais d'Ortakeny
par une compagnie d'infanterie et con–
duit avec eux en prison. Depuis lors, i l a
été condamné à l'exil ainsi que treize au–
tres musulmans, la plupart hauts fonction–
naires.
Le Khédive même , malgré de grandes
protestations d'amitié et le mensonge des
honneurs officiels, est l u i même suspect.
Sans doute le maréchal Chakir pacha,
chef de la maison militaire du Sultan, l'a
accompagné cérémonieusement jusqu'à la
gare lors de son départ pour l'Europe.
Mais un autre personnage, moins officiel
quoique fort connu, Sinapian effendi est
parti le lendemain même par l'Orient
express pour accompagner à sa ma n i è r e
Abb a s -Hi lmi . Sinapian elfendi, person–
nage méprisable et méprisé que les Armé–
niens appellent de préférence Chnapa-
nian elfendi, a pour mission de suivre le
khédive aux eaux de Divonne et de ren–
seigner l a Rête sur les faits et gestes du
prince et de son entourage. I l a fait de
Paris sa résidence ordinaire et les jour-
neaux mondains annoncent ainsi ses dé–
placements :
S. E. Sinapian pacha est arrivé hier par
l'Orient express accompagné de M . Bapst,
secrétaire d'ambassade à Constantinople.
L'honorable M . Rapst, conseiller de
l'ambassade de France, a en elfet quitté
Constantinople le même jour que Sina–
pian
effendi
et non
pacha;
mais i l sera
probablement étonné d'apprendre qu'il
fait en quelque sorte partie de l a suite de
ce monsieur. Depuis quand en elfet les
secrétaires de l'ambassade de France ac–
compagnent-ils les mouchards du Sultan
dans l'exercice de leurs fonctions?
C'est déjà trop que la police turque tra–
vaille en France avec un zèle exagéré et
envoie d'ici des dénonciations à Cons–
tantinople, ainsi qu'en témoigne le pré–
sent mandat d ' a r r ê t :
M A N D A T D ' A R R Ê T .
Un mandat d'arrêt
vient d'être lancé contre le D
r
Loutfî effendi,
accusé de s'être rendu de Paris, où i l se trou–
vait pour y compléter ses études, à Londres
et s'être livré à des agissements séditieux.
Le mandat d'arrêt en question donne ordre
aux autorités policières de l'arrêter où elles
le trouveront et de le consigner à la maison
d'arrêt de la cour criminelle.
Apparemment le gouvernement français
estime très licites les ma nœuv r e s de l'am–
bassade ottomane et de son chef actuel |
puisque le président de l a République
vient de conférer à Mun i r bey l'ordre du
Mérite agricole. C'est là, s ' i l en fut, un
don purement gracieux ; car les services
rendus par Mu n i r à l'agriculture ne sont
point d'une illustre éminence. A moins
que ce ruban vert ne l u i ait été décerné
à cause de sa couleur et par une mysté–
rieuse ironie.
L A
M A R I N E T U R Q U E .
Les deux navi–
res de guerre
Assar-i-Tewfik
et
Ismir,
en
détresse à K i e l depuis fort longtemps, al–
laient être saisis par des créanciers exas–
pérés le
26
juillet : le ministre s'y est op–
posé sous prétexte que les navires sont
à l'ancre sous pavillon de guerre. Les
malheureux officiers qui y avaient été
embarqués se résignent mal à mourir de
faim, mais s'ils parlent de donner leur
démission, i l leur advient des désagré–
ments graves à en juger par cette note ex–
traite des journaux turcs :
C O N D A M N A T I O N D ' U N O F F I C I E R D E M A R I N E .
Le
Djérideï-Bahrié,
organe officiel du mi–
nistère de la marine, annonce que l'enseigne
de vaisseau (col-aghassi) Ismaïl Hakki effendi,
qui avait été envoyé en mission à l'usine
Krupp, prétextant le paiement non régulier
de ses appointements, avait donné sa démis–
sion.
Le ministère de la marine lui répondit que
les arriérés lui seront payés en totalité et que
désormais ses appointements lui seront payés
régulièrement par l'usine Krupp.
Malgré cet arrangement, Ismaïl Hakki
effendi ayant insisté sur sa démission et ne
se rendant pas à son poste, i l a été jugé par
contumace par la cour martiale et condamné,
d'après l'article
i3a
du code pénal, à être
rayé des cadres d'officier de marine, à six
mois de prison et à la perte de ses décora–
tions. En cas où il serait de retour en Turquie
il sera arrêté par la police et en conformité
de l'iradé impérial promulgué dernièrement,
exilé au Fezzan.
S E I Z E
M A N D A T S
D ' A R R Ê T .
U n délai
de dix jours est accordé par l a cour cri–
minelle compétente au p r ê t r e Mi l e Guéor-
gui de la campagne de Potchivié Strouintza,
aux n ommé s Lazare, Vablo, Bachkonitza,
Athanas, commerçant dans l a canipage
de Toïdjan, Konitza Métré de la campagne
de Varvaritza, Jouvan Mikhaïl, Slojan,
Protestan Vassil, Martchin Némo de l a
campagne de Tcham Tchiftlik Kolodona,
Hinovéli Stojan de l'arrondissement Papa
Mikhaïl et Daskal Ar gh i r de la campagne
de Sinokitza; les susdits individus sont
accusés comme criminel, pour leur con–
duite séditieuse dans le but de troubler
la tranquillité publique intérieure du gou–
vernement turc. Passé le susdit délai, ces
accusés seront jugés par défaut, perdront
leurs droits civiques et leurs biens seront
confisqués.
DOCUMENTS
L'Arménie avant les massacres
(
Suite)
Le geôlier de la prison de Bitlis, Abd-ul-
Kadis, un coquin comme i l n'y en a pas deux
au inonde, gagne de cette façon des sommes
considérables. Dernièrement i l a payé une
maison 5oo livres turques ; on dit que deux
ou trois négociants turcs de la ville dépen–
dent entièrement de lui ; son traitement ne
dépasse pas soixante francs par mois. Ce
n'est pas pour des services rendus que les
prisonniers lui donnent de l'argent, mais
uniquement pour échapper aux tortures arbi–
traires dont i l les menace. En voici un exem–
ple : Il y a cinq mois, trois hommes du vil–
lage de Krtabaz furent arrêtés et emprisonnés.
Le fait qu'au bout de dix semaines ils furent
relâchés sans avoir été interrogés prouve
qu'ils étaient innocents. Eh bien ! voici ce
que fut leur prison préventive à Hassan-
Kaleh. L a cellule où on les mit était déjà
plus que remplie, c'est-à-dire qu'ils n'avaient
pas la place de s'étendre. Quelques prison–
niers kurdes, privilégiés, n'avaient pour
dormir qu'un espace de deux pieds et demi
de long. Dans le coin de la cellule se trouvait
une sorte de fosse pour les immondices, et
ce fut cette place qu'on assigna aux Armé-
méniens.Ils devaient dormir debout, adossés
au mur de la prison. Ils passèrent ainsi
quinze nuits. L a puanteur, la saleté, la ver–
mine dépassaient tout ce qu'on peut ima–
giner. Au bout de quinze jours, ils obtinrent
d'un Kurde, auquel ils donnaient la moitié
de leur nourriture, de pouvoir tour à tour
occuper sa place. C'était peu, et pourtant
quelque chose ; mais le Kurde l'ut sévèrement
puni pour sa générosité, ou sa spéculation,
comme on voudra l'appeler. On le priva de
sa ration de pain et on le mit aux fers pen–
dant plusieurs jours. Les hommes auxquels
i l avait rendu ce service, et qui reconnaissent
lui devoir la vie, étaient d'honnêtes gens,
considérés et innocents, qu'on relâcha plus
tard, parce qu'ils n'avaient fait de tort à
personne.
Dernièrement, j'entendais un homme affir–
mer avec emphase que les Arméniens pour–
raient s'affranchir, s'ils le voulaient. Ils n'au–
raient pour cela qu'à se faire mahométans,
et certainement Dieu ne les punirait pas
pour si peu. Cela est vrai, les Arméniens
cessent d'être persécutés dès qu'ils deviennent
mahométans. La tentation d'ailleurs est
forte; car, bien qu'ils soient de vrais martyrs
de la foi, on ne voit en eux que de mépri–
sables malfaiteurs.
Beaucoup d'entre eux, dont la chair était
faible, quelque bien disposé que fût leur
esprit, ont renié leur foi ; d'autres sont prêts
à le faire. Plusieurs de ceux à qui j ' a i parlé
me demandaient si je ne leur conseillais pas
de sauver leur famille de la honte et de la
mort en professant qu'il n'y a qu'un Dieu et
que Mahomet est son prophète. Je leur ai
répondu en exprimant l'espoir, dont je n'étais
pas moi-même bien assuré, que l'Europe
Fonds A.R.A.M