prévoir la lettre publiée dans notre
dernier numé r o , les méfaits des Kurdes
Djelali se renouvellent avecune odieuse
fréquence.
Au moulin d'Ardzap, Sako Zaka-
rian a été tué et le notable Baghdassar
grièvement blessé.
Près du village de Rarick Boghoss
Amirkhanian a été tué avec des raffi–
nements de cruauté par le Kurde Zeko,
de la suite de l'officier de cavalerie
hamidié Saïd.
Ont été enlevées : Zelikhan, fille
dArmaghan par le gendarme Mehmed
de Bayazid.
Almasd, femme de Hayro, par le
caporal Mughdad.
L a fiancée du notable Kevork par le
nommé Pikehende Bayazid.
Soixante habitants d'Ardzap, terro–
risés par Saïd et ses hamidiés, se sont
rendus à Bayazid pour demander en
vain la protection des autorités. Ils se
préparent à émigrer en Russie.
Ainsi lentement, par le sabre, la
famine, l'émigration, la terre a rmé –
nienne se dépeuple et l'œuvre extermi–
natrice s'accomplit.
Cependantlesambassadeursetlesgou-
vernements européens laissent faire :
ils attendent pour r ép r imande r l'as–
sassin avec une extrême politesse qu'il
ait derechef o r donné de grands mas–
sacres.
Lui-même prend soin de les avertir ;
car i l se plaît à faire montre d'une
courtoisie presque exagérée. Il veut du
moins leur donner le temps de p r épa –
rer à loisir les notes de condoléances
et de menaces et de déplorer en leur
style l'irréparable mort des victimes.
A Eghrek, comme à Sassoun, comme
dans toutes les villes où le sang a coulé
déjà, les égorgeurs proclament pom–
peusement qu'ils agissent au nom
d'Abd-ul-Hamid et qu'ils auront tou–
jours raison, grâce à la protection de
cette Ombre de Dieu.
Les représentants et les chefs des
peuples qui se disent chrétiens et c i v i –
lisés tolèrent et encouragent l'assassin
impérial. Ils ont un devoir imméd i a t
à remplir et qu'ils peuvent remplir
aisément : museler et abattre la Bête
Rouge.
S'ils tardent à agir, on peut craindre
que l'initiative privée ne se substitue
à leur impuissance volontaire. Mais
alors peut-être des intérêts européens
seront compromis, des vies euro–
péennes sacrifiées pour atteindre, coûte
que coûte, l'auteur de tant de crimes.
Et ce j our - l à , ils auront mauvaise
grâce à se plaindre si les opprimés,
par contre coup, font tort à leur caisse
et les éclaboussent d'un peu de sang.
PIERRE
QU I LLARD .
EN VIEILLE SERBIE
Trop souvent dans ces derniers temps
certains consuls hellènes ou serbes se
sont fait en Macédoine les complices
de la tyrannie hamidienne ; i l leur est
advenu d'oublier qu'ils appartenaient
eux aussi à des nationalités opprimées
et de travailler pour-le compte et au
profit de la Bête Rouge, contre les r é –
volutionnaires macédoniens.
Les populations de la Vieille Serbie
ont à pâtir à leur tour du régime de
tueries, d'exécutions et de terreur poli–
cière que le Sultan a installé dans tout
son empire et les diplomates serbes
comme M . Nikolitch commencent à
parler de « la faiblesse, presque de
l'indolence des autorités turques » à
l'égard des bandes organisées qui rava–
gent le pays avec l'aide des troupes
régulières. D'autres constatent que si
les Albanais sont au besoin pacifiques,
ils tirent une grande force du fait que
la Garde Albanaise d'Yldiz protégeant
directement le Maître est redoutée de
lui, comme i l convient, et qu'ainsi tous
valis ou ka ïmakams déplaisant sont
déplacés ou chassés, sans que le pou–
voir central ose agir : ce fut le cas du
successeur de Kiamil-Pacha à No v i -
Bazar.
Sans doute les journaux bien pen–
sants de Constantinople ou d'ailleurs
déclarent que tout est au mieux,
qu'Hamid pacha, inspecteur général
de la frontière, est simplement allé
faire une excursion aux eaux thermales
de Vrania avec les consuls étrangers et
qu'il a été reçu par le préfet serbe aux
sons de la
Marche Hamidié,
de même
que par pure curiosité archéologique
les consuls étrangers encore — en l'es–
pèce le consul autrichien Para et le
vice-consul anglais Fontana — ont été
visiter à Prichtina le tombeau du Su l –
tan Mourad.
Mais les euphémi smes officiels et les
ridicules inventions à propos des dé–
placements consulaires dissimulent
mal la gravité réelle des événements.
Ce qui se passe en Vieille Serbie cor–
respond trait pour trait à l'État des
provinces a rmén i ennes .
Comme les Arméniens, les Serbes
sont désarmés et laissés à la merci
d'adversaires bien munis de fusils et
d'armes blanches : tout non -ma homé –
tan qui porte des armes est arrêté
comme suspect de haute trahison et
d'agitation dangereuse.
Comme les Arméniens, les Serbes
qui ont l'audace de se défendre sont
aussitôt attaqués par la troupe régu–
lière : C'est ainsi que le village de Be-
zana fut bomba r dé par les "Nizams
quand les habitants tentèrent de résis–
ter à leurs agresseurs, que la troupe
avait regardé faire avec bienveillance.
Ces jours derniers à Kuzmiczevo, près
de Novi-Bazar, un agha très détesté,
Suleiman Tokalics, fut tué par un A l –
banais. Son fils en profita pour piller
le village et le détruire entièrement avec
l'assentiment des fonctionnaires hami-
diens.
Comme les Arméniens, les Serbes
doivent non seulement subir les exi–
gences du fisc, mais encore satisfaire
celles des aghas. S'ils tardent à acquit–
ter la taxe fixée, Tagha saisit tout leur
bétail et le marque à son propre nom.
Comme les Arméniens, les Serbes
sont arrêtés, sans autre motif, sous
prétexte de propagande révolution–
naire. C'est ce qui vient d'arriver à
Prichtina, à Mitrovicza et à Wusch i -
trin.
A Prichtina, un vieillard de soixante-
dix ans, Nedelkowics, a été torturé
parce qu'il refusait de livrer la copie
inexistante d'une soi-disant convention
militaire russo-serbe. L'école serbe a
été fermée, les instituteurs Orlovics,
Klimics et Frtunics et l'institutrice To -
nika Frtunovics jetés en prison.
Fonds A.R.A.M