peuvent pas payer, on les emprisonne jus–
        
        
          qu'à parfait payement. Le matin, l'artisan
        
        
          quitte la maison de bonne heure pour se
        
        
          rendre au marché, pour ouvrir sa boutique ;
        
        
          sur les chemins, des agents de police l'atten–
        
        
          dent ; - ils l'arrêtent et le conduisent à la
        
        
          prison ; s'il possède sur lui un peu d'argent,
        
        
          il paye une partie de sa dette et i l est relâché ;
        
        
          à peine est-il entré dans une autre rue, que
        
        
          d'autres agents l'arrêtent de nouveau pour le
        
        
          conduire à la prison. Il est arrivé, qu'un
        
        
          homme, dans la journée avant d'entrer à sa
        
        
          boutique, soit arrêté deux ou trois fois, con–
        
        
          duit au poste de police ou à la prison.
        
        
          Ceux qui n'ont personne pour les protéger
        
        
          sont bien à plaindre. Ils restent et restent
        
        
          toujours en prison : « Je ne possède pas d'ar–
        
        
          gent », dis-tu ; on va vendre le mobilier de
        
        
          ta maison ; tu n'as pas de mobilier, on vend
        
        
          ton blé, ta provision, et à défaut on arrache
        
        
          de ses mains sa nourriture de deux jours et
        
        
          on la vend, souffrant que les petits, les pau–
        
        
          vres enfants restent affamés ; beaucoup se
        
        
          trouvent dans une telle situation étroite,
        
        
          qu'ils ne veulent même pas aller au marché
        
        
          et quand les femmes quittent la maison, on
        
        
          les arrête aussi, jusqu'à ce qu'elles arrivent,
        
        
          en faisant des réparations de couture, çà et
        
        
          là, à payer une certaine somme.
        
        
          Les fonctionnaires turcs ont fait de la per–
        
        
          ception d'impôt un métier qu'ils savent utili–
        
        
          ser à leur profit admirablement, pour grossir
        
        
          leur bourse. Le commerce en est grandement
        
        
          endommagé ; les Arméniens préfèrent rester
        
        
          enfermés chez eux que d'aller au marché et
        
        
          de se soumettre à de nouvelles injustices et
        
        
          de nouvelles spoliations...
        
        
          Les soldats de notre endroit se couchent
        
        
          en grande partie dans les mosquées ; ces
        
        
          mosquées sont au nombre de sept ; après
        
        
          l'événement de
        
        
          i8g5,
        
        
          —
        
        
          les Turcs craignant
        
        
          les Arméniens, disent-ils, les soldats se cou–
        
        
          chent dans les mosquées — pour défendre
        
        
          les quartiers turcs.
        
        
          Le caserne de Marach fut brûlée, i l y a
        
        
          dix ans ; et c'est à cette époque-là qu'on a
        
        
          entrepris de la construire ; mais elle est à
        
        
          moitié achevée et reste telle jusqu'aujour–
        
        
          d'hui ; les soldats au nombre de douze à
        
        
          treize cents habitaient jadis la forteresse,
        
        
          mais depuis
        
        
          1895
        
        
          la plus grande partie
        
        
          reste dans les sept mosquées ; ils habitent
        
        
          dans les chambres et les cours qui se trou–
        
        
          vent autour des mosquées.
        
        
          Zeïtoun,
        
        
          1"
        
        
          mars
        
        
          1901.
        
        
          Un fait curieux; nous apprenons d'une
        
        
          source authentique, que depuis la construc–
        
        
          tion de la caserne de Zeïtoun, les soldats ont
        
        
          éprouvé de grandes pertes; tous les jours
        
        
          des décès auraient lieu parmi les soldats et
        
        
          cela continuellement pendant quatre ans. Les
        
        
          Zeitouniotes eux-mêmes racontent que qua–
        
        
          tre mille soldats environ sont morts dans
        
        
          quatre ans ; le nombre des morts serait tel
        
        
          que les Zeitouniotes auraient assez de gain
        
        
          en vendant du bois pour les cercueils. Les
        
        
          Zeitouniotes attribuent cela à leur foi, en ce
        
        
          sens que les pierres de la caserne seraient
        
        
          les pierres saintes d'église et de couvent et
        
        
          pour cette raison, la mort s'en suivait, comme
        
        
          une punition ; mais le fait est tout à fait cu–
        
        
          rieux. A la fin les Turcs voyant que les per–
        
        
          tes étaient continuelles, voyant le vaste cime–
        
        
          tière de ceux qui étaient inhumés dans qua–
        
        
          tre ans, se décident à quitter le bâtiment en
        
        
          pierre et habitent les tentes et les construc–
        
        
          tions en bois et échappent ainsi au terrible
        
        
          châtiment.
        
        
          Aujourd'hui le Kaïmakam de Zeïtoun est
        
        
          un Arménien catholique ; c'est un homme
        
        
          lâche dépassant même son prédécesseur qui
        
        
          était un grec — Youvanaki effendi — aujour–
        
        
          d'hui Kaïmakam de Hadjine. Il fait espion–
        
        
          ner les autres par les Arméniens catholiques
        
        
          pour qu'ils les mettent au courant de tout
        
        
          ;
        
        
          de sorte qu'il y a eu des catholiques qui, dé–
        
        
          goûtés des lâchetés de leur coreligionnaire,
        
        
          quittèrent le catholicisme pour se lier davan–
        
        
          tage avec les autres. Les impôts seront per–
        
        
          çus sans faute, si l'on n'a pas commencé déjà
        
        
          à les percevoir. Le peuple, cependant, par
        
        
          suite de la dernière révolte et de la famine de
        
        
          ces dernières années, n'a pu respirer encore,
        
        
          et i l s'est adressé au gouvernement pour lui
        
        
          demander d'attendre encore quelques années.
        
        
          Le gouvernement, comme on le voit par beau–
        
        
          coup d'indices, a décidé de refuser et d'avoir
        
        
          recours à la force militaire ou pour détruire
        
        
          complètement Zeïtoun ou pour exécuter enfin
        
        
          ses volontés. Des préparatifs se font de tous
        
        
          côtés; les jours de troubles de Zeïtoun sont
        
        
          encore attendus; comment Zeïtoun sortira-
        
        
          t-il de cette crise — i l est difficile de le pré–
        
        
          voir. Ceci est seulement simple à comprendre,
        
        
          que ceux qui s'intéressent à l'état des Zeitou–
        
        
          niotes doivent jour par jour suivre leur vie
        
        
          qui est menacée par un grand danger.
        
        
          
            L E T T R E D E D I V R I G H
          
        
        
          D i v r i g h ,
        
        
          26
        
        
          février
        
        
          1901,
        
        
          Mes chers amis, la situation actuelle de
        
        
          notre campagne comparée à la situation de
        
        
          jadis, en diffère grandement.
        
        
          Parmi les familles d'une campagne, i l y
        
        
          en a à peine quelques-unes qui sont en état
        
        
          de subvenir à leurs besoins annuels et de
        
        
          payer les impôts au gouvernement ; les au–
        
        
          tres, pour avoir leur nécessaire, sont obligés
        
        
          de vendre les champs, les arbres, les jardins
        
        
          et tout ce qu'ils ont hérité de leurs pères ;
        
        
          tout fut ainsi vendu et consommé dans ces
        
        
          cinq dernières années et s'il reste encore
        
        
          quelque chose, i l est vendu peu à peu. Le
        
        
          spectacle de la campagne déchire le cœur;
        
        
          les habitants laissent sur celui qui les obser–
        
        
          vent l'impression, comme vivant sous des
        
        
          tentes ; les maisons sont complètement vides
        
        
          de leur mobilier. Beaucoup se couchent en–
        
        
          core sur des paillasses ; pauvre peuple ! nous
        
        
          attendons, jour par jour, qu'aujourd'hui ou
        
        
          demain, notre état sera amélioré; au con–
        
        
          traire les souffrances matérielles et morales
        
        
          augmentant de jour en jour produisent, sem-
        
        
          ble-t-il, toutes sortes de maux... Le peuple a
        
        
          perdu la tête, ignorant où i l doit aller, et de
        
        
          jour en jour i l roule vers la misère.
        
        
          Nos créanciers ont confisqué la plus
        
        
          grande partie de nos vignes et ils continuent
        
        
          aies confisquer; d'un autre côté, la Banque
        
        
          ottomane, aussitôt le délai de ses créances
        
        
          arrivé, vend ou confisque les fonds, et enfin
        
        
          l'impôt du gouvernement agit de son côté ;
        
        
          chaque mois i l y a perception d'impôt. Nous
        
        
          sommes très reconnaissants à nos ancêtres
        
        
          qui nous ont laissé ces champs de ce que nous
        
        
          vendons et payons nos dettes; mais déjà i l
        
        
          n'y a plus rien. On ravit le blé du grenier,
        
        
          les animaux et le mobilier de la maison ; que
        
        
          nous reste-t-il donc à faire, puisque nous ne
        
        
          pouvons même pas posséder ce que nous
        
        
          avons gagné par la sueur de notre front.
        
        
          Un incident survenu dans la matinée du
        
        
          17
        
        
          février nous a fait oublier tout; déjà un
        
        
          jour auparavant, les percepteurs étaient ve–
        
        
          nus et avaient mis toutes les mesures à exécu–
        
        
          tion pour la perception. C'est pour la classe
        
        
          des gens qui sont incapables de payer, que
        
        
          le sinistre spectacle du jour eut lieu. Pendant
        
        
          que je traversais les rues de la campagne,
        
        
          je vis devant chaque porte qu'on prenait en
        
        
          échange des dettes les vaches, l'àne, le mou–
        
        
          ton, etc.. des pauvres diables; on entendait
        
        
          de tous côtés des gémissements et des sou–
        
        
          pirs, auxquels le cœur le plus dur ne pour–
        
        
          rait résister; on a ramassé cinquante animaux
        
        
          etonlesa tous vendus en ville.Quand lanou-
        
        
          velle de la vente fut parvenue — car le peuple
        
        
          naïf comptait sur la clémence du gouverne–
        
        
          ment — c'est alors que les pleurs, les gémis–
        
        
          sements, et les cris de détresse des pauvres
        
        
          diables redoublèrent.
        
        
          Cette année, c'est l'année la plus abon–
        
        
          dante ; le blé est vendu de trois à cinq
        
        
          piastres ; l'orge deux à trois piastres ; mais
        
        
          le pauvre peuple mange par emprunt ; par
        
        
          conséquent, tout ce qui sort de l'aire est
        
        
          donné pour l'emprunt et les impôts ; vous
        
        
          pouvez comprendre, par cela, dans quelle si–
        
        
          tuation se trouve le peuple.
        
        
          Les Arméniens des autres campagnes, ceux
        
        
          d'Odour, de Parzure, d'Armouthagh, etc., etc.,
        
        
          presque tous partagent notre sort ; i l ne nous
        
        
          reste que le nom, car la misère a étendu son
        
        
          bras mortel sur nous tous également.
        
        
          Je finis ma lettre, en vous priant de ne pas
        
        
          oublier notre misère ; ayez toujours vos sen–
        
        
          timents vifs ; faites des démarches là où i l
        
        
          faut; n'épargnez pas vos efforts, soit maté–
        
        
          riellement, soit moralement ; élevez votre
        
        
          voix et agissez.
        
        
          
            L E T T R E D E B A Y A Z I D
          
        
        
          D é c e m b r e ,
        
        
          1900.
        
        
          Un jeune homme, Hagop, de la campagne de
        
        
          TéghoudàAkhlat,parlipour Tadouane,fut en–
        
        
          vironné et tué par des soldats turcs réguliers, à
        
        
          son arrivée à la campagne de Tchirkhor. Ha –
        
        
          gop était accusé comme le successeur de Sé-
        
        
          rop. Par suite de l'assassinat de Hagop, on a
        
        
          emprisonné Ohan de Tadouane, âgé de vingt-
        
        
          cinq ans, que le Kaïmakam d'Akhlat a con–
        
        
          duit, mais on ne sait où. On martyrise Ohane
        
        
          avec des broches rougies au feu, on brûle ses
        
        
          côtes et on le bat; on lui donne un fusil à la main
        
        
          et on le conduit près de sa mère ; on lui fait
        
        
          tourner par force le fusil vers le cœur de sa mère
        
        
          et par des menaces semblables on l'oblige à
        
        
          dénoncer celui-ci, celui-là, de montrer le lieu
        
        
          de refuge des Arméniens en fuite ; mais le
        
        
          supplice n'effraie plus l'Arménien endurci :
        
        
          — «
        
        
          Qu'y a-t-il, que puis-je vous dire ? »
        
        
          Sont également emprisonnés, Hagop, de la
        
        
          campagne de Guitzonag, qu'on a conduit à
        
        
          Bitlis ;
        
        
          Fonds A.R.A.M