France et c'est d'après ces expertises que
le chiffre des dommages a été établi.
Je n'ai pas besoin d'insister sur l'obli–
gation qui pèse sur le gouvernement im–
périal de les r épa r e r et d'indemniser les
réclamants des pertes qu'ils ont subies.
Car non seulement l'autorité n'a eu n i la
prévoyance n i l'énergie de prendre des
mesures pour assurer le maintien de l'or–
dre, mais
elle a par une altitude qu'on ne
saurait trop sévèrement
quulifier sciem–
ment contribué
à étendre
et à prolonger
les massacres et le pillage
en livrant plu–
sieurs quartiers de la ville à l a populace
musulmane armée.
La police et la troupe
ont assisté
indifférentes
et complices au
pillage
d'établissements
appartenant à
des ressortissants français
alors qu'un
seul mot eût suffi pour arrêter les
méfaits
des bandes
armées.
L a Sublime Porte ne saurait donc se
soustraire à la responsabilité qui pèse
tout entière sur le gouvernement impérial
et à
la nécessité d'indemniser les
étran–
gers quelle a refusé de protéger.
Aucune
discussion ne saurait s'élever sur leur bon
droit.
(
Livre Jaune,
1897.
Annexe au
no 36a).
Des notes analogues furent adressées
à Hamid par les différentes ambas–
sades, en particulier par les Améri–
cains, les Anglais et les Allemands.
L a Bête se refusa obstinément à avouer
son crime, en indemnisant les vic–
times.
Alors se joua une comédie dont l'in–
génieux metteur en scène fut S. E .
M . Constans : i l s'agissait d'avoir l'ar–
gent sans offusquer la susceptibilité de
l'Assassin, n i présenter comme une
réparation de ses torts le versement
des sommes réclamées avec une si
ferme énergie par M . Paul Cambon.
La Compagnie de Rayak-Hama deman–
dait une garantie kilométrique de
15,000
francs, alors que le gouverne–
ment turc n'en prétendait donner que
12,500 :
l'ambassadeur obtint les
15,000
francs à condition que la Com–
pagnie déposerait 500,000 francs (c'est
à peu près l'augmentation annuelle
de la garantie kilométrique pour une
ligne de 192 kilomètres) dans les caisses
de l'ambassade ; et les 500,000 francs
ainsi « avancés », en attendant que la
Porte consentît à 1' « i ndemn i t é », se–
raient répartis entre les personnes
lésées, sans qu'il en coûtât rien au bon
renom d'Abd-ul-Hamid, sinonau trésor
ainsi grevé d'une nouvelle dette pour
quatre-vingt-dix ans.
Sur quoi les Américains et les autres
suivirent un exemple si heureux : la
maison Cramp reçut des commandes
importantes; puis Krupp eut sa part
pour les Allemands, Ansaldo pour les
Italiens et les Anglais ne demeur è r en t
pas en reste ; Sir Nicolas O'Connor a
pu annoncer que la maison Armstrong
aurait aussi des bateaux à construire.
D'indemnité, plus un mot. Lo r d Cran–
borne a pu dire à la Chambre des Com-
muues que ni la France ni aucun autre
pays n'en avait reçu.
Ainsi l'honneur de Hamid est sauf !
mais celui de l'Europe?
Et de quel front des ambassadeurs
qui se ravalent au rang de courtiers
d'affaires levantins oseraient-ils ensuite
parler d'humanité, de réformes néces–
saires et exigibles d'après les traités ?
Ils encourageraient plutôt l'Assassin,
si chacun de ses crimes leur sert de
prétexte à une sorte de sale chan–
tage et contribue indirectement à
remplir les caisses des gros financiers
et des gros industriels.
PIERRE
QU I L LARD .
Vo i r dans
L'Assiette
au beurre
O 12)
9,
RUE SAINTE-ANNE, PARIS
La Guillotine à Sultan
Par
A .
W I L L E T T E
et
Deux Portraits âe Hamid eflfendl
Par
A .
D O R V I L L E
et
L E T E U R
Une Lettre de M. L. de Contenson
M. L . de Contenson a adressé à notre se–
crétaire Jean Longuet la lette suivante que
nous sommes heureux de publier. M . de Con–
tenson a vu les Arméniens ailleurs que sur
les quais de Constantinople et comme ce
voyageur est aussi un homme accontumé à
observer les phénomènes sociaux, son témoi–
gnage n'a que plus de valeur pour détruire la
légende malveillante et inexacte de l'Armé–
nien « saraf ».
Paris, o juin
1901.
Monsieur,
Je viens vous remercier des trop aima–
bles appréciations que vous avez bien
voulu donner sur mon livre
Chrétiens et
Musulmans
dans votre vaillant journal
Pro Armenia.
L a cause pour laquelle vous
combattez est juste, ce qui ne veut pas
dire, hélas! qu'elle soit destinée à sûre–
ment triompher; mais elle a dès longtemps
mes sympathies, comme celle de tous les
peuples opprimés, dont le nombre, mal–
heureusement, ne semble pas décroître
en proportion des p r og r è s de la civilisa–
tion.
Vous me traitez de conservateur et je
ne saurais m'en plaindre puisque vous en
prenez acte pour n'en donner que plus de
poids à l'impartialité de mes jugements.
Cependant j ' a i quelques réserves à faire à
ce sujet, car, si je donne à l'évolution so–
ciale une base différente de la vôtre, j ' y
crois n é a nmo i n s fermement. Comme vous
j'aspire à une human i t é meilleure qui ne
ressemblera guère à celle-ci et dont per–
sonne ne sera exclu, n i les pauvres, n i les
travailleurs,
pas même les Armé–
niens.
Pour en revenir à ces derniers, et je
vous demande pardon d'avoir pris pré–
texte d'un mot de votre article ppur m'é-
garer aussi l o i n de mon sujet, i l me sem–
ble qu'il serait utile de faire disparaître
un préjugé à leur égard. O n entend sou–
vent répéter que les Armé n i e n s , après
tout, sont un peuple assez pen intéressant
de
saraf s
et d'usuriers, abruti par un tra–
vail séculaire dans les faubourgs malpro–
pres des villes. C'est le propos courant.
Il est rapporté par le voyageur qui ne con–
naît de l'Orient que les quais de Constan–
tinople. Ce qui est vrai, c'est que les A r –
méniens sont une nation composée en
immense majorité d'agriculteurs, qu'au–
tour de leurs villages, perchés sur le som–
met des montagnes, ils passent leur exis–
tence à manier la pioche et la charrue et
à garder les troupeaux, que leur race, v i –
goureuse et prolifique, se renouvelle sans
cesse à la pure l umi è r e du soleil et que
leur sang s'enrichit dans les travaux du
plein air. Comme tous les peuples, pas–
teurs ou agricoles des régions montagneu–
ses, ceci est un fait d'observation sociale,
les Armé n i e n s possèdent les vertus mi l i –
taires qui permettent à une nation de dé–
fendre, pied à pied, son indépendance.
C'est ainsi qu'après avoir formé, en der–
nier lieu, avant l'arrivée des Turcs, le
fond des armées byzantines, ils ont su se
survivre dans les guerriers de Zeïtoun.
Tel est, je crois, un point sur lequel i l
convient d'insister, non seulement parce
qu'il met en l umi è r e une vérité impor–
tante, mais parce qu ' i l est appelé à dé–
truire la légende de l ' Armé n i e n saraf, prê–
tant à la petite semaine et objet d'une
antipathie souvent justifiée. Ceci soit dit
d'ailleurs sans préjudice des aptitudes
merveilleuses de l a race dans le négoce et
Fonds A.R.A.M