LA TURQUIE NOUVELLE E T L'ANCIEN REGIME
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Mais il me faut abréger.
Vous savez comment, pour faire respecter, malgré tout, les vœux
suprêmes de Dama d Mahmoud pacha, il fallut combattre encore,
après qu'il eut rendu son dernier soupir, contre l a prétention de
s'emparer, malgré lui, malgré ses fils, de ses restes mortels.
Les tribunaux français s'opposèrent à cette entreprise tentée contre
la volonté doublement sacrée d'un exilé, d'un mort.
E t c'est ainsi que l a France, qui, dès 1899, avait, malgré toutes les
tentatives, refusé l'extradition et l'expulsion de Dama d Mahmoud
pacha, a conservé respectueusement, en ce cimetière musulman de
Paris, ses restes vénérables, en attendant le jour béni où l a Turquie
recouvrerait, selon les vœux de ce grand patriote, l'Indépendance et
l a Liberté.
Cette volonté du grand mort et du prince Sabaheddine, son digne
fils, de rester en exil pour protester contre le régime effondré s'était
manifestée dès le premier jour. Elle s'affirma jusqu'à l a fin.
Quelques semaines avant l a mort de Dama d Mahmoud pacha, les
émissaires d'Yildiz, rôdant autour de cette fière agonie et n'ayant
pas craint de répandre de fausses nouvelles, le fils aîné de l'exilé prit
soin de les démentir en ces termes :
«
C'est, dit-il, l a situation politique et sociale de l ' Emp i r e otto–
man qui nous a déterminés à tout quitter, pour protester contre le
régime actuel. Cette situation véritablement intolérable n'ayant fait,
malheureusement, qu'empirer depuis notre exil — ainsi que toutes les
chancelleries européennes le constatent — notre retour en Turquie
est inadmissible. Nous n'avons jamais cessé de faire cette déclara–
tion. »
Presqu'au même jour, le 12 décembre 1902, Dama d Mahmoud
pacha, cloué sur son
elevait en un courageux effort, pour pro–
tester aussi contre ces inventions calomnieuses e t j l terminait sa
lettre par l a déclaration suivante :
«
Malgré les souffrances physiques, malgré les douleurs et les an –
goisses morales, je le déclare une fois pour toutes : je préfère mourir
en exil, loin de ma famille, loin de mon pays, plutôt que de rentrer en
Turquie, tant qu'on n'y aura pas mis en pratique les réformes souhai–
tées, attendues par tous les Ottomans et "conseillées par toutes les
chancelleries européennes. »
Néanmoins, il nous fallait assister à ce spectacle véritablement
odieux de l'emploi de tous les moyens dont peuvent disposer l a force
et l a richesse contre un pauvre exilé moribond, broyé, terrassé par l a
souffrance et qu'on cherchait à trahir et à déshonorer, afin de tuer
avec lui, comme si cela eût été possible, l'idée libératrice qui, chaque
jour, recrutait de nouveaux adeptes.
Peu de jours avant sa fin, Dama d Mahmoud pacha, de s a main
défaillante, mais en pleine possession de ses facultés intellectuelles,
Fonds A.R.A.M