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crucifiement, sont en Arménie monnaie courante. Les paysans,
les femmes, les enfants fuient à travers la campagne, à peine
vêtus de feuillage, n'ayant pour se nourir que des légumes et les
racines que leurs ongles arrachent au sol. La faim, le froid, la
neige sont encore un régime bénin auprès du traitement que les
Kurdes leur réservent. Ils ont vu leurs amis, leurs proches liés
avec des cordes, empalés, les yeux crevés, la langue coupée, jus–
qu'à ce que la mort s'ensuive. Et la plus lente est la meilleure,
au gré du tortionnaire, car elle prolonge le charme du spectacle.
Le pétrole a joué dans cette monstrueuse aventure un rôle pré–
pondérant. C'est lui qui venait à bout des villages réfractaires,
dont les habitants refusaient de se convertir à l'islamisme. La
propagande religieuse, par le fer et par le feu, est, en effet, la
cause première de ces massacres, dont le viol et le pillage ne cons–
tituent que les incidents et, pourrait-on dire, les épisodes.
De là le particulier acharnement déployé contre la religion chré–
tienne. On oblige les prêtres à abjurer leur foi, à se coiffer de tur–
bans, à pratiquer la polygamie ; on les promène par les rues,
habillés en ulémas. Les lieux de culte sont souillés, et les Kurdes,
revêtus d'habits sacerdotaux, se livrent à des danses désordonnées.
C'est une guerre de religion férocement pratiquée par des brutes,
pour l'extermination d'une race fidèle aux mœurs et aux croyan–
ces de ses aïeux.
Si l'Europe n'était pas volontairement sourde et irrémédiable–
ment pusillanime, elle aurait entendu et exaucé ce déchirant appel
du Catholicos d'Arménie :
«
Vieux pasteur de ce troupeau sans maître, nous adressons
d'ardentes prières à N.-S. Jésus-christ de vouloir bien, dans son
immense pitié, tourner son regard rédempteur vers cette mal–
heureuse nation et, faisant compatir sur son sort les puissants de
cette terre, la sauver de cette tuerie sans nom et des atrocités aux–
quelles elle se trouve livrée, à la grande honte de la civilisation de
ce siècle.
«
Arrivé juste au seuil du tombeau., nous confions ce peuple
martyr à la miséricorde de Dieu le Très-Haut, pour qu'il veuille
bien, après ce calvaire, le conduire à une vie tranquille et heu-
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Fonds A.R.A.M