L A T U R Q U I E N O U V E L L E E T L ' A N C I E N R É G I M E
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eh bien ! ce que nous souffrions ainsi servirait à la libération
de la patrie !
Je viens de parler de bourreau. Rien ne pourrait rendre
les horreurs commises, au Palais impérial même, ou au poste
de police de Béchik Tasch, sous le tortionnaire géant Hassan
pacha et jusqu'à ces derniers mois encore. J'ai essayé, i l y
a onze ans, d'enfdire quelque chose en la
Nouvelle Revue
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Le mois dernier, un princeme racontait qu'ayant eu, naguère,
le privilège de se promener dans le parc d'Yldiz, si jalouse–
ment surveillé, il crut entendre, un soir, comme des gémisse–
ments, des plaintes étouffées, sortant de la maison d'un
iman, qu'il savait un des bourreaux en faveur. Discrète–
ment i l s'approche : c'est la voix brisée d'un malheureux
supplicié criant : — « Allah ! Allah ! tuez-moi ! Ayez pitié !...
achevez-moi !... » Pour compléter l'horreur, le temps était
à l'orage, un éclair illumina ce lieu infernal et laissa voir,
à travers des persiennes entr'ouvertes, la figure d'un très
haut personnage, qu'il n'eût pas été sans périls de recon–
naître, mais qui avait tenu à venir surveiller, par lui-même,
si l'on saurait arracher les secrets du condamné, sans trom–
per sa peur/
Faut-il décrire quelques-uns des supplices imaginés par
l'ancien régime et que l'odieuse Inquisition espagnole eût
pu envier?
Le plus doux était l'introduction du patient, face contre
terre, sous un divan, pour lui flageller les jambes et les
reins.
Des menottes spéciales écrasaient, à l'aide de vis, la pha–
lange supérieure des pouces, faisant éclater les ongles et,
me disait un médecin patriote, soumis à ce tourment, quand,
ensuite, on recevait un coup sec sur l'extrémité des doigts,
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Nouvelle Revue,
1897,
p. 72-78.
Fonds A.R.A.M