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L A T U R Q U I E N O U V E L L E E T L ' A N C I E N R E G I M E
Dans tout gouvernement régulier c'eût été un Turc
capable de rendre, à l'État, les plus éminents services.
Fatigué de plaider en vain pour le bon sens, pour le Pro–
grès, obligé de renoncer à être entendu, ou seulement écouté,
il prit la résolution de s'enfuir, lui aussi, avec ses deux fils,
à qui i l avait fait donner une éducation et une instruction
des plus soignées.
—
L'Europe ne sait évidemment pas la vérité, disait-il
en son honnêteté ; si elle l'apprend, elle ne pourra manquer
de nous soutenir moralement, dans cette lutte de la nation
contre la clique du Palais. L'opinion sera pour nous. La
presse nous défendra. Je dirai donc la vérité. Ma personna–
lité ne peut être suspecte, pas plus que ne peuvent l'être
mon désintéressement et mes attaches avec le trône d'Os–
man.
Ce qui est incontestable, c'est que ni lui, ni les siens, ne
souffraient personnellement beaucoup des malheurs publics.
Et c'est là un titre spécial à la reconnaissance du peuple,
de n'avoir pas hésité à prendre la route de l'exil, à sacrifier
leur repos, leur tranquillité, leur bien-être, leur luxe et à
tout souffrir pendant de longues années, en vue de la libé–
ration de leur pays. « Un héros magnanime, dit un per–
ce sonnage d'Euripide, met sa gloire à soulager les maux
«
qu'il ne partage pas
1
. »
Lorsque le Palais apprend l'exode du Pacha et de ses fils,
à la fin de décembre 1899, le jour même'où^il doit avoir lieu,
l'affolement est à son comble.
Aussitôt des ordres sont envoyés, dans l'ignorance où l'on
est de la voie adoptée, la terre ou la mer, à Andrinople, où
le commandant militaire fait cerner et fouiller le train de
Constantinople, puis, malgré ces infructueuses recherches —
malgré le ridicule —à Philippopoli, où le prince Ferdinand de
Bulgarie est invité de la part de son suzerain à supplier
1
Euripide.
Iphigènie en Aulide,
acte I V , scène I I .
Fonds A.R.A.M