Passé ce délai i l sera jugé par défaut, ses
biens seront confisqués et i l perdra ses
droits civiques. Les autorités policières
l'arrêteront partout où elles le trouveront.
Une note officielle émanan t du procu–
reur impérial de la cour d'appel correc–
tionnelle de notre ville a annonc é que le
nommé
Cliahin,
ex-sous-gouverneur
de Mon tAt ho s et de Valona, accusé de
s'être sauvé a l'étranger et d'avoir fait des
publications séditieuses, a été jugé par
défaut par devant la cour criminelle de
Stamboul. Sa culpabilité ayant été éta–
blie, i l a été condamné , conformément à
l'article G8 du Code pénal ottoman, à l a
détention perpétuelle dans une enceinte
fortifiée, à la perte de ses droits civiques
et à l a confiscation de ses biens.
Ismaïl Khemal n'est autre qu'Ismaïl
Khemalbey, ancien conseiller d'État, l'un
des hommes les plus instruits et les plus
éminents de l a Turquie contemporaine.
Quant aux « n ommé s Chahin et Faik »
VAlbania é cogel,
supplément politique
de l a revue
Albania,
commente leur con–
damnation dans une note intitulée
Les
Doiidoums
(
sobriquet populaire des
Turcs en Albanie)
et les Albanais :
Les Albanais auront compris qu'il s'agit
de Schahin bey Kologna et de Faik bey Ko-
nilza.
Ni l'un ni l'autre n'ajoutent de l'importance
à ces ineptes comédies. Ils se réservent de
démontrer rpi'on ne piétine pas sur des Alba–
nais aussi facilement en actes que sur le
papier.
Toutefois, i l sera bon de faire remarquer
que Faik bey Konitza ne s'est pas « enfui » à
l'étranger, mais qu'il est sorti avec l'autori–
sation de l'Etat (puisqu'il faut une autorisa–
tion pour tout en Turquie), et qu'il se trouve
par ici depuis quinze ans. Il n'a jamais rien
sollicité du gouvernement asiatique, i l ne
connaît pas un mot de turc et ne comprend
pas ce qu'on lui veut. Il est surpris que sa
collaboration à une revue d'érudition et de
linguistique soit qualifiée de subversive.
Quant à Schahin bey Kologna, i l nous
semble qu'un poste n'est pas un lien indisso–
luble ; i l lui a plu de démissionner, le gou–
vernement n'a rien à dire.
L A
R E C O N N A I S S A N C E
n '
A B D - U L - H A M I D .
—
Nous avons annonc é en temps utile
sous l a rubrique
Condamnations
qu ' Al –
fred bey B i l i n s ky avait été condamné,
pour publications subversives, à la perte
de ses droits civils et à l a confiscation de
ses biens, d'ailleurs non existants.
C'est là un trait caractéristique de l a
gratitude d 'Hami d effendi envers ceux
qui l u i ont rendu les plus grands et les
plus loyaux services. Alfred bey Bilinsky,
fils du général Bi l i n s ky pacha, attaché a
la légation d'Athènes, se battit en duel
pour l'honneur de son ministre, grave–
ment insulté par un officier grec. Envoy é
à Washington, i l sacrifia sa modeste for–
tune pour payer les fonctionnaires de l a
légation à qui Hami d refusait obstinément
leurs appointements. Enfin pendant la
guerre gréco-turque, i l s'engagea et se
battit avec le plus rare courage. Le doc–
teur L a r d y dans son remarquable livre
sur l a guerre rapporte ainsi un incident
qui l u i fait le plus grand honneur :
Ru
S T E M B E Y D E B I L I N S K Y
a reçu, le
17
mai,
au sud de Pharsale, une balle à travers les
fléchisseurs de l'avant-bras gauche en leur
milieu, se trouvant à une cinquantaine de
mètres de l'ennemi. Ses hommes ayant dû
reculer et s'abriter devant un feu infernal, i l
est resté près d'un quart d'heure exposé au
feu avant d'être touché, cherchant à voir un
ennemi derrière les rochers environnés de
buissons, mais sans trouver à décharger utile–
ment son revolver. Une fois blessé et se
retirant comme i l pouvait salué de salves dès
qu'il montrait le bout de son nez, i l n'a plus
été touché.
Nous citons ce cas particulier parce que
nous avons assisté, avec nos jumelles bien
entendu, à ce petit épisode, que nous avons
vu ce petit groupe d'hommes s'avancer jus–
qu'au bas du rocher où se trouvaient les
Grecs et qu'ils ont essuyé au moins un mil–
lier de coups de feu pour une blessure.
Pour avoir consacré son argent et risqué
sa peau au service de Hamid, Alfred B i –
linsky est aujourd'hui sous jugement par
une mesure administrative. C'est dans
l'ordre.
P . Q.
DOCUMENTS
L'Arménie avant les massacres
(
Suite)
Ils finirent par supplier humblement leurs
persécuteurs de leur donner la liberté et de
fixer une rançon. On s'entendit et on leur
donna le conseil d'envoyer des Kurdes pour
retrouver la trace des meurtriers kurdes
qu'ils étaient accusés d'avoir assassinés.
«
Si on les retrouve, leur dit-on, vous serez
relâchés ! » Les frais de ce conseil et de sa
mise en exécution se montèrent à /Joo livres
(9
,200
francs)qu'ils durent emprunter à
40 0/0.
Il
va sans dire que l'on retrouva les prétendues
victimes. Des brigands kurdes ou turcs, qui
n'ont l'ait que tuer des chrétiens, n'ont pas
besoin de se cacher. Ce qu'ils ont fait est
bien fait. Les héros en question furent heu–
reusement retrouvés sous l'uniforme de la
troupe favorite de Sa Majesté, la cavalerie
Hamidié d'Alachkerd. Ils reconnurent les
faits. Une armée de témoins turcs et kurdes
—
car le témoignage des chrétiens est sans
valeur — se prononcèrent en faveur des pri–
sonniers. Ils furent donc mis en liberté, mais
ruinés dans leur fortune et dans leur santé.
Le jugement porte que les Arméniens qui
avaient été accusés du meurtre de certains
Kurdes, qui avaient tué deux Arméniens,
avaient démontré leur innocence, vu que les
Kurdes en question avaient été retrouvés
en bonne santé et employés au service du
commandeur des croyants dans la cavalerie
Hamidié.
On ne toucha pas un cheveu de la tête des
meurtriers kurdes, pour la précieuse vie
desquels on avait fait tant d'affaires ; ils
servent Sa Majesté le Sultan avec le même
zèle et la môme fidélité qu'auparavant.
Un chien aboie quand un autre chien
est tué à ses côté. Les Arméniens n'avaient
pas même murmuré ; ils n'avaient fait qu'ap–
peler les représentants de la justice impé–
riale, et ceux-ci les ont traités comme des
meurtriers.
En Arménie, les chrétiens n'osent même
pas prétendre aux traitements qu'un honnête
homme accorde à son chien quand i l est
obéissant.
Les histoires que l'on faisait courir sur les
officiers de la cavalerie Hamidié en général
et sur un certain Mostigo en particulier me
paraissaient si fabuleusement invraisem–
blables que je me donnai un mal énorme pour
démêler jusqu'à quel point elles étaient
vraies. Lorsque j'appris que ce véritable
Fra Daviolo avait été arrêté et qu'à titre de
criminel dangereux i l était enfermé dans la
prison d'Erzeroum, d'où i l ne sortirait sans
doute que pour être pendu, je résolus, pour
peu que ce fût possible, d'obtenir une entre–
vue avec lui, afin d'apprendre la vérité de sa
propre bouche. Au début, je ne pus y arriver,
le brigand étant très rigoureusement sur–
veillé. Mais, après avoir poursuivi mes dé–
marches pendant trois semaines, je réussis
enfin à gagner le geôlier, non sans avoir au
préalable abondamment rempli sa bourse.
Ensuite i l me fallut corrompre le prisonnier
lui-même, et j'obtins enfin que Mostigo rece–
vrait l'autorisation de quitter en secret la
prison et de passer six heures dans ma
chambre, après quoi i l réintégrerait son ca–
chot.
Quand le jour convenu fut arrivé, le geôlier
refusa de tenir parole, en alléguant qu'il re–
doutait une évasion du criminel. Je dus l u i
procurer deux otages. L'un était un Kurde,
un compatriote du brigand, et celui-ci, con–
formément à ses idées sur l'honneur, n'aurait
jamais songé à le trahir, même pour sauver
sa propre vie. Enfin, un soir, Mostigo arriva
chez moi en grimpant par-dessus les toits,
afin de ne pas être aperçu par les agents de
police qui étaient en faction à ma porte. Je
le gardai chez moi toute la nuit, je lefisvoir
à deux des Européens les plus considérés de la
ville, et enfin le lendemain malin, afin de dis–
siper tous les doutes, je me fis photographier
avec lui.
Les récits de ce galant homme fournissent
un magnifique commentaire explicatif des
procédés du gouvernement turc en Arménie.
Je ne puis malheureusement les produire ici
in extenso,
mais j'en donnerai du moins
quelques extraits.
Demande. — Eh bien, Mostigo, je voudrais
entendre de ta propre bouche le récit de quel–
ques-uns de tes hauts faits, et j'en prendrai
note, pour pouvoir les raconter.
Réponse. — Très bien. Raconte-les seule–
ment aux douze puissances.
(
On voyait qu'il n'avait pas la moindre idée
Fonds A.R.A.M