Les Arabes voyant cela, envoient six cha–
        
        
          meaux noirs, comme c'est l'habitude à leurs
        
        
          six chefs de tribus qui mettent aussitôt en
        
        
          mouvement les tribus comprenant des gens
        
        
          en armes et des cavaliers, au nombre de qua–
        
        
          rante mille, à ce qu'on dit; l'envoi de cha–
        
        
          meaux noirs est signe de violation d'honneur,
        
        
          ce qui a lieu quand on leur coupe les cordes
        
        
          de leurs tentes, et quand on enlève les bra–
        
        
          celets de leurs femmes; tout ce déshonneur
        
        
          mérite d'être vengé par le sang.
        
        
          D'un côté les Arabes sont en mouvement,
        
        
          d'un autre côté leurs six chefs de tribus télé–
        
        
          graphient à la Grande Béte, sultan Hamid,
        
        
          qu'Ibrahim pacha après les avoir pillés, les
        
        
          a déshonorés aussi; et que si on ne leur donne
        
        
          pas une juste satisfaction, eux-mêmes se–
        
        
          raient prêts à tirer leur vengance.
        
        
          Quant à Ibrahim pacha, quatre ou cinq
        
        
          heures après le pillage, i l apprend que les six
        
        
          tribus arabes se sont soulevées et elles mar–
        
        
          chent sur lui; aussitôt il télégraphie à Khalid
        
        
          bey, gouverneur de notre ville, et demande
        
        
          des soldats pour venir à son secours. Le gou–
        
        
          verneur aussi après la cérémonie des visites
        
        
          de Kourban bayram, passa toute sa journée
        
        
          au bureau du télégraphe pour communiquer
        
        
          tout au sultan; trois jours après, conformé–
        
        
          ment à l'ordre impérial, le samedi (5 avril, le
        
        
          général de division de notre ville, accompa–
        
        
          gné d'Azamet pacha, fut envoyé en personne
        
        
          à Véran-Chéhir, pour réconcilier les trois sus–
        
        
          dites tribus hamidiées. Le général de divi–
        
        
          sion s'arrêta dans le village de Derègne, crai–
        
        
          gnant d'aller plus loin. On dit que Eniss
        
        
          pacha de Halep, et les gouverneurs d'Orfa,
        
        
          de Sévérègne, de Merdine, etc., se réuniront
        
        
          pour réconcilier ces hommes — bêtes féroces;
        
        
          car une lutte entre ces tribus pourra être dé–
        
        
          sastreuse; aussi musulmans et chrétiens
        
        
          craignent le siège dans notre ville.
        
        
          Ce qui est le plus ridicule, c'est que Khalid
        
        
          pacha, qui réside à Dérôgne, donne des ex–
        
        
          hortations suppliantes pour la réconciliation
        
        
          des Arabes et d'Ibrahim pacha; les chefs de
        
        
          tribus arabes répondent qu'il faut, pour les
        
        
          satisfaire, leur retourner tout le butin fait, et
        
        
          en plus ils réclamentlatête d'Ibrahim pacha,
        
        
          celle de sa femme et celle de son fils; les
        
        
          troubles continuent toujours; les hamidiés
        
        
          de Karakétchili profitent de l'occasion pillent
        
        
          sans crainte les soixante campagnes, autour
        
        
          de Sévérègne, toutes appartenant à Ibrahim
        
        
          pacha.
        
        
          Les hommes d'Osman pacha (qui se trouve
        
        
          maintenant à Constantinople), Ramazan
        
        
          agha, Hadji Osman et d'autres beys sont
        
        
          en lutte l'un contre l'autre à Sévérègne; à six
        
        
          ou sept heures de Sévérègne, des brigands
        
        
          nombreux pullulent comme des mouches
        
        
          d'automne; ils pillent les passants, les cara–
        
        
          vanes, les courriers.
        
        
          A Djézié, Hamidié Mousstafa pacha avec
        
        
          plus de barbarie qu'Ibrahim pacha, pille les
        
        
          campagnes environnantes du Tigre; i l dé–
        
        
          shonore aussi les femmeset les jeunes fdles tur–
        
        
          ques, kurdes, chrétiennes; peut-être le sultan
        
        
          Hamid même s'effraie des actes de cet homme
        
        
          féroce et les a en horreur.
        
        
          Le silence mystérieux du gouvernement
        
        
          envers ces crimes et ces destructions qui se
        
        
          commettent sans empêchement et sans crainte
        
        
          étonne tout le monde; nos paysans kurdes
        
        
          voisins se demandent ahuris, où va aboutir
        
        
          cette situation indécise et cette crise écono–
        
        
          mique, car ni le Kurde n'ose venir en ville
        
        
          pour le commerce ni le riche bourgeois n'a le
        
        
          cœur pour bâtir, entreprendre un commerce,
        
        
          etc., et chaque bouche frappe d'anathôme le
        
        
          sultan et le gouvernement qui étant témoin
        
        
          oculaire des atrocités commises par les tri–
        
        
          bus barbares, garde le silence et châtie même
        
        
          les Kurdes quand ils protestent contre les ha–
        
        
          midiés, et que de cheiks et Osman pacha
        
        
          furent punis pour leurs protestations à Cons–
        
        
          tantinople contre les hamidiés; car c'est le
        
        
          principe du sultan Hamid que, quiconque dit
        
        
          du mal de ses hamidiés et du bien des Armé–
        
        
          niens, commet un péché qui n'est pas par–
        
        
          donnable; et n'est-ce pas que tous les souve–
        
        
          rains chrétiens de nom prodiguent tout en–
        
        
          couragement au sultan.
        
        
          Le sang est versé encore entre les beys de
        
        
          Sidji et de Phizore, qui causent beaucoup de
        
        
          préjudice en s'enlreluant.
        
        
          Des troubles continuels régnent entre Seb-
        
        
          dine pacha de Hazro et son cousin Bédri, au
        
        
          sujet de la prééminence. Le mois passé les
        
        
          beys ainsi que Hadji Rachid agha de Phar-
        
        
          kine furent appetés par fe gouverneur qui
        
        
          vouiut les réconcilier mais en vain. Deux
        
        
          jeunes gens arméniens furent victimes à
        
        
          Hazro, i l y a deux mois, des troubles de ces
        
        
          derniers. Par le conseil de Rachid agha trois
        
        
          jeunes gens arméniens, nommés Malké, S té-
        
        
          pan et Giragoss à qui on avait volé cinq che–
        
        
          vaux de chez eux, furent égorgés comme des
        
        
          moutons innocents par des brigands qui
        
        
          avaient reçu des instructions du susdit
        
        
          Rachid agha.
        
        
          Je crois que vous avez lu cet hiver dans
        
        
          les journaux que les brigands qui dévastaient
        
        
          et pillaient les campagnes aux alentours de
        
        
          notre ville furent arrêtés par Azamet pacha
        
        
          et conduits en prison; mais ceci est un pur
        
        
          mensonge; celui qui pille les campagnes est
        
        
          Ibrahim pacha des hamidiés, mais pour jouer
        
        
          au colin maillard, Azamet pacha emprisonna
        
        
          une trentaine de Kurdes.
        
        
          Dans la prison centrale de notre ville pul–
        
        
          lulent aujourd'hui plus de six cent cinquante
        
        
          prisonniers, dont cent sont des prison–
        
        
          niers politiques arméniens qui se trouvent
        
        
          dans une situation indescriptible.
        
        
          Sebdine pacha de Hazro a l'autorité sur
        
        
          soixante campagnes et menace les habitants
        
        
          de leur faire payer l'impôt sur les moutons; le
        
        
          gouvernement de son côté fait payer par force,
        
        
          et ensuite le susdit pacha à son tour fait
        
        
          payer une autre fois les paysans.
        
        
          Les cavaliers des campagnes kurdes de
        
        
          notre ville, Karadjad agha, etc.. se hâtèrent
        
        
          de courir au secours de Ibrahim pacha,
        
        
          pour que celui-ci ne pille encore leurs cam–
        
        
          pagnes; déjà le chef de chaque campagne
        
        
          paye un impôt annuel à Ibrahim pacha.
        
        
          Voici la vie extérieure de Diarbékir ; i l est
        
        
          facile de se faire une idée de la vie interne.
        
        
          Le gouverneur, Khalid pacha reste jus–
        
        
          qu'aujourd'hui à Dérègne sans aucun succès.
        
        
          Attendons pour voir la fin,
        
        
          
            S E C O N D E L E T T R E D E
          
        
        
          
            D I A U U K K I R
          
        
        
          18
        
        
          mai
        
        
          1901
        
        
          Comme je vous avais écrit dans ma précé–
        
        
          dente, les Hamidiés d'Orfa, de Karakétchili,
        
        
          les tribus de K i k r i et les tribus arabes de
        
        
          Chammar se sont réunies dans les campa–
        
        
          gnes d'Ibrahim pacha de Viran-Chéhir ; ils
        
        
          y commettent toutes sortes d'atrocités ; ils
        
        
          dévastent, pillent les champs de blé et les
        
        
          pâturages et ils attendent l'occasion propice
        
        
          pour attaquer et anéantir les tribus hami–
        
        
          diées d'Ibrahim pacha. Mais Ibrahim pa–
        
        
          cha attendit près d'un mois et garda le si–
        
        
          lence envers les pillages et les destructions
        
        
          jusqu'à ce que des cavaliers et des fantas.
        
        
          sins arrivassent avec des canons, de Mouch,
        
        
          d'Erzinghian et de Kharpert; Viran-Chéhir,
        
        
          Rassilan, Dérègne et d'autres endroits furent
        
        
          occupés par eux, pour aller au secours d'I–
        
        
          brahim pacha quand cela sera nécessaire.
        
        
          Le cheik des Arabes de Chammar, Phariz
        
        
          pacha, avec trois cents tentes, et avec des
        
        
          cavaliers hamidiés de Karakétchili, et avec
        
        
          quelques centaines de guerriers kurdes, ar–
        
        
          rive à Viran-Chéhir et fait des menaces; i l
        
        
          dévaste, incendie et pille. Sur cela, Ibrahim
        
        
          pacha ordonne à ses tribus hamidiées qui
        
        
          étaient au nombre de plus de cinq ou six
        
        
          mille, d'attaquer les Arabes ; une lutte san–
        
        
          glante commence; les soldats d'Ibrahim
        
        
          pacha qui tous étaient armés de fusils sont
        
        
          stupéfaits, devant les Arabes qui étaient
        
        
          sans fusils et armés seulement de lances et
        
        
          d'épées; ils attaquent, ils tuent et prennent
        
        
          la fuite. La lutte prend un caractère sérieux
        
        
          et le samedi,
        
        
          
            4
          
        
        
          mai, les Arabes attaquent
        
        
          trois fois les hamidiés et en tuent cent cin–
        
        
          quante et en blessent trois cents.
        
        
          Ibrahim pacha voyant que toutes ses me–
        
        
          naces et ses exhortations restaient sans ré–
        
        
          sultat, désespéré, i l jette trois fois par terre
        
        
          sa décoration hamidiée, et i l supplie Azamet
        
        
          pacha et lui donne beaucoup d'argent afin
        
        
          que ce dernier vienne à son secours, car mes
        
        
          hamidiés vont être anéantis, dit-il, et moi,
        
        
          querépondrai-je au Sultan. (Azamet pacha est
        
        
          un Tchcrkesse de Tchétchen qui, i l y a trente
        
        
          ans, n'était qu'un simple agent de police à
        
        
          Diarbékir et grâce à la beauté de sa sœur
        
        
          qui alors s'était présentée devant le gou–
        
        
          verneur de Diarbékir, le Kurde Ismaïl pacha,
        
        
          pour le jugement du vol qu'elle avait com–
        
        
          mis; ce dernier, épris de sa beauté, renvoie
        
        
          les juges, et prend la belle Tcherkesse dans
        
        
          son bureau ; ainsi Azamet, grâce à sa sœur,
        
        
          devient le pacha le plus riche et le plus in–
        
        
          fluent à Diarbékir). Celui-ci, Azamet, le chien,
        
        
          ordonne aux trois mille soldats, qui jusque-
        
        
          là attendaient comme de simples spectateurs,
        
        
          de faire feu sur les Arabes, qui, abandon–
        
        
          nant leurs tentes, font signe aux soldats
        
        
          qu'ils n'ont pas à combattre contre le gou–
        
        
          vernement, et prennent la fuite. Les soldats
        
        
          et les hamidiés encouragés, les poursuivent
        
        
          et après avoir causé beaucoup de pertes
        
        
          aux Arabes, entrent dans leurs tentes, et pil–
        
        
          lent vingt-cinq mille chameaux, chevaux, des
        
        
          animaux domestiques, leur nourriture etc. ;
        
        
          ils déshonorent et violent beaucoup de fem–
        
        
          mes et de jeunes filles; ils amènent les gar–
        
        
          çons et les jeunes filles pour les vendre ; de-
        
        
          Fonds A.R.A.M