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LA TURQUIE NOUVELLE ET
h'
ANCIEN
REGIME
jours le nécessaire), moins que personne, sauf son frère
Mourad V, i l n'eut la possibilité d'aller et de venir en liberté,
ou de s'entretenir avec qui bon l u i semblait. Ceux qui ne
détournaient pas la tête, en apercevant sa voiture, étaient
signalés par la police ; ceux qui le saluaient étaient arrêtés
comme conspirateurs.
I l ne faut pas s'étonner si, sous un tel régime, presque tous
les hommes éclairés, qui le pouvaient, cherchaient à fuir. Aus–
sitôt, leurs biens étaient séquestrés, confisqués, leur famille
opprimée ; ils étaient souvent condamnés à mort par contu–
mace \ subissaient toutes les avanies, traqués parfois i nd i –
gnement jusque dans leur asile étranger, grâce aux espions.
qui pullulaient partout, non seulement à Constantinople,
en Turquie, mais dans toute l'Europe et même à Paris, où
plusieurs centaines trouvèrent accueil à l'ambassade,
jusqu'à ce qu'en 1902 le cabinet se décida à les chasser, sur
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Dans le procès de l'ambassade de Turquie à Paris, le 27 janvier
1903,
pour arracher le corps de S. A. Damad Mahmoud pacha à ses
fils, l'avocat de Munir bey dit, en ses conclusions : « Attendu que
«
Mahmoud pacha et ses fils ont été condamnés à mort pour rébel-
«
lion, apostasie
(
sic !)
et attentat contre l a sûreté de l ' É t a t . . . , qu'ils
«
ont perdu, par l'effet de ces condamnations » (qui, d'ailleurs, ne
leur furent jamais signifiées) « tous leurs droits civils, civiques et de
«
famille, e t c . . » I l est superflu d'ajouter que jamais Damad
Mahmoud pacha ni ses fils n'ont changé de religion. A ce mensonge on
en avait joint un plus gros, si c'est possible ; on avait osé faire inter–
venir faussement S. A . I . la princesse Seniah sultane, pour l a revendi–
cation du corps de son mari ; bien plus, j ' a i eu entre les mains une lettre
où l'on avait été jusqu'à apposer l a signature de l a princesse et qui,
adressée à ses fils par le Ministère des Affaires étrangères et l'Ambas–
sade de Paris, le jour même de l'inhumation au cimetière musulman du
Père-Lachaise, tenait sur le noble patriote que fut Damad Mahmoud
pacha le langage le plus contraire aux idées de Seniah sultane, enga–
geant ses fils à venir se jeter aux pieds du Sultan, « l'auguste bien–
faiteur de tous, dont la clémence et la miséricorde, y lisait-on, s'étendent
sur tout le monde ». I l v a sans dire que l a princesse n'en eut pas même
connaissance. C'était un faux : les princes n'en ont pas douté un ins–
tant, d'ailleurs.
Fonds A.R.A.M