côté à déprécier la marchandise ; i l fit la
guerre à la compagnie des quais, refusa
de livrer les titres de possession, rendit
plus impossible que jamais les opéra–
tions de douane en exigeant l'ouver–
ture de
tous
les colis à la douane, pas
une caisse, pas un bidon ne devant
échapper à la visite ; tans pis si les en–
vois en sortaient avariés.
Après tantôt deux ans de déma r ches ,
M . Constans se fâcha ; i l fit savoir que
si le 25 juillet la Porte ne donnait pas
une réponse catégorique, i l agirait. L a
Porte ne bougea point. Le 27, jour du
sélamlik, l'ambassadeur se rendit à
Yldiz et demanda une audience. Hamid
voulut bien envoyer ses r eme r c îmen t s
impé r i aux au représentant de la France
qui avait hono r é de sa présence sa
promenade religieuse hebdomadaire,
mais fit dire en même temps qu'il s'ex–
cusait de ne le point recevoir, pour
cause de
mal aux dents.
C'est alors
que M . Constans invita son ministre à
le rappeler et à remettre ses passeports
à Munir-bey. M . Delcassé en quitta
sa villégiature et l'affaire sera réglée
probablement quand paraîtront ces
lignes.
Elle sera réglée au mieux des inté–
rêts du sultan, autant qu'on peut le
prévoir. Une note d'origine officieuse
publiée par le
Temps,
le laisse en–
tendre aux moins perspicaces. Sans
doute les mesures les plus énergiques
seront prises ; mais, ajoute la note :
On a toute confiance dans l'habituel
esprit de justice du Sultan et dans la
haute conscience qu'il a des intérêts supé–
rieurs de son empire.
Parler de justice à propos de ce
bandit couronné, professer officieu–
sement et officiellement de l'estime
pour l'égorgeur impuni de trois cent
mille Arméniens, c'est outrager à l'ex–
cès la vérité et donner aux mots un
sens violemment contraire à leur s i –
gnification naturelle. Mais dans la
langue de brocanteurs levantins qu'a–
dopte, peut-être par nécessité, le Mi –
nistre des affaires étrangères pour ma-
quignonner un marchandage sans i m–
portance politique, cela veut dire que
Hamid paiera et que par compensa–
tion on lui accordera quelques expul–
sions de proscrits ottomans, quelques
poursuites, au besoin, contre les écri–
vains français qui dénoncen t ses
crimes, quelque livraison supp l émen –
taire des journaux et correspondances
confiés à la poste française de Cons–
tantinople.
Cependant,très prochainement peut-
être, i l faudra parler haut et ferme à
Constantinople et i l serait bon d'y
faire figure plutôt de justiciers que de
traficants. Par un revirement brusque,
la Russie,après avoir conseillé à Hamid
de rétablir l'ordre en Macédoine, i n –
tervient maintenant dans un sens tout
contraire : le consul général de Sofia,
après enquête, constate que la situa-
lion dans les villages de Monastir, de
Kossovo, de Salonique et d'Andrino-
ple est la même qu'en 1877 quand les
atrocités bulgares déterminèrent la
guerre russo-turque ; en Vieille Serbie
le consul russe Machkoff demande que
les Serbes soient armés ; enfin les co–
mités macédoniens ne semblent pas
disposés à l'apaisement et avec ou
contre le gré de la Russie, ils tenteront
peut-être avant peu un soulèvement
supr ême pour éviter à leur race un
massacre général.
Alors les diplomates songeront à ap–
pliquer l'article 23 du traité de Berlin,
touchant les réformes en Macédoine.
Ils s'appuieront sur les enquêtes russes,
serbes et bulgares et à la onzième
heure, éviteront peut-être les catas–
trophes sanglantes.
Mais ce j our - l à , ils n'auraient point
à mettre à exécution un seul article du
traité de Berlin : on leur rappellera
l'article 61 et les réformes dans les pro–
vinces habitées par les Arméniens.
S'ils prétendaient que la situation s'est
améliorée depuis les grandes tueries,
ils commettraient un audacieux men–
songe et i l suffirait de les renvoyer aux
propres archives de leurs ministres.
Dernièrement un homme politique
qui n'est point suspect de vouloir
créer des embarras au gouvernement
français, le député Gustave Rouanet,
dans un article de la
Petite
République,
signalait à M . Delcassé les deux der–
nières livraisons de
Pro Armenia;
i l
exprimait la crainte que les horreurs
dénoncées par lui et par nous ne fus–
sent cachées au ministre par ses bu–
reaux. La chose serait à vérifier. Ce–
pendant i l est à notre connaissance que
des rapports très inquiétants furent
envoyés par M . Constans lui-même à
la fin de l'année dernière et que ces
informations concordaient avec les
nôtres. La France entretient des con–
seils et des agents consulaires à Erze–
roum, à Tr éb i zonde , à Samsoun, à
Marache, à Angora, à Diarbékir, à
Van même . Très probablement ceux-
ci ont fait leur devoir, comme l'a–
vaient fait leurs prédécesseurs en 1894,
1895
et 1896.
En ce temps, on se heurta à la froide
cruauté du prince Lobanoff et de
M . Gabriel Hanotaux qui dissimula les
documents en sa possession aussi
longtemps qu'il le put : Jaurès dut con–
sulter les
Livres Bleus,
faute de publi–
cations françaises, pour p r épa r e r l'ad–
mirable discours du 3 novembre 1896.
Si M . Delcassé ne veut pas rompre
avec les traditions de son p r édéce s –
seur, s'il ne justifie pas les espérances
qu'avaient données certains actes,
comme l'envoi de cuirassés sur les
côtes de Cilicie, s'il adopte la politique
ancienne qualifiée très modé r émen t
«
d'ignoble et de stupide » par F r an –
cis de Pressensé, à défaut de l'en–
quête officielle, nous mettrons à la
disposition des députés français l'en–
quête que nous avons ouverte ici, avec
nos seules ressources et malgré des
difficultés sans nombre.
L'exactitude et l'authenticité en sont
assez connues au quai d'Orsay pour
qu'en des circonstances données elle
ait pu servir de preuve et de contrôle
aux renseignements diplomatiques.
Cette fois la prescription du silence
ne s'établira pas et notre œuv r e n'aura
pas été vaine. Sans que nous ayons
sollicité son appui ou son attention,
M . Gustave Rouanet, à la lecture des
lettres poignantes publiées par nous,
a spontanément élevé la voix en faveur
des victimes. N i l u i , ni aucun de ceux
qui ont appris à connaître les crimes
de la Bête Rouge ne nous feront dé –
faut, ni dans la presse ni à la tribune ;
et notre cri, leur cri d'appel à la cons-
Fonds A.R.A.M