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L A T U R Q U I E N O U V E L L E E T
h'
ANCIEN
R E G I M E
il semblait qu'on sentait un poignard pénétrer dans le
cœur.
Je ne pourrais pas tout dire, ici ! A l'aide de tenailles
de bois, on serrait certaines parties du corps, jusqu'à écra–
sement, avec toutes les complications morbides qui devaient
s'ensuivre : Midhat pacha et un gendre d'Abdul Medjid l u i -
même connurent ce supplice abominable %
Et le nombre de ces torturés, de ces exilés, de ces noyés
ou assassinés dépasse toute imagination. I l serait impos–
sible, évidemment, d'en dresser une statistique exacte. Le
«
fonctionnaire » le plus apte par ses services à en avoir
une idée approximative, disait, en 1899, au beau-frère du
Sultan, qu'il en estimait le nombre à 4 ou 500.000, au
moins, depuis le règne d'Abdul Hamid I I : c'est de son confi–
dent que je tiens ce renseignement.
On ne s'arrêtait même pas toujours devant la faiblesse
d'une femme ou d'un enfant. On ne jette plus, au sérail, les
favorites dans un sac de vipères, si tant est qu'un despote
l'ait jamais fait un jour. Mais, si les procédés ne sont pas les
mêmes, le résultat n'en est pas très différent. Pour un
caprice, pour la peur d'un attentat imaginaire, pour avoir
osé présenter une requête du Sultan Mourad, telle dame du
Palais, telle enfant a été brûlée ou jetée dans le Bosphore
2
.
Un élève de l'école militaire de Pancaldi vint, i l y a deux
ans, me voir à Paris ; soupçonné de complot, parce qu'il
avait lu je ne sais quel livre faisant l'éloge de la Liberté, i l
était parvenu, non sans peine, à s'échapper, à s'enfuir. On
s'en prit à sa pauvre vieille mère, sexagénaire, qui bientôt
mourut en prison, sans savoir seulement pourquoi on l'avait
arrêtée.
1
Un horrible assassinat...
Midhat pacha
(
Genève, 1898, br.
in-18).
2
Voir, entre autres, mon article dans la
Nouvelle Bévue,
1897,
pp. 72-78.
Fonds A.R.A.M