P R E M I È R E A N N É E .
18.
Le numéro : France,
40
cent. — Etranger :
50
cent.
10
A O Û T
1901
Pro Armeni a
R é d a c t e u r en chef :
P i e r r e
Q U I L L A R D
Adresser
tout ce nui concerne la direction
à M. Pierre Quillard
IO, rue Nollet, P a r i s
A B O N N E M E N T S :
France
8 »
É t r a n g e r . . . .
10 »
paraissant le 10 et le 25 de chaque mois
COMITÉ DE RÉDACTION:
Q. Clemenceau, Anatole France, Jean Jaurès
S e c r é t a i r e de r é d a c t i o n :
J e a n L O N G U E T
Vendredi
de i l h. à midi, 17, rue Cujas
Francis de Pressensé, E. de Roberty
ADMINISTRATION :
Société nouvelle de Librairie
et d'Édition
(
Librairie G. BELLAIS)
17,
rue Cujas, P A R I S
TÉLÉPHONE : 801-04
Pro Armenia
est en vente chez les libraires et dans les principaux kiosques de Paris.
S O M M A I R E
La Quinzaine
Pierre Quillard.
Les paysans d'Etat et l a
c o m m u n e r u r a l e e n
Transcaucasie
A r j j i s t l s .
Lettres de Divrigh,des fron–
tières turco-russes, de
K h a r z a n et d ' Ad a n a . . .
Nouvelles d'Orient : E n
Ma c é d o i n e . — E n V i e i l l e
Serbie.— Da n s l ' Y é m e n .
L e sultan et l a peste.
L a police turque à
C o n s t a n t i n o p l e et en
France. — L a ma r i n e
turque. — Seize mandats
d ' a r r ê t
.
P. Q.
Documents :
L ' A r m é n i e
a v a n t l e s m a s s a c r e s
(
suite)
E.-J. Dillon.
LA QUINZAINE
Au commencement de juillet, le
chef kurde Kha l i l agha de la tribu des
Hassananli, fils d'un père illustre,
Youssouff agha et frère de trois autres
brigands notables, a attaqué le village
de Kara-Aghil, dans le caza de Bou-
lanik : on sait que d'après des infor–
mations de Constantinople publiées
dans notre numé r o du 10juillet, cette
famille de brigands occupe déjà et met
en coupe réglée les villages de Polyk,
Noumano, Yenikeuï, Aghdjamelik,
Khopal et Khyrt et qu'au besoin les
troupes régulières leur prêtent main
forte dans ces expéditions chères au
cœur de l'Assassin.
Kha l i l agha est tombé brusquement
sur le village qu'il avait cerné dans la
nuit et l'a pillé ; la recette a été d'au–
tant plus fructueuse que les dix-huit
familles a rmén i enne s de l'endroit
avaient r éun i l'argent de l'impôt et se
préparaient à le porter à Boulanik.
Seize Arméniens ont pu s'échapper
j u s qu ' à Kheness et de là ont adressé
un télégramme au Sultan pour lui de–
mander sa protection. Quant aux
autres ils ont été victimes des traite–
ments ordinaires et les femmes et en–
fants n'ont pas échappé au viol qui ter–
mine ces sortes de fêtes sanglantes.
Sans doute on donnera pour excuse
aux Kurdes que les gens de ce pays
sont habitués à la misère. C'est la ré–
ponse que faisait à M . Lyn c h (1) un
ka ïmakam ironique ; le voyageur an–
glais s'étonnait que dans une région
aussi riche par nature que la plaine de
Boulanik, les habitants fussent en proie
à une si sordide détresse : « C'est leur
coutume », répliqua le ka ïmakam,
laissant entendre que les malheureux
avaient beaucoup d'argent caché. Le
fonctionnaire hamidien se gardait
de mentionner les vraies causes de la
misère : usure, déprédations du fisc
et des Kurdes, incertitude du lende–
main, crainte perpétuelle de tuerie.
«
C'est la coutume », répéteront les
diplomates et chefs du peuple « et
nous n'y pouvons rien ». A peine déjà
se résignent-ils à hasarder des obser–
vations respectueuses quand la Bête
viole des engagements souscrits par
eux. Au mépris de l'arrangement de
1896
contresigné par les consuls eu–
ropéens, les autorités de Zeïtoun per–
cevaient les arriérés d'impôts ; très
tardivement, les ambassades de France,
(1)
Cf.
Armenia,
par F . - B . L y n c l i , L o n d o n ,
L o n gm a n and C \ V o l . II, p.
345.
d'Italie, d'Angleterre et de Russie ont,
par une note verbale, attiré l'attention
de l à Porte sur ce manque de parole. Ce
sera une note après tant d'autres : avec
un personnage comme Hamid, i l faut
agir et non discuter.
Ainsi M . Constans, non sans regret
et pour des motifs beaucoup moins
élevés que la défense d'une race exter–
mi née , a pris envers son ami une atti–
tude mome n t a n éme n t comminatoire.
Il est vrai que sa politique per–
sonnelle était en jeu. Dès son arrivée
à Constantinople, i l n'eut d'autre idée
plus pressante que de faire racheter
par le sultan les quais concédés à une
compagnie française ; i l fit, en bon
courtier, valoir la marchandise et attira
surtout l'attention de Hamid sur deux
points : d'abord les quais étant dans
une certaine mesure possession, sinon
propriété française,
l'ambassadeur
n'aurait aucun prétexte pour refuser
d'y déba r que r les marins des station-
naires en cas de bagarres ; et ensuite
la sécurité personnelle de Sa Majesté
Impériale exigeait qu'elle pût en toute
liberté contrôler par sa police l'em–
barquement et le déba r quemen t des
voyageurs ; que si Elle devenait maî–
tresse absolue des quais personne ne
pourrait désormais sortir de son em–
pire ou y entrer sans l'assentiment du
souverain. Mais i l fallait y mettre le
prix et même la surenchère.
Dans cette négociation qui relève
plutôt du bazar que de la diplomatie,
Hamid, bon levantin, travailla de son
Fonds A.R.A.M