On a pu maintes fois apprécier toute
la mesquinerie du procédé. Une pro–
vince se détache-t-elle de l'Empire?
Les agents secrets de Yldiz r épand r on t
par le peuple que les ministres seuls
sont coupables de l'événement. Une
grosse'erreur diplomatique a-t-elle été
commise sur un ordre du palais ? Aux
réclamations des ambassadeurs, i l est
répondu que le Sultan était dans
l'ignorance complète des faits. Au be–
soin, Hamid fait même désigner tel
courtisan, tel pacha, sur qui doivent
retomber les conséquences de la faute.
Et i l n'est pas rare qu'il aille j usqu ' à
infliger une apparente disgrâce au
prétendu coupable, voire même jus–
qu'à le révoquer, sauf à lui donner
secrètement satisfaction, sous forme
d'un don en argent, en biens-fonds, en
concession de mines ou autres com–
pensations de ce genre.
Nous l'avons vu, i l n'y a pas long–
temps, lors de l'affaire des postes
étrangères ; lorsque le Sultan, en p r é –
sence de l'attitude presque ferme des
chefs des missions étrangères, se vit
obligé de battre en retraite et ne trouva
aucune excuse au cambriolage qu'il
avait commandé , i l fit transmettre aux
ambassades ses regrets impériaux, ar–
guant de- l'ignorance où le laissait
Izzet bey « qui, seul, avait provoqué
cet i nc i den t » . Le favori parut d'ail–
leurs payer son incartade d'une dis–
grâce mome n t a n é e , les diplomates
étrangers eurent la faiblesse de se
tenir pour satisfaits et tout fut dit. Pour
en arriver à ce degré d'hypocrisie, i l
faut être vraiment passé maître dans
l'art d'exploiter sa propre bassesse et
l'universelle lâcheté.
Mais si le Sultan ne s'embarrasse
guère de la dignité de ses ministres,
ceux-ci le l u i rendent bien et au besoin
avec usure, et non seulement se mo–
quent de l u i , mais à l'occasion le
trahissent volontiers. Une personne
qui assista à la seconde entrevue que
l'empereur d'Allemagne, lors de son
voyage en Syrie, eut avec le gouver–
neur général Nazim pacha, — cet
ancien ministre de la police qui fit
fleurir de célèbres matraques au poing
des assommeurs de Constantinople
en 1896,—nous conlaqueGuillaumelI
ayant demandé à ce j o l i personnage
quel était le vrai coupable de ces
odieuses tueries, Nazim n'hésita pas à
réjiondre :
— «
Mais Sa Majesté elle-même. »
Nous n'attendions certes pas le té–
moignage de cet odieux complice
d'Abd-ul-Hamid pour savoir que ce–
lui-ci fit égorger i l y a six ans les Ar –
méniens en bloc, comme i l tue chaque
jour et en détail ses sujets musulmans ;
mais ce propos a sa valeur quand i l
émane d'un homme qui fut la créature
et le bourreau de prédilection de Sa
Sinistre Majesté.
D'ailleurs, en fait de témoignages de
ce genre, nous avons mieux que cela.
Un personnage dont on ne saurait
suspecter la véracité nous a raconté le
petit fait que voici :
Vers la fin de 1894, comme i l se
trouvait, un jour, dans le
Daïré
de
Hadji-Ali-bey, premier chambellan, à
Yldiz, où se tenait également le vali
de Van , qui, à la veille de regagner
son poste, venait prendre les ordres
du Sultan, le grand-vizir Djevad entra
précipitamment et sans soupçonner la
présence d'un fâcheux dit à haute
voix :
— «
Pacha, Sa Majesté vous fait sa–
voir que vous devez agir avec la der–
nière rigueur à l'égard des Arméniens. »
Et comme le vieux pacha essayait
d'expliquer que la violence ne mène –
rait à rien de bon.
Je vous répète, répliqua Djevad
en appuyant sur ces mots, les ordres
de Sa Majesté.
Mais c'est pousser ces gens-là à
la révolte.
S'ils se révoltent, eh bien ! vous
tuerez...
Qu'on rapproche de ce petit dia–
logue les protestations de Hamid, au
lendemain des massacres d'Arménie,
jurant par Mahomet qu'il en était com–
plètement innocent et l'on aura une
juste idée de la valeur morale du san–
glant inconscient dont l'Europe se rend
complice par son inexplicable fai–
blesse.
G.
DOKYS.
EN VIEILLE SERBIE
Il semble décidément qu'Hamid ait
résolu de purger la Vieille-Serbie de
toute population serbe : les moyens
employés là sont analogues à ceux
qui servent au Sassoun, à Zeitoun et
dans toute l'Arménie et les person–
nages qui les mettent en œuv r e , c'est-
à-dire le mutessarif Djémal bey et le
mufti Mouslapha, sont les agents d i –
rects du sultan de complicité avec
Hamdi pacha, commissaire de la fron–
tière turco-serbe, qui est en relation
de famille avec la clique du palais.
Les récentes affaires de Kolatschin
et du couvent de Gratschanica sont
des épisodes significatifs dans l'exé–
cution du plan hamidien. Kolatschin
forme une enclave serbe en pays
arnaute; c'est une sorte de petite
république de deux mille huit cents
à trois mille âmes, réparties en trente-
trois groupes dont le plus considéra–
ble n'a pas.plus de vingt maisons. Les
gens de Kolatschin habitent le long de
la branche occidentale du fleuve Har,
une région couverte de forêts de
chênes et qui n'est propice n i à l'agri–
culture ni à l'élevage des bestiaux : ce
sont tous des ouvriers manuels qui ne
cherchent pas de conflits avec les
Albanais : ceux-ci sont armés jusqu'aux
dents et eux n'ont pas le droit de por–
ter des armes. Au contraire, ils v i –
vraient plus volontiers en bons rap–
ports avec leurs turbulents voisins a
qui ils vendent les produits de leur
industrie rudimentaire : vêtements
grossiers, souliers, bottes, sandales,
futailles, objets de bois et de vannerie.
Les Kolatschiniens, selon une très
ancienne coutume, perçoivent et r épa r –
tissent eux-mêmes leurs impôts que le
chef de leur communau t é remet en–
suite au fonctionnaire ottoman de
Pristina ; ils règlent entre eux leurs
différends judiciaires devant un tribu–
nal « d'hommes droits ».
Hamdi pacha considère Kolatschin
comme un empêchement à la cons–
truction de la grande voie stratégique
Mitrowitza-Rozaj-Berane ; aussi dési–
rait-il dissoudre cette agglomération
gênante. Il annonça donc, avec l'aide
Fonds A.R.A.M