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LA TURQUIE NOUVE L L E E T L*ANCIEN REGIME
C'est pour crier l a vérité au monde que le gendre d'Abdul Medjid
quitta son palais du Bosphore, où rien ne contrariait son existence;
c'est pour acquérir à son pays des sympathies, c'est pour soutenir,
pour encourager, pour éclairer ses compatriotes.
Malgré l a vaillance et l a persévérance de ses efforts, depuis huit
années, pour convaincre le Palais, estimant qu'il ne saurait plus se
faire entendre à Constantinople, puisqu'on était incapable de le
comprendre ou qu'on se refusait à l'écouter, i l s'écriait, en termi–
nant sa première lettre manifeste de janvier 1900 :
«
I l faut que j'éclaire l a Nation, que j e l u i expose les dangers d u
régime actuel et l a nécessité de le transformer. C'est afin de remplir ce
devoir et de dégager ma conscience de toute responsabilité que je suis
venu en Europe. »
E t i l disait encore :
«
J e suis musulman et Tu r c , mais je désire servir ma patrie sans
distinction de race et de religion ; mes deux fils ont les mêmes inten–
tions ; ils sont venus ici uniquement pour m'aider à remplir ce devoir
sacré. L a justice triomphe toujours et toujours reste invincible. »
C'est pour des souhaits si patriotiques, pour des actes si louables, que
S. A . Dama d Mahmoud pacha, gendre du grand sultan Abdul Medjid,
fut spolié, calomnié, traqué jusque sur l a terre étrangère et, finalement,
condamné à mort.
Dans toutes les profondeurs de l ' Emp i r e , ces vertus antiques,
dont les nationalités ottomanes donnèrent de si beaux exemples,
reprirent comme un nouvel éclat, en entendant d'aussi mâles accents.
L e cri de Mahmoud pacha, son exode, contribuèrent puissamment à
ce bel élan vers l a délivrance, qui d e v a i t l aboutir à l'effondrement
pour jamais de ce régime abominable, qui n'eut peut-être pas d'équi–
valent dans l'h'stoire d u monde.
Je voudrais, en ce lieu de repos éternel, où toutes les passions
s'apaisent, ne rien dire qui pût ressembler à des paroles de haine.
Mais, grâce
à
Dieu ! aujourd'hui que l a lutte est finie, c'est de l'histoire
qu'il nous- est donné de faire : l a Justice et l a Vérité ont aussi leurs
droits.
E t , sans nous étendre davantage sur l'exil du grand patriote dont le
corps repose sous cette pierre, nous devons à s a mémoire glorieuse,
nous devons à s a noble famille, nous devons à son pays de dire, pour
en avoir été le témoin et le confident, que cet exil de D a m a d Ma h –
moud pacha, de 1899 à 1903, fut un véritable martyre. L e s promesses,
les menaces, les calomnies, les attentats même, tout fut employé.
Malgré les tortures d'une maladie mortelle, jamais i l ne fléchit, jamais
il ne se rétracta. « Non, disait-il, quand tant de patriotes, officiers,
élèves de nos écoles, sophtas, fonctionnaires de tous ordres et de tous
grades sacrifient leur liberté pour l a patrie, notre devoir est de leur
tendre l a main et de leur dire : nous sommes avec v o u s . . . »
Fonds A.R.A.M