L A T U R Q U I E N O U V E L L E E T L ' A N C I E N
R É G I M E
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Plus d'une fois, vers la Pointe du Seraï, où les cadavres
habillés, charge aux pieds, se dressent en un fantastique
appel, amenés là par les forts courants du Bosphore à la
Marmara, des scaphandriers et des plongeurs, terrifiés d'un
spectacle aussi macabre, refusèrent de continuer leurs son–
dages
h
La vie, même sans parler des tortures, était sans cesse
contrariée, gênée, opprimée.
Les membres de la famille impériale, eux-mêmes, n'étaient
pas toujours libres de sortir, de se voir, de se fréquenter. Me
trouvant, i l y a quelques semaines, dans un Palais du Bos–
phore, avec deux princes et priant l ' un d'eux de vouloir
bien me dire le nom d'une des Altesses (que j'avais mal
entendu, lors des présentations, comme i l arrive souvent,
même avec des noms familiers), vous ne pouvez imaginer
l'ébahissement que je vis alors sur son visage. Après avoir
considéré l'autre prince, un bon moment, i l me répondit en
souriant : — Je dois vous avouer que je ne sais pas com–
ment i l s'appelle. Je sais que c'est mon cousin ; mais vous
comprenez, sous l'ancien régime, nous ne nous étions jamais
vus...
L ' un et l'autre paraissent dépasser la trentaine !
Le prince Selim, le fils aîné du Sultan, fut rélégué plus de
vingt années dans son appartement, sans pouvoir sortir,
tenu à l'écart comme un lépreux, parce qu'un jour on l'avait
surpris à marquer d'un trait, sur la carte d'Europe, les
pertes de l'empire. Son père (dont les connaissances géogra–
phiques sont assez bornées, puisqu'il se préoccupait récem–
ment de faire prendre les correspondances de l'île de Samos,
p a r . . . l'Orient-Express) supposa que ces études prépa–
raient de noirs complots et allaient mettre le feu à des
machines explosibles.
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Plusieurs personnages dignes de foi me l'ont affirmé, notamment
le commandant Chopart, qui eut un service maritime à Kadikeui.
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Fonds A.R.A.M