chrétienne viendrait à temps à leur aide et
leur épargnerait cette cruelle alternative.
Notez bien qu'une fois mahométans, ils doi–
vent l'être à fond et pour toujours. Pas
moyen de se rétracter sans s'exposer aux
plus affreux châtiments.
Voici un exemple qui montre combien les
Arméniens sont exposés à la tentation de
renier leur foi : Mélik Apha, Arménien très
considéré du village d'Abri, était entouré de
fils et de petits-enfants, possédait bétail,
terres, greniers et fourrages en abondance ;
c'était une manière de Job arménien. Dans le
même village, i l y avait un mahométan de
marque, Kiamil-Cheikh, qui enviait ses biens
et songeait à s'en rendre possesseur. Il réso–
lut pour cela de se défaire de Mélik. L'au–
tomne dernier, i l envoya ses gens brûler le
foin et le blé de Mélik, lui prendre cinq che–
vaux et lui tuer cent cinquante moutons,
dont les corps devaient pourrir sur place,
gaspillage révoltant dans un pays où i l y a
tant de pauvres et d'affamés. Mélik se rendit
à Kop, résidence du kaïmakam, pour deman–
der justice. Pendant son absence et celle de
ses fils, les gens de Kiamil-Cheikh péné–
trèrent dans sa maison, assassinèrent deux
enfants du (ils aîné et enlevèrent la mère, qui
était près de ses couches. Apprenant ce nou–
veau méfait, Mélik se rendit à Erzeroum
pour implorer le secours du gouverneur.
Celui-ci chargea Sélim pacha de faire l'en–
quête et d'obtenir qu'on rendît la femme.
Cefui qui avait enlevé la femme refusa de fa
rendre sous prétexte qu'efte voulait devenir
mahométane. Se tournant vers Mélik, Sélim
pacha lui demanda : « Que dirais-tu si ta bru
déclarait publiquement qu'elle veut se faire
mahométane. » « Je dirais, répondit Mélik,
que nous aimons mieux devenir mahométans
que de voir nos femmes et nos filles passer
en d'autres mains. » On fit alors venir la
femme. Mais Mélik vit bien qu'entourée de
notables musulmans, elle avait peur de dire
la vérité; i l dit alors au pacha : « Elle est
malade ; dans peu de jours elle sera mère.
Laisse-la tranquille et envoie-la dans quelque
maison turque d'Erzeroum. » Ainsi fut fait et
le pacha s'en alla. Trois jours après, le mari,
fils aîné de Mélik, fut assassiné en plein jour
par les gens de Kiamil ; et on fit tant de chi–
canes à la famille turque qui avait accueilli
la pauvre femme que ces gens prièrent les
notables de la reprendre, ne voulant plus se
mêler de cette affaire.
Peu après, le second fits de Mélik, Mgir-
doutch, tua dans les champs deux hommes
de Kiamil-Cheikh. C'était mal à coup sur, et
très peu chrétien. Des actes pareils servent
de prétextes aux gens corrects de notre
Europe pour crier contre les Arméniens et
leur caractère vindicatii'.Peut-ètre Mgirdoutch
aurait-il irieux fait d'inviter Kiamil-Cheikh
à dîner, de faire l'aimable
ou tout au
moins de se taire prudemment.
Quoi qu'il en soit, Mgirdoutch et son frère
Dadet, sachant bien ce qui les attendait, se
sauvèrent dans la maison de Moussa-Bey et
se déclarèrent mahométans. Ils le firent
savoir à ieur père en le priant de suivre leur
exemple. Cela eut lieu. Un mollah fut chargé
d'instruire la famille convertie dans les doc–
trines de l'islam. Il se trouva que ce mollah
avait été pendant bien des années le servi–
teur fidèle de Mélik, et que lui-même avait
plus envie de devenir chrétien que son ancien
maître n'en avait de se faire mahométan.
Mélik arrangea avec lui son plan de fuite, et
il commença par envoyer en Russie la veuve
de son fils, avec une fille adulte et trois gar–
çons. Près de la frontière, la petite caravane
fut assaillie par des Kurdes, qui cherchèrent
à s'emparer de la jeune fille. Mais comme
celle-ci s'attachait à la main de sa mère et
résistait en désespérée aux efforts des Kurdes
ifs fa tuèrent. La mère prit sur son dos le
cadavre de la malheureuse et l'emporta jus–
qu'au village de Ghaïravank, où i l fut ense–
veli par les soins du père Raphaël.
Quelque temps après, Mélik partit pour la
Russie avec les autres membres de sa fa–
mille, laissant tout le reste, maisons, champs,
fourrage, grains, bétail, et n'emportant que
peu d'argent, dont ils furent dépouillés en
chemin par les Kurdes. Heureux furent-ils
de pouvoir passer la frontière. Au reste les
Arméniens ont presque tous le sentiment que
c'est là la seule grâce qu'il aient à attendre. "
Encore n'est-elle pas à la portée de chacun.
Pour peu qu'ils soient porteurs d'or ou d'ar–
gent ou de bardes on ne les laisse pas passer
sans leur prendre tout. Les femmes ont à
subir des traitements dont la seule mention
nous fait bouillonner le sang. « Mais, disait
une dame européenne, les Arméniens ne res–
sentent pas ces choses aussi vivement que les
Européens ; à brebis tondue Dieu mesure le
vent. » « C'est possible, lui répliquai-je; mais
dans les entretiens que j ' a i eus ces derniers
temps avec des centaines d'Arméniennes, je
n'ai jamais remarqué qu'elles eussent un
sentiment moins délicat de leur honneur que
les autres femmes. Quels que soient leurs
vices ou leurs vertus, la chasteté est en tout
cas une de leurs principales qualités. Dans
beaucoup d'endroits, la femme arménienne
ne parle jamais à un homme, fut-il même de
ses proches, si ce n'est en présence de son
mari. Sa pureté morale est au-dessus de tout
soupçon, aussi bien dans les faubourgs d'Er–
zeroum que dans les vallées de Sassoun. Et
ce sont elles que ces brutes de Kurdes et de
Turcs accablent d'avanies et que la mort
seule délivre de leurs tourments. »
Quelques exemples feront comprendre les
difficultés que rencontrent les Arméniens
quand ils tentent de franchir la frontière avec
de l'argent, des hardes ou des femmes. Les
Turcs n'ont pas d'objections à ce qu'ils émi-
grent ; ils les expulsent plutôt et leur inter–
disent de rentrer, preuve évidente qu'ils v i –
sent à extirper les Arméniens de l'empire
turc. Voici comment Sahag Garoyan, de Khé-
ter (sandjak de Bayazid) a expliqué pourquoi
il avait émigré avec sa famille : « Nous ne
pouvions plus y tenir, disait-il; nous étions
traités comme des bêtes par Rézékam bey
fits de Djaifar agha, et par ses gens. Il est
de la cavalerie Hamidié du sultan ; contre
eux i l n'y a pas de recours en justice. J'ai
émigré à la fin de l'année dernière. Rézékam
et sa suite étaient venus occuper notre vil–
lage; ils s'étaient emparés des maisons des
Arméniens et en avaient chassé les habitants.
Sept familles seulement avaient pu rester
dans leurs demeures ; toutes les autres avaient
dû se réfugier dans l'église. Trois mois du–
rant, nous dûmes nourrir les Kurdes de notre
blé et de nos moutons; nous leur servions de
bêtes de somme (cela n'est pas rare en Ar–
ménie). Rézékam allait toutes les semaines à
Kara-Kilis lever des contributions : fourrage,
avoine, et chaque fois, dix livres turques en
argent. Nous allâmes nous plaindre au juge ;
il nous montra la porte.. Le Kurde Ghazaz
Téamer voulut nous faire signer une décla–
ration dans laquelle nous aurions exprimé
notre entière satisfation. Aucun de nous ne
consentit à signer; de colère Téamer tua
Avaki et son frère. Cinq mois pfus tard, if a
encore tué Minas, fits de Kré, du vitlage de
Mankassar. Au commencement de l'hiver
dernier, Rézékam lit arrêter notre voisin Sar-
kis. Après lui avoir plongé la tète dans l'eau
froide, i l lafitsécher, l'arrosa ensuite de pé–
trole et y mit le feu. En outre if tenta de dés–
honorer Sara, fa fiite de Sarkis; on put l'em–
mener à temps. Khéto, valet de Rézékam, lit
violence à la femme d'un Arménien du nom
de Mourad;quelques jours pfus tard, if frappa
du pied fa femme enceinte d'un autre Armé–
nien ; une heure après, elle accoucha d'un
enfant mort. Oh ! non ! nous ne pouvions plus
y tenir ; des bêtes n'y auraient pas tenu. »
(
A suivre.)
E.-J.
D I L L O N .
Typographe pour la langue turque
TWDAf
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Constantinople, connais.
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ancienne et moderne typo–
graphie
turque,
demande emploi, n'importe
quel pays. Connaît aussi
arménien, fran–
çais
et
anglais.
Au besoin interprète et tra–
ducteur. S'adresser : N . Sironnian,
21,
rue
Sénac, Marseille.
l_ E BLOC
Gazette hebdomadaire
PAR
G. CLEMENCEAU
B u r e a u x et A d m i n i s t r a t i o n : 2<=î, r u e
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E D M O N D
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CHRÉTIENS ET MUSULMANS
Par L .
D E C O N T E N S O N
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chez P i on et Nourrit
LE MERCURE DE FRANCE
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Le Secrétaire-Gérant :
J E A N
L O N G U E T .
Fonds A.R.A.M