vesa, sous prétexte qu'un coup
de feu avait été tiré d'une maison ita–
lienne, où habite l'agent des postes, la
troupe avait enfoncé les portes, per–
quisitionné à sa man i è r e et empor t é
deux valises. Le ministre de l'intérieur
avait bien exprimé ses « profonds re–
grets » ; mais le ministre de la guerre
refusait de punir l'officier responsable.
La seconde division de l'escadre méd i –
t e r r anéenne a aussitôt appareillé pour
Corfou : elle sera en quelques heures
à Prevesa, si le Sultan s'obstine.
On aime à croire que l'empereur
d'Allemagne n'étendra pas encore sa
main puissante pour sauver d'une ava–
nie son compromettant cousin et ami.
C'est beaucoup trop que dans la der–
nière affaire i l ait paralysé l'action des
autres puissances en échange d'avan–
tages financiers : concession des quais
de Haïdar Pacha et de la fabrication
des allumettes. L a
Frankfurter
Zeï-
tung
rappelle non sans regret que
déjà au moment des massacres a rmé –
niens l'Allemagne commit la faute de
rompre l'accord et de communiquer à
Hamid le projet de réformes élaboré
en secret par les ambassades. Elle
ajoute en propres termes : « A Berlin
on cherche à pallier et à excuser
beaucoup de choses, grâce à l'amitié
du Sultan pour l'empereur d'Allema–
gne ; mais cela n'est certes pas réjouis–
sant. »
Au besoin, on pourrait se passer de
l'Allemagne, ainsi qu'il fut fait lors du
règlement de l'affaire crétoise et i l est
à prévoir que l'amitié de Guillaume II
pour Hamid n'irait pas j usqu ' à se tra–
duire par une intervention active et
formelle en faveur de l'Assassin : le
kaiser au besoin pleurera sa mort ou
sa déposition, mais i l ne fera rien d'u–
tile pour s'y opposer.
La Bête a trop sottement donn»
prise sur elle : i l ne faut pas la lâcher.
R.
L'abondance des matières nous oblige
à remettre au prochain numéro
la publi–
cation de V intéressante
lettre de
L U D O V I C
D E C O N T E X S O N ,
Vauteur si documenté
de
«
les Chrétiens îrrusulmans »,
dont l'ana–
lyse a paru dans
Pro Armenia
du 25 mai
1901.
A P P E L
à l ' A l l i a n c e un i v e r s e l l e des
F e mm e s p o u r l a P a i x , pré–
sidée p a r M
m e
l a pr i nc e s s e
W i e c n e w s k a .
Madame la P r é s i den t e ,
Les drames épouvan t ab l e s qui ont en–
sanglanté l'Arménie et qui ont si doulou–
reusement ému l'humanité éclairée mena–
cent de se répéter en Macédoine.
Depuis trois mois, un sanglant arbi–
traire r ègne en ce malheureux pays.
Jamais la chrétienté d'Orient n'a vécu des
heures aussi sombres et tragiques. Les
Turcs ne respectent plus rien. Sous les
yeux des autorités avec leur approbation,
ils soumettent les chrétiens asservis à des
supplices incroyables. I l ne reste plus
aucun recours à ceux qui ont été lésés
dans leur patrimoine ou dans leur hon–
neur : le dernier vestige de légalité a été
aboli.
Une pensée atroce domine tous les actes
du gouvernement, c'est l'extermination
systématique des chrétiens, comme la
seule solution acceptable de l a question
ma c édon i enne .
Tout d'abord, le gouvernement turc a
voulu dég r ade r moralement les races chré–
tiennes par la misère et par l'ignorance.
Les campagnes ont été dévastées; les i n –
dustries ruinées; le fisc a été rendu plus
oppressif et plus lourd que jamais; le b r i –
gandage devient une institution quasi-pu–
blique tolérée par l'Etat. De cette façon,
en effet, malgré leur labeur infatigable et
continu, les populations chrétiennes sont
tombées dans une misère épouvantable.
Cela n'a pas suffi aux Turcs. Jaloux des
progrès rapides réalisés par les chrétiens
dans le domaine de l'instruction publique,
craignant le réveil de cette poussée vers
la liberté qui est un phénomène universel,
ils ont soumis les écoles chrétiennes à un
système de surveillance et de persécutions
qui équivaut à leur complète destruction.
Les maîtres d'école sont t r a î né s , au moin–
dre soupçon presque toujours infondé,
devant les tribunaux qui les condamnent
en bloc, systématiquement, sans aucune
forme de procédure. Les jeunes filles qu i
se sont vouées à l'enseignement sont ex–
posées perpétuellement aux outrages des
Turcs; on en voit souvent qui sont jetées
en prison, accusées d'avoir voulu renver–
ser l'Empire.
Malgré cette odieuse oppression, inspi–
rée par le Sultan et appliquée avec un im–
placable esprit de suite, les populations
chrétiennes sont restées moralement sai–
nes, ayant conservé l'intégrité de leurs
traditions, de leurs tendances et de leurs
espoirs.
Dès lors, l'anéantissement moral des
chrétiens ayant été jugé impossible, le
gouvernement ottoman prit des mesures
pour l'extermination matérielle des r a ï a s .
Des armes ont été distribuées aux Turcs,
des ordres précis leur ont été donn é s en
vue des massacres prochains et ils n'atten–
dent que l'ordre du Sultan pour commen–
cer leur sinistre besogne.
Grâce à la division qui règne dans les
idées des puissances et qui empêche toute
intervention collective, grâce aussi à l'in–
différence de l'opinion publique et au s i –
lence injuste de la presse, le Sultan a jugé
l'heure présente comme opportune pour
commencer l a mise à exécution de ses
plans.
Ce qui se passe actuellement en Macé–
doine n'est en effet qu'un commencement.
O n est saisi d'épouvante en pensant à ce
qui suivra ce commencement.
Nous, les femmes bulgares, dont la plu–
part ont vu les atrocités bulgares et por–
tent le deuil des morts qui ont expiré sous
le yatagan turc, nous nous sentons prises
d'une angoisse douloureuse en envisageant
l'avenir prochain de la terre de Macédoine
si belle et s i i n l b r t un é e . Nous connaissons
la cruauté turque. Nous nous rappelons
les horreurs que Gladstone avait dénon–
cées à l'Europe fémissaiite d'indignation
en
187
G.
Nous entendons aussi les plaintes
déchirantes et les lamentations des réfu–
giés macédoniens qui ont échappé à la
mort et qui t r a î n e n t dans notre pays une
existence de douleur et de privations. Ces
réfugiés, ce sont des suppliciés, des fem–
mes qui ont subi les plus odieux outrages,
des prêtres qui ont vu leurs églises souil–
lées, des orphelins dont on a tué les mè–
res, des mères auxquelles les Turcs ont
a r r a c h é les enfants pour les étrangler.
E t nous avons pensé que ce peuple
malheureux qui a connu les pires souf–
frances humaines et qui ne peut même pas
faire appel à la pitié du monde civilisé,
trouvera un appui moral dans la Ligue de
la Pa i x qui représente le plus noble et le
plus fécond effort fait par les géné r a t i on s
modernes vers l'avènement d'une huma–
nité pacifique et juste.
Le p r é s en t mémoire n'est que l'expres–
sion des doléances que les femmes macé–
doniennes auraient présentées si le r é –
gime turc ne l a séparait pas de l'humanité
civilisée. Un e s'inspire d'aucune tendance
politique. Notre appel est purement hu–
manitaire.
Nous implorons la Ligue de la Paix
d'user de sa puissante inlluence en faveur
de l a chrétienté martyrisée de l a Macé–
doine. Elle pourra faire cette généreuse
action en s'appuyant sur un traité inter–
national signé par l a Turquie. Le traité
de Be r l i n contient, en effet, dans son ar–
ticle
23,
une promesse de réforme en Ma -
Fonds A.R.A.M