A Mitrowitza et à Wuschitrin, les
instituteurs ont été également jetés en
prison. Le livre de classe « révolution–
naire » qui a été saisi chez eux était
venu de Serbie ouvertement et les
douaniers ne l'avaient pas considéré
comme subversif; mais le fonction–
naire qui a ordonné les poursuites
ignore la langue serbe et tient pour
dangereuse toute brochure écrite en
serbe. C'est la méthode même employée
en Arménie, où des malheureux furent
condamné s aux travaux forcés parce
qu'ils étaient détenteurs de papiers
inoffensifs imprimés en arménien.
Il est au moins singulier que le pre–
mier ministre serbe ait trouvé moyen
d'excuser presque lesmesures sauvages
des autorités hamidiennes en déclarant
que l'une des causes des événements
actuels était « le désir des Mahométans
de se défendre contre les manœuv r e s
des comités macédoniens. » Peut-être
d'ailleurs sa pensée a-t-elle été déna –
turée par le journal très dévoué au
Sultan à qui i l eut le tort de la confier.
Les paysans des villages détruits par
les troupes de Hamid, les cent cin–
quante émigrés qui ont échappé à la
mort en passant la frontière, les pro–
fesseurs et les prêtres arrêtés savent quel
est le véritable ennemi ; ils compren–
draient mal les réticences officielles.
Il serait plus urgent de faire exécu–
ter dans toute la Macédoine et en A r –
ménie le traité de Berlin que de cher–
cher des circonstances atténuantes aux
crimes sans nombre d'Abd-ul-Hamid.
R .
D'ALACHGUERTE, ALEXANDRETTE
ET DE CILICIE
L E T T R E
D ' A L A C H G U E R T E
N'allons pas loin, nous vous parlerons au–
jourd'hui tout particulièrement des lois et
règlements des deux ou trois dernières années
de la province d'Alachguerte, pays ressem–
blant au paradis, changé en enfer par la ter–
reur présente et future et par les mesures
coercitives.
La province d'Alachguerte se divise en
quatre parties, sans compter le grand centre
Païazite où réside le mutéssariffe dans les
centres secondaires, à i°
Tiadine, 2°Karaki-
lissé,
3
°
Perte,
4
°
Anthaf
ou
Khamour,
ré–
sident les Kaïmakains ; Païazite et ses pro–
vinces sont gouvernées tout à fait arbitraire–
ment; le plus fort opprimant et violentant le
plus faible ; dans le cours de ces trois der–
nières années plus de cent cinquante Kurdes
sont tués par d'autres Kurdes.
Perte.
A Perte se trouvent trois cents
habitants arméniens, i l y a douze campagnes
aux environs de Perte, ce sont : Khassdour,
Amade, Kaïapègne, Khazlou, Khochian,
Ekintapé, Mollasaleyman, Zethyàn, Erilzan,
Achkhalé, Hatchi, Saifar et Tchilghani ; plus
de quatre mille habitants arméniens y ha–
bitent.
2
°
Karakilissé.
On compte trois cent
cinquante habitants arméniens à Karakilissé;
aux environs se trouvent les campagnes de
Meghré, Mangassar, Kufchiran, Zéro, Iont-
chali, Ghazi, renferment trois mille quatre
cent cinquante habitants arméniens.
3
°
Tiadine.
Uchkilissé, Tchoghan, Kara-
pazar, Khomli, Boudjouz, Seïto, Merghatchan,
Pothi, renferment huit cent cinquante habi–
tants arméniens.
Dans les campagnes de ïchoukhour, aux
environs de Païazite, à Moussoun, Koran,
Artzap, se trouvent deux cents maisons avec
mille Arméniens, et à Païazite on compte
mille cinq cents habitants arméniens et les
provinces réunies renferment onze mille
quatre cent cinquante habitants, tous armé–
niens.
La principale occupation du peuple est
l'agriculture ; dans les grands centres on
s'occupe plutôt du commerce et del'industrie;
grâce aux pâturages d'Alachguerte i l est pos–
sible de garder beaucoup de bestiaux, des
moutons, des bœufs, etc., i l n'y a que les
Turcs et les Kurdes qui sans distinction
peuvent jouir de cet avantage; on ne laisse
pas à l'Arménien ce qu'il peut garder.
On peut compter différentes sortes d'im–
pôts :
i° L'impôt miiitaire ;
2
°
i'impôt sur tes mou–
tons ; 3° l'impôt immobilier ; 4° l'impôt de la
dîme ; 5° l'impôt sur le travail des artisans
et des commerçants.
L'impôt militaire qui était perçu jadis par
fractions et en accordant des délais, ces deux
dernières années est perçu dans les mois de
février, avec précipitation et sans délai, en
torturant et battant les habitants, en ven–
dant tout le mobilier des maisons et en con–
fisquant pour une valeur de dix piastres des
choses qui valent vingt piastres.
h'aghnam
est un impôt portant sur les
moutons; sur chaque mouton on perçoit quatre
piastres et demi, en comptant cent cinquante
moutons au lieu de cent.
Il est possible de tolérer tous les impôts,
mais i l est impossible de tolérer l'impôt sur
la dîme
(
achar)
;
au lieu de percevoir un sur
dix on perçoit un sur six et demi, soit sur le
blé, soit sur l'orge, etc ; on perçoit une livre
turque de tous ceux qui possèdent des four–
rages. L'impôt de fa dîme
(
achar)
a complè-
tement ruiné la population ; c'est un impôt
élastique, augmenté et diminué au gré des
percepteurs, i l est mis aux enchères, toujours
i l n'y a que les beys Kurdes et les Turcs in–
fluents qui t'achètent, pour le plus grand
malheur des paysans.
11
y a aussi un autre impôt qui s'appelle
paghia
;
c'est un impôt qui existe depuis la
guerre turco-russe en
1877,
c'est la classe
pauvre qui doit payer, mais la plupart, ont
déjà émigré en Russie, en Perse, où ils sont
morts ; leurs dettes néanmoins existent et
sont perçues sans prendre fin ; qui peut pro–
tester? Aqui? Personne n'entend.
Pour les chrétiens qui s'occupent du com–
merce ou des affaires, if est absolument in–
terdit de voyager ; ce qui nuit beaucoup à
ceux qui font le commerce de bœufs et d'ânes,
surtout aux petits commerçants. Le com–
merce des Arméniens de Païazite se faisait
surtout avec Erivan et Ikdir, mais aujour–
d'hui i l est interdit aux Arméniens d'y aller
et d'en revenir. Le Turc est complètement
libre, i l achète, i l s'en va et i l revient pour
son commerce ; peu à peu tout le commerce
sera accaparé par eux. Pour l'Arménien, i l
est même dangereux de sortir de chez lui.
Dans la province d'Alachguerte, des op–
pressions et des atrocités de tout genre sont
toujours commises par des tyrans sans
nombre ; ce sont les hommes de Sélim pacha,
de la tribu de Zilan ; les tyrans de Sepgh et
de Haïdar ; en
1898,
Ibrahim agha de Haï–
dar, natif des environs de Khamour, le ma–
jor hamidié, ont emporté environ trois cents
bœufs et vaches et les parures des femmes,
en entrant par force dans les maisons armé–
niennes de la campagne d'Ekhinlap ; d'un
autre côté, les fils d'Alatossoun de Sepgh,
attaquant la maison de Ress Avé, dans la
campagne de Kaïapegh, en plein jour, ont
emporté tout,jusqu'aux pantalons de femmes;
le résultat des protestations continuelles fut
de reprendre seulement une partie des choses
enlevées ; vers la même époque, on emporta
cinquante-cinq chevaux des campagnes de
Vank, de Gharapazar et de Ghoumliboud-
jaz ; en
1899,
les Khurdes venus de Perse,
associés aux autres, ont emporté les bes–
tiaux des susdites campagnes ; c'est à cette
époque que fut tué Ress Soghomon Mélikian
de la campagne de Gharapazar ; les fils de
Virto de la campagne de Vank, nommés
Aristakès et Sahagh ; fut tué également Gha-
zarionRess Tano de la campagne de Mous-
sou ; Zakarian Haroutioun de l a campagne
d'Artzap ; sept personnes de la campagne de
Ekhindap et Tchilganié ; deux personnes de
la campagne de Kaïapegh ; les assassins sont
les hamidiés kurdes qui, poussés par le
gouvernement, commettent journellement le
pillage, le brigandage et vendent les biens
appartenant aux Arméniens ; ils injurient, ils
torturent et commettent toutes les violences.
L'Arménien ne tire aucun profit des pro–
duits de la province d'Alachguerte; s'il ose
avoir des moutons, des bestiaux, etc.,
ils sont volés ou ravis; i l est difliciie de vous
décrire toutes les vexations commises; ce
serait beaucoup trop long.
Les tribus étrangères, les Kurdes et la
tribu de Tharakimegh-Gharapapagh sont in–
dépendantes de la cavalerie hamidié; ces
deux tribus aussi témoignent envers les
chrétiens la plus grande haine.
Le fiis de Mahmoud Pacha d'Alachguerte,
A l i pacha, a commis des vexations sans nom–
bre dans les campagnes de Alasuléïman et
d'Eritzan; les malheureux paysans ne lui
Fonds A.R.A.M