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LA TURQUIE NOUVELLE E T L*ANCIEN RÉGIME
lève, on le porte, de bras en bras, jusqu'à sa voiture, à
quelques mètres de la mer ; et les chevaux sont dételés. Le
prince, ému, comme i l devait l'être, ne pense qu'au danger
couru, en telle cohue, par les manifestants, qui baisent ses
mains, son manteau et, sans interrompre les acclamations,
le trament et l'escortent ainsi, jusqu'à son palais du Bos–
phore, qu ' i l n'a pas revu depuis décembre 1899 : i l y a
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kilomètres et demi des quais de Galata au palais de Ko u -
routchesmé ! . . .
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.
Pourquoi tairais-je la joie vraiment indicible que j'éprou–
vais, qu'éprouveront àcerécit tous ceux qui ont connu, ou seu–
lement approché le prince Sabaheddine, en voyant la Tu r –
quie rendre au petit-fils du sultan, d'Abdul Medjid le Juste,
l'hommage de reconnaissance, d'admiration et d'espérance
aussi, que méritent son patriotisme éclairé, son abnégation
personnelle invariable, son courage~persévérant, ses efforts
infatigables, pendant ces neuf longues années d'exil volon–
taire (en dépit de toutes les tentatives, de toutes les souf–
frances, de toutes les menaces et même de toutes les
calomnies), pour arriver à affranchir son pays de l'oppression
mortelle.
~~?J'éprouvais une grande joie, certes ! mais en même temps,
je l'avoue, une angoisse profonde. Je savais, mieux que per–
sonne, je crois, ce dont le prince Sabaheddine est capable :
je connais son sentiment du devoir, sa loyauté, sa probité,
son désintéressement personnel — j'insiste sur ces qualités,
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On disait partout, à Constantinople, le lendemain (les correspon–
dants du
Figaro
et d'autres journaux l'ont répété), que, si, par hasard,
le prince avait préféré à sa voiture les chevaux de selle qu'on avait
également préparés, ce n'est pas chez sa mère, Seniah sultane, c'est
à la Sublime-Porte qu'on l'eût entraîné de force et proclamé sultan,
malgré lui, sans réfléchir aux conséquences, sans tenir compte de sa
volonté, de sa fidélité aux Constitutions de l'Empire, de son respect
pour les lois de succession au trône d'Osman.
J
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ai dû citer ce trait pour
montrer l'enthousiasme et, qu'on me permette l'expression, l'emballe–
ment de l a foule constantinopolitaine, sous le régime nouveau, quand il
s'agit de patriotes, de réformes et de liberté.
Fonds A.R.A.M