M . Leroy-Beaulieu et M . Victor Bé-
rard, et tant d'autres.
Une crise nouvelle est imminente :
i l dépend de nous de l'éviter peut-
être, ou du moins d'avoir j usqu ' à la
fin j e t é aux quatre horizons notre cla–
meur de détresse et d'indomptable es–
poir ; car la race a rmén i enne , déci–
mée de siècle en siècle, semble pourvue
de quelque mystérieuse vitalité. On
dirait que ses annalistes anciens aient
préfiguré ses souffrances et sa gran–
deur dans la légende de Grégoire l'il—
luminateur. Le roi Tiridate l'avait fait
hisser au plus haut des murs, les mains
et les pieds liés, un mors dans la bou–
che et le dos corrodé de sel : Grégoire
vivait le septième jour. Alors Tiridate
le fit suspendre par un pied, la tête en
bas, ordonnant qu'on brûlât du fumier
au-dessous de lui et qu'on le frappât
de verges : et le septième jour Gré–
goire vivait. Tiridate lui broya les
os des jambes avec des entraves de
bois serrées de cordes : et Grégoire
vivait. Puis on le coucha à terre sous
le soleil, la face vers le ciel, la tête
écrasée dans un étau de menuisier, et
on le gorgeait de sel, de nitre et de vinai–
gre, et on lui enveloppa la tête d'un
sac plein de cendres brûlantes, et on
lui déchira le ventre avec des crocs de
fer, on l'arrosa de plomb fondu ; et
Grégoire vivait.
Ainsi, à travers les âges, toujours
t o r t u r é e , l'Arménie a survécu : i l ne
sera point dit que les hommes de ce
temps, qui se prétendent civilisés, la
laisseront disparaître de la face de la
terre et se feront les complices du Sultan
Abd-ul-Hamid et des gouvernements
européens.
PIERRE QUILLARD.
tu pif!
s^gi#ie
Sur tous les continents de la terre
notre temps se caractérise par le triom–
phe de la force, par la défaite de l'idée.
Comme des fauves à l'aguet, les p r é –
tendus « souverains » des hommes
embusqué s derrière leurs appareils de
défense, attendent pour le déchaîne–
ment de meurtre l'occasion d'une
proie. Les peuples en labeur s'épuisent
à produire pour accumuler les engins
de destruction qui doivent anéantir
tout le résultat de leurs efforts. Sur un
signe du maître, ils se jetteront les
uns sur les autres, semant partout la
dévastation et la mort. Toute la c i v i l i –
sation aboutit à une immense organi–
sation de carnage. Il est devenu r i d i –
cule de prêcher la fraternité humaine.
Odieux même , car ce « cosmopoli–
tisme » fleure la « trahison ». Sans
avoir l'excuse de se haïr d'une façon
raisonnée, les hommes sont en dispo–
sition de se déchirer, de se massacrer.
Peut-être faut-il qu'ils soient rassasiés
de sang pour qu'un dégoût leur vienne
de ces gestes d'anthropophagie.
En attendant, l'art du massacre est
tenu pour le plus noble emploi des fa–
cultés de l'intelligence, et comme tout
art ne peut arriver à son point que par
un développement de pratique, nos
tueurs professionnels s'exercent
in
anima vili
sur les nègres ou les jaunes
qu'une bonne Providence amène à leur
portée. Livrée aux pires brutalités de
la civilisation blanche, l'Afrique noire
est un vaste champ de carnage où toutes
les violences de la bête humaine se
donnent carrière. Les blancs même
en sont à s'exterminer mutuellement
quand le nègre ne se défend plus. Par
le droit du plus fort, l'Angleterre sup–
prime une nationalité vivante sans
qu'une protestation s'élève des masses
populaires ou des conseils de leurs
gouvernants. Songez aux agitations
généreuses qui suivirent le partage de
la Pologne et mesurez le chemin que
nous avons fait à reculons.
L'Asie est attaquée simultanément
sur toutes ses frontières, et déjà les
envahisseurs venus du Nord et du Midi
se rencontrent aux portes de l'Hima–
laya. Les troupes de l'Europe coalisée
sont présentement campées dans la
capitale chinoise, et l'empereur alle–
mand a donné le mot d'ordre à son
généralissime : « Recommencez Attila.
Pas de quartier ». Les lettres des sol–
dats du
Kaiser,
racontant d'abomi–
nables massacres, montrent que ces
paroles sont littéralement obéies et les
Russes, en Mandchourie, jettent les
Chinois aux fleuves par milliers, sans
distinction de sexe ni d'âge.
L'Asie Mineure voit des abomina–
tions qui ne sont pas moindres. Là
c'est le sultan rouge qui, sous la pro–
tection bienveillante de la chrétienté,
p r omène l'extermination par le fer et
le feu dans les provinces d'Arménie.
Où sont les croisades d'antan ? Ah !
l'Islam a vraiment vaincu les cheva–
liers chrétiens qui, sous prétexte de
délivrer le tombeau du Christ, se lan–
cèrent en de si folles aventures. L a
fureur coloniale de ce temps avait be–
soin d'un prétexte pieux. C'est en Chine
maintenant que l'hypocrisie chrétienne
se déploie. Les missionnaires, qui au–
raient tant de gens à convertir dans
leur propre patrie ou dans le pays
même qui reçut l'enseignement de
Jésus, laissent un soldat turc bâ t onne r
les pèlerins autour du divin sarcophage
et s'en vont chapitrer les hommes
jaunes pour ouvrir la voie aux armées
conquérantes. Cependant, sur la terre
des scènes bibliques, le khalife-assas–
sin déchaîne le fanatisme musulman
contre les chrétiens d'Arménie, sans
que le Pape du Christ fasse entendre
une plainte, un appel de pitié, sans
que la France des « droits de l'homme »
ose réclamer justice, ou dire même une
parole d ' human i t é .
Flétrir le bandit couronné qui met à
sac villes et villages, massacre les hom–
mes désarmés, brûle dans leurs églises,
après quels outrages, — femmes, en–
fants, vieillards, jette aux plaines dé–
vastées des troupeaux humains sans
abri, sans moyen de subsistance, que
le bâton achève pour la curée pro–
chaine des loups, qui donc aurait
cette pensée? L a Russie a besoin de
dé so r d r e à ses frontières pour justifier
l'intervention au moment favorable.
L'orthodoxie grecque d'ailleurs s'ac–
commoderait mal d'un trop grand sur–
plus dépopu l a t i ons catholiques. Qu'on
laisse donc le Turc r épand r e à son
aise le sang. Quand le Russe a donné
permission de tuer, ce n'est pas à la
France d'élever la voix. Hanotaux et
Lobanoff régnaient alors sur la Répu–
blique française, comme Lamsdoff et
Delcassé aujourd'hui. Combien fûmes-
Fonds A.R.A.M