LA TURQUIE NOUVELLE ET L'ANCIEN
R É G I M E
57
L a Révolution est faite, ou plutôt elle est commencée, car,
au milieu de tant de ruines, on ne saurait tout reconstruire
en quelques semaines et les Français, qui ont, i l faut en
tations qui fut accueillie « avec stupeur », disent les comptes rendus
de l a séance du 22 décembre dernier, pour « exprimer l'immense joie
«
qu'il ressent, en ce jour suprême qui ouvre à l'Empire ottoman une
«
ère de félicité et de bonheur ». Munir pacha aussi, s'est beaucoup
félicité, paraît-il, dans son interview du
Gaulois,
de cette révolution,
sans toutefois oser manifester « sa joie » à Constantinople : arrivé à
Sophia pour se rendre à Stamboul et surpris par les événements, il
rebroussa vite chemin, son médecin lui conseillant opportunément les
e a u x . . . de Paris !
Il faut lire, dans les journaux de Constantinople du 2 janvier 1909,
non seulement le discours impérial, mais les détails du dîner d'Yidiz
aux députés. « Je vous renouvelle l'assurance, dit Abdul Hamid à ses
«
hôtes, que moi-même comme votre Khalife et votre padichah, je
«
me consacrerai entièrement, avec l a grâce de Dieu, au maintien, à
«
l a défense de notre Constitution et que je serai le premier adversaire
«
et le premier ennemi de quiconque voudrait y porter atteinte. »
Ce n'était pas encore assez. A l a suite du repas, où des députés ont
baisé la main d'Abdul Ham i d et où le Sultan a prodigué ses tendresses
à Ahmed R i z a , « poussant l a condescendance jusqu'à remplir son
«
verre, ce que voyant, le président de l a Chambre se tint debout
pour présenter son verre à S a Majesté », le Khalife dit à A l i R i z a :
«
Je ne me rappelle pas avoir été aussi heureux dans ma vie qu'en ce
moment ». — E t , pour terminer l a soirée, il envoya son premier secré–
taire faire la déclaration suivante : « Je suis prêt à sacrifier ma vie le
«
jour que le voudra l a Nation. » — Quelques mois plus tôt, ce mot
de Nation était puni de l'exil et souvent de l a mort ! Ahmed R i z a ne
fut pas en reste. Rappelant que « le Padishah et la Nation qui, dit-il
«
alors, aspiraient depuis si longtemps à leur union, assis à l a même
«
table, mangent aujourd'hui au même plat », il s'écriait :« U n pareil
«
accord, une pareille union ne s'étaient vus qu'à l'époque heureuse
«
du Prophète. Depuis treize siècles nous étions privés de cette inta–
ct
mité entre le Padishah et l a Nation », etc., etc.
Pour apprécier toute l'originalité et, si l'on veut, toute l a beauté
de ce lyrisme, le charme de ce duo du Berger et de l a Bergère, il est
indispensable de rappeler que le président de cette Chambre avait été
condamné à mort, qu'il ne cessa d'être traqué par l'espionnage d'Yidiz
et que, de son côté, dans son journal le
Mechveret,
Ahmed R i z a pro–
digua, presque chaque jour, pendant treize années, les pires invectives
contre Sa Majesté Abdul Hamid I I .
(
Voir à la fin de ce travail :
Annexe B).
Fonds A.R.A.M