Cela était écrit après l'enquête sur
        
        
          Sassoun. Après les massacres de 1896,
        
        
          à Constantinople, notre chargé d'af–
        
        
          faires, M . de la Boulinière, aujour–
        
        
          d'hui ministre à Cettinge, employait
        
        
          une formule encore plus nette :
        
        
          Je ne pourrais citer à Votre Excellence
        
        
          la série interminable des faits
        
        
          
            qui prou–
          
        
        
          
            vent jusqu'à l'évidence que c'est le Sultan
          
        
        
          
            lui-même qui arme les bras de ces assom-
          
        
        
          
            meurs, et leur enjoint de courir sus à
          
        
        
          
            tout ce qui est Arménien.
          
        
        
          Donc, nu l doute n'est possible : tous
        
        
          les chefs d'Etat, tous les ministres qui
        
        
          entretiennent avec Abd-ul-Hamid des
        
        
          relations courtoises savent qu'il est
        
        
          l'assassin en chef. Serait-ce donc qu'ils
        
        
          soient désarmés contre l u i et qu'ils
        
        
          ne puissent mettre un terme à ses ca–
        
        
          prices de fou furieux?
        
        
          
            Les Puissances sont obligées par les
          
        
        
          
            traités à intervenir.
          
        
        
          Le droit et le devoir des puissances
        
        
          européennes sont également incontes–
        
        
          tables : ils sont définis sans ambage
        
        
          dans un article du traité de Berlin,
        
        
          vieux d'un quart de siècle, mais qui
        
        
          n'est point caduc :
        
        
          
            ARTICLE
          
        
        
          61.
        
        
          
            —
          
        
        
          
            L A SURL IME - PORTE
          
        
        
          
            S'ENGAGE A RÉALISER SANS PLUS DE RE –
          
        
        
          
            TARD, LES AMÉLIORATIONS E T LES RÉ –
          
        
        
          
            FORMES QU'EXIGENT LES RESOINS LOCAUX
          
        
        
          
            DANS LES PROVINCES HARITÉES PAR LES
          
        
        
          
            ARMÉNIENS E T A GARANTIR LEUR SÉCU–
          
        
        
          
            RITÉ CONTRE LES TCHERKESSES E T LES
          
        
        
          
            KURDES.
          
        
        
          
            E L L E
          
        
        
          
            DONNERA
          
        
        
          
            PÉRIODIQUE–
          
        
        
          
            MENT CONNAISSANCE DES MESURES PRISES
          
        
        
          
            A CET E F F E T AUX PUISSANCES QUI EN SUR–
          
        
        
          
            VEILLERONT L'APPLICATION.
          
        
        
          Le texte est clair ; le mandat formel :
        
        
          par une singulière ironie, la seule
        
        
          mesure que le Sultan ait prise à l'égard
        
        
          des Tcherkesses et des Kurdes, c'est
        
        
          de les avoir munis d'armes perfection–
        
        
          nées et transformés de bandes hé t é –
        
        
          roclites en régiments hamidiés. On
        
        
          sait quelle fut l'œuvre de ces bons ser–
        
        
          viteurs. Quand elle fut à peu près
        
        
          accomplie, les puissances songèrent
        
        
          au traité de Berlin, et proposèrent un
        
        
          projet de réformes élaboré par leurs
        
        
          ambassadeurs : les principaux points
        
        
          en sont énumérés dans un Mémoran–
        
        
          dum collectif du 27 avril-11 mai 1895,
        
        
          dont l'adoption était alors déclarée
        
        
          
            d'une importance primordiale :
          
        
        
          1
        
        
          °
        
        
          
            NOMINATION DES VALIS, SOUMISE
          
        
        
          
            A L'APPRORATION DES PUISSANCES ;
          
        
        
          2
        
        
          °
        
        
          
            INSTITUTION D'UN HAUT COMMIS–
          
        
        
          
            SAIRE CHOISI PAR L E SULTAN E T AGRÉÉ
          
        
        
          
            PAR LES PUISSANCES AVEC PLEIN POUVOIR
          
        
        
          
            SUR LES VALIS PENDANT LA DURÉE DE SA
          
        
        
          
            MISSION
          
        
        
          (1).
        
        
          3
        
        
          °
        
        
          
            INSTITUTION D'UNE COMMISSION PER–
          
        
        
          
            MANENTE DE CONTROLE, SIÉGEANT A LA
          
        
        
          
            SURLIME-PORTE, E TOU LES AMRASSADES
          
        
        
          
            «
          
        
        
          
            FERAIENT PARVENIR DIRECTEMENT PAR
          
        
        
          
            L'INTERMÉDIAIRE DE LEURS DROGMANS
          
        
        
          
            TOUS LES RENSEIGNEMENTS E T COMMUNI–
          
        
        
          
            CATIONS QU'ELLES JUGERAIENT NÉCES–
          
        
        
          
            SAIRES » .
          
        
        
          Tout cela encore est resté lettre
        
        
          morte : dès maintenant, i l est aisé de
        
        
          dire pour quelles raisons d'ignomi–
        
        
          nieuse lâcheté internationale les Puis–
        
        
          sances alors ne désiraient pas aboutir,
        
        
          sauf peut-être l'Angleterre, qui , de–
        
        
          puis, a changé malheureusement d'at–
        
        
          titude, et l'Italie à peu près impuis–
        
        
          sante à elle seule. L'empereur d'Alle–
        
        
          magne et l'empereur d'Autriche soute–
        
        
          naient occultement le Sultan ; la
        
        
          France ayant remis sa politique étran–
        
        
          gère aux mains de M . Gabriel Hano-
        
        
          taux, suivait avec docilité la politique
        
        
          russe qui fut atroce : jamais la Russie
        
        
          —
        
        
          qui traite d'ailleurs les sujets a rmé –
        
        
          niens du Caucase, comme les Fi n l an–
        
        
          dais, et semble en vérité vouloir un
        
        
          jour prendre l'Arménie turque quand
        
        
          le Sultan aura détruit les Arméniens —
        
        
          ne consentit à la seule action efficace,
        
        
          c'est-à-dire à une action commina–
        
        
          toire et coercitive contre Abd-ul-Ha–
        
        
          mid. Deux paroles du prince Lobanoff
        
        
          résument la politique russe. Le 30 oc–
        
        
          tobre 1895, après les premiers massa–
        
        
          cres de Constantinople,
        
        
          
            200
          
        
        
          
            mor t s ;
          
        
        
          Ak-Hissar,
        
        
          
            100
          
        
        
          
            mor t s
          
        
        
          ;
        
        
          Trébizonde,
        
        
          
            600
          
        
        
          
            morts
          
        
        
          ;
        
        
          Erzingian
        
        
          
            ,1,000
          
        
        
          
            morts ;
          
        
        
          Orfa,
        
        
          
            300
          
        
        
          
            morts
          
        
        
          ;
        
        
          Gunmch-Hané ,
        
        
          
            100
          
        
        
          
            mor t s ;
          
        
        
          Baïbourt,
        
        
          
            700
          
        
        
          
            mor t s ;
          
        
        
          et dans la région
        
        
          
            105
          
        
        
          
            vi l lages dé–
          
        
        
          
            vastés
          
        
        
          ;
        
        
          Bitlis,
        
        
          
            800
          
        
        
          
            morts
          
        
        
          ;
        
        
          Chabin-
        
        
          Kara-Hissar et région voisine,
        
        
          
            9,000
          
        
        
          (
        
        
          i) Nous rappelons qu'il avait été question
        
        
          alors de nommer haut-commissaire un Euro-
        
        
          éen appartenant à un pays neutre : un
        
        
          uisse par exemple.
        
        
          
            mor t s ;
          
        
        
          Cazade Terdjan,
        
        
          
            quarante
          
        
        
          
            villages détruits
          
        
        
          et
        
        
          
            1,000
          
        
        
          
            mor t s
          
        
        
          au moins, le ministre des affaires
        
        
          étrangères de Bussie tenait à M . de
        
        
          Vauvineux, notre chargé d'affaires, un
        
        
          langage d'une imperturbable sérénité :
        
        
          Le ministre des affaires étrangères tout
        
        
          en reconnaissant la gravité d'un état de
        
        
          choses qui mérite de fixer l a sérieuse
        
        
          attention des puissances, m'a déclaré que
        
        
          pour sa part, i l ne p r évoya i t dans un
        
        
          avenir immédiat, aucun incident de na–
        
        
          ture à donner une forme plus énergique à
        
        
          leur intervention en Turquie ( i ) .
        
        
          Des milliers de morts, incident sans
        
        
          importance : on refuse d'arrêter en si
        
        
          beau chemin l'assassin qui continue et
        
        
          quinze mois plus tard, quand la tempête
        
        
          de sang et de feu eut tout ravagé, quinze
        
        
          jours après Orfa où Nazif-Pacha avait
        
        
          fait rôtir d'un seul coup
        
        
          
            3,000
          
        
        
          
            vic –
          
        
        
          
            times
          
        
        
          et égorgé les autres en récitant
        
        
          les prières de regorgement du mouton ;
        
        
          le même prince Lobanoff, sollicité
        
        
          d'intervenir par M . Goschen, tenait
        
        
          des propos encore plus abominables :
        
        
          Les choses se sont considérablement
        
        
          apaisées en Turquie et aucun événement
        
        
          récent ne justifie l a présomption que les
        
        
          efforts du Sultan, pour rétablir l'ordre,
        
        
          demeureront infructueux. Ri en ne peut
        
        
          détruire ma confiance dans la bonne vo–
        
        
          lonté du Sultan.
        
        
          Ainsi, une p r emi è r e fois, l'Arménie
        
        
          martyre a été abandonnée à son bour–
        
        
          reau par ceux-là même qui avaient
        
        
          solennellement assumé devant le
        
        
          monde la tâche de la défendre. De–
        
        
          puis, malgré la mauvaise volonté des
        
        
          gouvernements et le silence de la
        
        
          presse vénale, les peuples européens
        
        
          ont appris avec horreur les inexpia–
        
        
          bles tueries. Nous demandons à tous
        
        
          les gens de cœu r de s'unir à nous, et
        
        
          ils ont r épondu d'avance à notre appel,
        
        
          puisqu'en France, par exemple, on a
        
        
          vu travailler en commun à cette œuv r e
        
        
          des hommes aussi divers que M . Ana –
        
        
          tole France et M . Albert Vandal,
        
        
          M . Georges Clemenceau et M . Denys
        
        
          Cochin, M . Jean Jaurès et M . Hervé
        
        
          de Kérohant, le Pè r e Charmetant et
        
        
          M . Francis de Pressensé, M . Urbain
        
        
          Gohier et M . Pau l de Cassagnac,
        
        
          (
        
        
          i)
        
        
          
            Livre Jaune :
          
        
        
          Affaires arméniennes,
        
        
          189-,
        
        
          n° 114.
        
        
          Fonds A.R.A.M